Et si demain, votre montre remplaçait votre psy ?

Les technologies connectées investissent le champ de la santé, sous le terme d’e-santé, et même le champ de la santé mentale. Suffira-t-il, demain, de poser sa montre sur la table basse pour que celle-ci nous guide vers le mieux-être psychologique ?

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Et si demain, votre montre remplaçait votre psy ?

Publié le 10 juin 2017
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Par Margot Morgiève et Xavier Briffault.
Un article de The Conversation

Les psys ont toujours existé en de nombreuses versions. Empathique ou réservé ; psychiatre, psychologue, psychanalyste, psychothérapeute ; en consultation individuelle ou en groupe ; avec ou sans médicaments ; pratiquant une seule méthode ou plusieurs parmi les 400 recensées par l’Inserm.

Comme si la situation n’était pas assez compliquée, il faut désormais ajouter aux psys en chair et en os la possibilité de s’offrir un psy virtuel, tenant tout entier dans une montre. Et là, nouveaux dilemmes : il faut choisir entre bracelets cuir ou métal, boîtier rond ou carré, système d’exploitation Android ou iOS, en local ou sur le Cloud, 32 Go de capacité de stockage ou 64…

La smartwatch, la montre intelligente, est le dernier né des objets connectés. Elle réussit à faire fonctionner des applications qui nécessitaient, hier, un smartphone et avant-hier, un ordinateur gros comme une armoire. Or les technologies connectées investissent désormais le champ de la santé, sous le terme générique d’e-santé, et même le champ de la santé mentale. Suffira-t-il, demain, de s’allonger sur son propre divan et de poser sa montre sur la table basse pour que celle-ci nous guide vers le mieux-être psychologique ou même guérisse nos troubles psychiques ?

Fréquence cardiaque, qualité du sommeil

Les objets connectés intègrent désormais toutes sortes d’outils de mesure : des GPS pour la géolocalisation, des accéléromètres et des actimètres (capteurs du mouvement et du déplacement), des microphones, des capteurs physiologiques mesurant la fréquence cardiaque ou la qualité du sommeil.

Ils permettent de connaître la position de l’utilisateur, son activité, ses habitudes ou ses communications. Et d’obtenir des informations sur l’environnement dans lequel il se trouve, par exemple le degré de pollution, le niveau de bruit ou de lumière, les caractéristiques urbaines comme la densité de la population ou le type d’architecture, les services sociaux ou de santé accessibles, les commerces ou les loisirs à proximité.

Minuscules, ces capteurs sont susceptibles de s’intégrer dans de multiples objets du quotidien : lunettes de ski, bandeaux, bracelets, patchs adhésifs, chaussures de sport, balances, pyjamas, vêtements de fitness, brosses à dents, urinoirs, bijoux, lingerie… Des milliers d’applications les intégrant ont déjà été mises au point pour mieux gérer son stress, améliorer son humeur, adopter une alimentation saine, pratiquer davantage d’activité physique ou cesser de fumer.

Plus d’autonomie, plus de pouvoir

L’idée qui sous-tend les pratiques du quantified self (littéralement, la quantification de soi) est que plus les personnes connaîtraient en détail leur physiologie, leurs habitudes quotidiennes, leur génétique, plus ils seraient des acteurs « engagés » prêts à « prendre le contrôle » sur leur santé. Cet idéal d’autonomie psychique et corporelle par le biais de la technologie s’inscrit dans de nouvelles logiques d’empowerment, c’est-à-dire la prise de conscience par les individus de leur capacité d’agir et d’accéder à plus de pouvoir.

Les nouvelles technologies d’e-santé peuvent en effet changer quand, où et comment les soins sont fournis. Il peut s’agir de diagnostic, de traitement, de surveillance à distance, de consultations en ligne, d’accès aux dossiers et aux ordonnances, de services d’éducation, de recueil de données, d’interventions au domicile, au travail ou même dans la rue – et plus seulement au cabinet ou à l’hôpital.

Dans la santé mentale, il existe une myriade d’applications de self-help (littéralement, d’auto-support). Elles ont l’avantage, par rapport à d’autres types de soins, de fonctionner sur un appareil en vente libre, plutôt bon marché, qu’on a sous la main à tout moment, qu’il s’agisse d’un téléphone ou d’une montre. Elles peuvent ainsi faciliter l’accès aux services de santé mentale et réduire les inégalités liées soit à une carence de l’offre localement – fréquente sur le territoire français, soit au coût des traitements.

