Il faut que la droite française change de logiciel intellectuel

Quel avenir pour la droite française, après son échec ? Un entretien avec Drieu Godefridi, philosophe et essayiste.

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Il faut que la droite française change de logiciel intellectuel

Publié le 23 juin 2017
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Contrepoints Drieu Godefridi, vous êtes un intervenant régulier dans le débat public sur les thèmes de la droite américaine et de la droite française. Actuellement la droite américaine enchaîne les succès, tandis que la droite française collectionne les échecs. Comment expliquer cette divergence dans des contextes, à certains égards, comparables ?

Drieu Godefridi — La divergence se situe d’abord et avant tout au niveau des idées. Il ne faut jamais attendre du politique une pureté intellectuelle qui n’existe que dans les conceptions abstraites des philosophes. Même Thatcher ou Reagan, qu’on voit parfois comme l’incarnation politique du libéralisme, ont dû composer avec la réalité et adopter des mesures qui ne paraissent guère conformes au canon libéral.

Reste que les tendances sont nettes. En dépit du portrait qu’on lui fait dans les médias européens, la droite américaine reste foncièrement libérale et forte sur les sujets régaliens, cherchant à la fois à baisser les impôts (ce qui devrait se faire sous peu) et à réduire l’enfer législatif d’une réalité qui n’a jamais été, dans l’histoire, aussi régulée (réduction qui est déjà en cours).

Bien sûr, on peut tergiverser sur la pureté libre-échangiste de la droite américaine, qui souhaite rééquilibrer les termes de l’échange avec certains de ses partenaires mais la cohérence globale est réelle et de facture nettement libérale.

 

En France, une droite sans cohérence

Et en France ? Pour n’être pas libérale, la droite française est-elle sans cohérence ?

Vous avez raison, on peut évidemment concevoir une droite qui serait cohérente sans être libérale. Par exemple en étant socialiste. On pourrait imaginer une doctrine socialiste de droite et l’histoire nous en offre des exemples. Malheureusement, la droite française ne possède pas cette cohérence, fût-elle socialisante.

Depuis trente ans, le programme de la droite au centre oscille du libéralisme balladurien des années 1990 à l’étatisme par défaut d’un Chirac ou d’un Sarkozy, en passant par l’étatisme assumé et militant de tant d’autres composantes de la droite, politique et intellectuelle, au sens large.

Le problème de la droite, nous dites-vous, ce n’est pas qu’elle n’est pas libérale, c’est qu’elle n’est pas cohérente ?

Dans l’ordre intellectuel, l’exigence de cohérence me paraît en effet première ! Je vais plus loin : outre cet éternel mariage du feu libéral et de l’eau socialiste, le problème aujourd’hui de la droite française est qu’elle se nourrit copieusement d’auteurs qui semblent avoir eux-mêmes renoncé à toute ambition de cohérence, voire de rationalité.

Vous songez à Jean-Claude Michéa ?

Oui, à Michéa et ses nombreux partisans dans les lettres françaises, au niveau que l’on pourrait qualifier d’intermédiaire : entre l’académique au sens strict, et le journaliste de base. On a vu éclore depuis quelques années une génération de journalistes-intellectuels français qui fondent l’ensemble de leur vision du monde et de leur démarche sur l’œuvre de Michéa.

 

Une droite française influencée par les idées fausses de Jean-Claude Michéa

De qui parlez-vous, précisément ?

Je parle notamment de l’équipe constituée par le michéiste Tremolet de Villers aux pages débats du Figaro. Une équipe de jeunes journalistes, souvent talentueux, dont l’intégralité du travail — articles, interviews — procède de la vision michéiste de la réalité.

Quel est le problème ?

Le problème est que l’œuvre de Michéa est grossièrement incohérente. Comme je l’ai démontré dans un article publié par la revue académique Arguments, « Le fantasme libéral de Monsieur Michéa », Michéa tente de ramener tous les maux de la société française à ce qu’il nomme le libéralisme.

Cette assertion du libéralisme de la France ne résiste pas un seul instant à l’analyse : avec 57 % de dépenses publiques (en PIB), des prélèvements obligatoires plus élevés que partout ailleurs dans l’OCDE et dans l’histoire de France et un enfer législatif sans précédent, la France est l’un des pays les plus parfaitement socialisés de la planète. Tout discours qui procède de la qualification de cette réalité comme « libérale » ne peut pas être pris au sérieux.

Vous avez peut-être raison d’un point de vue économique, mais Michéa dénonce également le libéralisme qui prévaut dans le domaine des mœurs. Peut-on lui donner tort ?