Un objet disponible 24h sur 24, 7 jours sur 7

Par ailleurs, nul thérapeute, aussi disponible soit-il, ne peut l’être 24h/24 et 7 jours sur 7 comme l’est une montre connectée. Le psy peut ne pas être joignable au moment où son patient est victime d’une sévère attaque de panique ou d’une pulsion suicidaire potentiellement létale. Il n’est jamais sur place au moment même où son patient vit une situation difficile. Un dispositif d’e-santé intelligent pourra détecter le stress ou le désarroi de l’utilisateur à partir de certains indices dans son comportement, par exemple si sa fréquence cardiaque augmente.

Cet outil pourra aussi anticiper sur une situation potentiellement critique à partir de certains éléments repérables dans l’environnement (comme la météo, les embouteillages, le bruit ou la pollution) et proposer immédiatement une intervention adaptée : un exercice de relaxation quand le patient phobique s’approche de l’aéroport, des conseils personnalisés quand l’outil connecté constate que le sommeil commence à se dégrader.

Des applis sur téléphone portable permettent aux personnes souffrant de troubles psychiques d’obtenir une aide immédiate en cas de stress.
Daria Nepriakhina/Unsplash

Il ne s’agit pas de remplacer le psy par ces technologies mais bien au contraire, d’étendre les possibilités ouvertes par la consultation dans le temps et l’espace. Bientôt, en sortant du cabinet, le patient pourra bénéficier d’interventions personnalisées délivrées en temps réel grâce à un dispositif d’accompagnement portatif paramétré sur mesure, en collaboration avec le thérapeute.

Une application pour les personnes borderline

L’application Emotéo propose déjà des interventions sur smartphone aux personnes présentant des troubles limites de la personnalité (dits borderline). Si l’individu se retrouve en situation de stress aigu, par exemple à cause d’un conflit relationnel ou d’une surcharge de son agenda, l’application lui offre la possibilité de réguler ses émotions. L’outil propose des exercices de respiration, ou de regarder des scènes apaisantes. De telles aides ont montré leur efficacité, avec une diminution des actes agressifs des patients contre eux-mêmes ou d’autres personnes.

L’e-santé soulève de nombreuses espérances, notamment celle de traitements personnalisés, prédictifs, préventifs et participatifs, ce qu’on appelle la médecine « 4P ». Mais elle présente également des défis cruciaux, plus encore en santé mentale. Il convient d’abord d’assurer la confidentialité des données recueillies par les dispositifs. Et de calculer, ensuite, le rapport coût-efficacité de leur utilisation afin de proposer, quand celui-ci est positif, un remboursement par l’assurance-maladie.

Ces nouveaux usages numériques engendrent également de nouvelles formes de pouvoir. Les activités et les données des utilisateurs du Web 3.0 (l’Internet des objets connectés) sont d’ores et déjà analysées par des algorithmes sophistiqués orientant les choix proposés aux utilisateurs.

Ceux-ci se trouvent inévitablement pris dans un dispositif économique mondialisé, dans lequel les développeurs d’applications délimitent ce qui peut être réalisé et la manière dont les données sont générées et utilisées.Ainsi, dans le contexte d’un sous-investissement en France dans les soins en santé mentale, les outils connectés pourraient même devenir un levier pour mobiliser la société sur ces questions. Notre enquête Crazy’App, qui amène chacun à se questionner sur sa représentation des troubles mentaux, poursuit cet objectif.

Il est donc essentiel que le champ de l’e-santé mentale soit régulé dans des cadres politiques, juridiques et éthiques incorporant a minima les quatre piliers de l’éthique médicale – respect de l’autonomie du patient, bienfaisance, non-malveillance et justice.


The ConversationCo-auteur de cet article, Margot Morgiève sera le 14 juin à 19h au café du Pont neuf, à Paris, avec Luc Mallet, professeur de psychiatrie, pour une discussion avec le public autour de la question : votre montre pourra-t-elle remplacer votre psy ? Cette rencontre se tiendra dans le cadre des Open Brain Bar organisés par l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM).

Margot Morgiève, Chercheuse en sciences humaines et sociales de la santé mentale, Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM) et Xavier Briffault, Chercheur en sciences sociales de la santé mentale au Cermes3, TEPSIS

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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  • mouais, honnêtement les avancées sont certainement significatives, « ça peut aider  » mais concrètement, à l heure actuelle, tout ces gadgets ne font qu’ augmenter l anxiété des patients vis a vis d éventuelles pathologies, ou compliquent la compliance du patient au traitement prescrit par le médecin.

    Ne pas oublier qui finance une grosse partie de ces applications : les compagnies d assurance, qui avec vos données médicales, peuvent adapter les primes d assurances pour votre bien… ou pas !

    dernier point: un psychiatre n à rien à voir avec les reste des professionnels cités ici, un psychiatre prescrit des traitements médicamenteux.

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