Là encore, la confusion est totale. Ce à quoi nous assistons va bien au-delà de la liberté des mœurs : c’est de l’écrasement des structures millénaires de la parenté qu’il s’agit. On exige que toutes les préférences sexuelles, de mode de vie, soient mises sur un strict pied d’égalité, avec mariage, adoption, gestation pour autrui, etc.

Et cette dérive naît du libéralisme, car il renonce à imposer une conception de la « vie bonne » : c’est exactement ce que dit Michéa !

En réalité, cela n’a rien à voir. Le problème de Michéa est que s’il a épluché des auteurs libéraux mineurs, il n’a rien lu — ou compris — aux grands auteurs de la tradition libérale, tels Friedrich Hayek, Edmund Burke, John Locke, David Hume, et jusqu’à Aristote. Prétendre que le libéralisme, si soucieux du respect de la tradition, des normes, pratiques, coutumes & institutions qui ont fait leur preuve, pourrait se satisfaire — serait la cause ! — de l’anéantissement des structures millénaires de la parenté, est évidemment un contre-sens.

Mais si ce n’est pas du libéralisme, d’où procède ce que vous appelez l’anéantissement des structures de la parenté ?

« L’égalité réelle ou la mort ! » : depuis Gracchus Babeuf jusqu’à Thomas Piketty, l’exigence d’égalisation des conditions matérielles d’existence a toujours formé la matrice de la pensée socialiste.

Comme je le montre dans un ouvrage à paraître à la rentrée (La passion de l’égalité — essai sur la civilisation socialiste), c’est en réalité l’ensemble de la pensée socialiste dans ses différentes composantes théoriques — économie, politique, anthropologie — et chacune de ses expériences concrètes, qui se laisse réduire au fait de considérer l’égalité matérielle comme valeur primordiale.

Il n’existe pas un seul auteur socialiste qui n’ait institué, en droit ou en fait (on pense aux marxistes), l’égalité matérielle en valeur primordiale. Telle est la matrice de l’anéantissement des structures de la parenté — dont les effets délétères, n’en doutons-pas, se feront sentir dans la durée.

Car on ne renverse pas impunément les institutions qui ont structuré notre civilisation : ce que nous dit précisément la tradition libérale.

Donc Michéa se trompe de cible.

Je ne jette pas la pierre à cet auteur ; il a eu le mérite de relancer le débat, en France. Mais la confusion de sa pensée ne peut être sauvée. Il y a des pensées — je pense à celle d’un Thomas Piketty — avec lesquelles on peut diverger en valeur, mais qui n’en sont pas moins cohérentes.

Le michéisme ne peut en aucune façon se targuer de cette cohérence. Ce qu’il nomme libéral est en fait socialiste — et pour couronner son analyse il en appelle à un nouveau socialisme, lui-même nourri de conservatisme ! De la confusion comme art majeur.

 

La nécessaire refondation intellectuelle de la droite française

Revenons à la droite politique.

Mais nous y sommes en plein ! Quand du centre au FN, et du Figaro au Point, vous avez d’innombrables personnalités qui se réclament du « michéisme », vous commencez à cerner le problème ! Pour ne prendre que le FN, n’est-il pas révélateur qu’en dépit de leurs divergences à tous les niveaux, mesdames Marine Le Pen et Marion Le Pen ne se rejoignent guère que dans la célébration de l’œuvre de Michéa ?

Parlons d’avenir. Que préconisez-vous ?

D’abord, il faut une refondation intellectuelle de la droite française. Pas l’éternel procédé stérile par encommissionnement où l’on nomme cinq personnalités — toujours les mêmes — qui vont recommencer l’éternel mariage du socialisme et du libéralisme, cette fois mâtiné de concepts empruntés à la pensée michéiste. Non, il faut du neuf, en structure et en hommes.

À quelle structure pensez-vous ?

Je l’ignore. Ce n’est pas à moi de concevoir la structure. Mon rôle ici se limite à constater la capilotade intellectuelle de la droite française. Mais si une telle structure devait être créée, j’y participerais volontiers.

Un mot de conclusion ?

Outre sa refondation intellectuelle, je crois que la droite a besoin de sang neuf, par quoi j’entends des personnalités issues de la vie économique active, qui ont d’autres horizons que celui de la fonction publique. Je verrais bien un entrepreneur entrer en politique, et remettre… en marche vers la victoire cette droite qui en a tant besoin !

 

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  • Ce processus de refondation est en cours, il y aura 2 droites dont une aux dépens du FN.

  • Avant de parler de la droite il faudrait définir ce qu’est la droite.d’ailleurs , la gauche est elle vraiment de gauche ?
    Macron , l’actuel président est il de gauche ou de droite ,il a dit lui même qu’il était ailleurs…..la France est gouverné au centre depuis très longtemps ,c’est à dire gouverné par des gens sans aucune conviction politique et qui essaient de surfer sur la vague ,ne pas déplaire , parfois ils pensent pouvoir reformer quelque chose mais leur manque de courage les fait toujours reculer et cela se termine sur un scooter où ils voyagent ,fou comme nos gouvernants aiment se balader loin très loin.

  • Excellente conclusion , c’est un véritable entrepreneur qu’il faut pour conduire la France entouré de ministres avec expériences professionnelles de plusieurs années autres qu’à l’ENA ou cabinets publics de l’ombre..Malheureusement aucun parti politique ne propose de candidat de cette nature .
    Les CV des élus en général, nous prouvent que c’est la sphère publique ou des très grandes entreprises qui alimente le vivier
    Tous ces gens peuvent faire de la politique sans risques financiers pour eux et leur famille .

  • Il ne fait aucun doute que la droite genre Baroin, qui n’a aucune colonne vertébrale, n’a aucune chance de refonder ce courant de pensée.
    Fillon avait fait une tentative -réussie- puisqu’il a été plébiscité par les sympathisants de droite, mais celle-ci s’est embourbée dans un traquenard dont Hollande-Macron ont sans doute le secret.
    C’est donc dans cette direction qu’il faut trouver l’inspiration d’une droite nouvelle. Qu’on fait les Baroin et autres ténors après la chute de Fillon? Affadir le programme de ce dernier pour les législatives au point de le caricaturer.
    Le chemin, au sens pratique du terme, est donc de revenir dans la voie filloniste, en améliorant encore dans un sens libéral ce qui doit l’être, comme l’instauration d’une flat tax sur le capital de 15 à 20% max.
    Et d’une mise en concurrence de tout ce qui peut l’être (éducation, santé), en s’appuyant sur les exemples étrangers qui marchent.
    Quant à la littérature, von Mises, Schumpeter et Hayek suffisent.

    • Le capital est un stock et aussi surtout c’est la base de tout.
      En conséquence il ne doit pas être taxé.
      Seul les flux doivent l’être. Et seulement pour financer les taches régaliennes

  • Tant que les philosophes « de droite » s’accrocheront aux idées surannées « d’écrasement des structures millénaires de la parenté », le libéralisme, le vrai, n’a pas la moindre chance.
    La liberté, c’est à tous les niveaux, et c’est à l’individu de choisir sa structure familiale ou sexuelle. S’ériger contre ces libertés creuse le fossé entre les libéraux « sociaux », qui n’ont besoin que d’un sérieux cours d’économie pour devenir de véritables libéraux, et les pseudo-libéraux de droite qui n’acceptent pas un mode de vie différent du leur.

    • Être libre, c’est avoir la libre disposition de son propre corps et des fruits de son action, ce qui implique l’obligation faite à chacun de respecter la propriété des autres (principe de non agression universel et réciproque). Il n’y a donc effectivement pas de distinction entre liberté économique et liberté « sociale » définie comme liberté de vivre comme on l’entend … tant qu’on ne demande pas aux autres de supporter les conséquences de ses propres choix, ce qui est contraire au principe de non agression. La liberté implique la responsabilité, si non, ceux qui sont forcés de supporter les conséquences des choix des autres cessent d’être libres. On ne peut donc être « libéral social » sans être libéral tout court. Sauf erreur de ma part, ceux qu’on nomment « libertaires » sont socialistes et donc incohérents. Dans une société libre, il y a d’autant moins de gens qui « n’acceptent pas un mode de vie différent du leur » qu’ils ne sont pas contraints de supporter les conséquences des choix des autres.

  • Ce qui reste de la droite en France (la partie droite des Républicains et la partie droite du FN se réunissant à terme) doit devenir l’équivalent de l’UDC Suisse (Union démocratique du centre c’est un comble !) : libérale économiquement et sans être « culturellement » mondialiste ni libertaire (ce qui n’est pas incompatible). Le libéralisme « de droite » à opposer au « social-libéralisme » ENArchique version Marron, c’est la libéralisation de la protection sociale, des retraites et de l’école. Mais pour ça, il faut avoir le courage de rompre avec le « Gaullisme » et les « Valeurs de la République » (Jacobine !).

  • Pour LR c’est la refondation à marche forcée avec un programme plus libéral que celui de F. Fillon: sur l’économie, l’enseignement,les retraites, l’assurance maladie, fin du statut de la Fonction publique. Pour expliquer cela, une grande pédagogie et surtout montrer tous les avantages que tous les Français en tireront. Je dis bien tous les Français.Dernier point proposer à la place d’un centralisme forcené, un système de décentralisation modèle suisse. Proposer cela aussi pour l’Europe. Remettre la Liberté au cœur de la vie Française.

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