La Ve République réalignée

Le dernier livre de Philippe Raynaud trace l’histoire politique de la cinquième république et de ses évolutions, non seulement en tant que régime mais aussi en tant que système.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Statue of Charles de Gaulle Pars credits Tilemahos Efthimiadis (CC BY 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

La Ve République réalignée

Publié le 3 juin 2017
- A +

Par Jean Sénié.
Un article de Trop Libre

À l’heure où se multiplient les appels à une VIe République, qui cachent mal les désirs d’un retour à la IVe République, le politologue Philippe Raynaud publie un brillant essai sur l’Esprit de la Ve République. Paru avant l’élection présidentielle, il se révèle néanmoins d’une brûlante actualité à l’heure où l’élection d’Emmanuel Macron comme huitième président de la République française traduit l’émergence d’un nouveau système partisan.

C’est, en effet, le principal intérêt du livre que de proposer une analyse de l’histoire politique de la Ve République fondée sur la théorie des réalignements, telle qu’elle a notamment été exposée par Pierre Martin dans son ouvrage, Comprendre les évolutions électorales, la théorie des réalignements revisitée.

Philippe Raynaud précise d’emblée qu’il n’a pas de prétentions à écrire un manuel de droit constitutionnel, ni une histoire institutionnelle de la Ve République. Son analyse ne porte pas sur le régime mais bien sur le système, même s’il ne s’interdit pas de salutaires remarques sur d’éventuelles réformes constitutionnelles, comme, par exemple, une dose de proportionnelle aux élections législatives.

Une histoire politique au sens classique

Précisons qu’il ne s’agit pas non plus d’une histoire politique au sens classique, où se succéderaient les campagnes électorales et les scrutins, formant peut-être une impression de continuité mais rendant d’autant plus difficile à saisir les réalignements systémiques à l’œuvre sous notre République. C’est bien une réflexion, sereine et exigeante, sur l’esprit de la Ve République et sur son devenir.

Le premier trait marquant de la Ve République est de faire l’objet de contestations immédiates qui n’invalident pas pour autant l’attachement des Français à un exécutif fort, élu au suffrage universel.

La « monarchie présidentielle » reste encore l’objet d’un plébiscite que ne viennent pas directement remettre en cause la majorité des critiques, davantage occupés à critiquer le fonctionnement de la Ve République.

L’exécutif fort

C’est d’ailleurs ce qu’a compris le nouveau président de la République française lorsqu’il explique ne « pas croire au président normal ». La solution d’un exécutif fort qui n’avait cessé de travailler les théoriciens des IIIe et IVe République continue d’être encore acceptée.

Le rejet par le nouveau président d’une position d’« hyper-président » ou d’ « hypo-président » montre justement une compréhension de cette envie1.

Loin de n’être qu’un statut de communicant, ce qu’il est aussi, sa posture se confronte à la notion d’autorité, comme l’illustre son envie de raréfier la parole présidentielle. Emmanuel Macron a compris que la Ve République imposait de prendre de la distance, ou plutôt de la hauteur.

Le système des partis remis en cause

En revanche, ce qui est aujourd’hui remis en cause, et qui aboutira peut-être à un changement définitif au moment des législatives de juin 2017, c’est le système partisan tel qu’il a vécu depuis 1981, et surtout depuis 1983 avec ses différents avatars.

Ce système a été excellemment caractérisé, pour Philippe Raynaud, par l’ouvrage de François Furet, Jacques Julliard et Pierre Rosanvallon, intitulé La République du centre. L’alternance entre les deux partis, qui partagent leurs convictions, sur l’Europe, sur l’économie de marché ou encore sur l’Etat de droit, à partir de 1986, offre des politiques différentes mais sur un fond commun.

Cette situation aboutit à une crise du système partisan. Celle-ci s’est illustrée, d’une part, par la montée du vote en faveur du Front National et – dans une moindre mesure – en faveur de la gauche de la gauche, et, d’autre part, par l’augmentation de l’abstention aux élections.

Le problème du système électoral

Le système électoral a amplifié la crise de légitimité du système partisan. C’est ce phénomène qu’a pris en compte Emmanuel Macron dans sa campagne présidentielle. Le grand mérite du livre est de ne pas en rester au constat d’une remise en cause du système, voire de prendre cette dernière pour une crise de régime, mais de voir les réagencements à l’œuvre dans les élections de 2017. Ce qui est en train de se jouer avec les élections législatives de juin 2017 prend ainsi tout son sens.

Parmi les idées avancées par l’auteur pour remédier à la crise systémique se trouve l’introduction d’une dose de proportionnelle. Philippe Raynaud écrit ainsi en conclusion de sa réflexion que « l’établissement d’un scrutin intégrant une assez forte dose de proportionnelle pourrait apparaître comme le moyen de libérer les forces centrales de leur dépendance à l’égard des partis extrêmes tout en assurant la représentation des électeurs de ces derniers », et il ajoute « la Ve République réinventerait ainsi les procédés de la IVe, mais elle ne disparaîtrait pas pour autant » (p. 261). Cette configuration serait une réponse à la crise de légitimité que connaît aujourd’hui le système partisan, et qui rejaillit sur le régime.

Le parlementarisme rationalisé

Il propose, plus généralement, de combiner un droit de dissolution maintenu pour le président avec les principes du parlementarisme rationalisé qui permet au gouvernement d’assurer sa stabilité face au Parlement.

Si Philippe Raynaud ne juge pas d’un œil positif « l’adoucissement des règles du parlementarisme rationalisé par la révision de 2008 » puisqu’il « s’est avéré peu favorable au jeu parlementaire que voulaient restaurer les gouvernements formés sous François Hollande » (p. 257), il défend une possible clarification du mode de scrutin par le changement.

Un des principaux arguments en faveur de la proportionnelle est qu’elle permettrait une clarification du système partisan2. Une des leçons de ce livre est que cette modification n’est pas contraire à l’esprit de la Ve République ni, surtout, à son histoire.

Philippe Raynaud, L’esprit de la Ve république, Perrin, 2017, 250 pages.

 

Sur le web

  1. À la remise en cause de l’exercice de la présidence par les deux derniers titulaires de la fonction, il faudrait ajouter celui qu’a eu Jacques Chirac au cours de son second mandat.
  2. Raynaud Philippe, « Ve République improbable, VIe République impossible ? » in Duhamel Alain, et al. « Sur le dérèglement du système institutionnel », in Le Débat, vol. 191, no. 4, Paris, Gallimard, 2016, p. 17-43.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
Jean Paul Delevoye
1
Sauvegarder cet article

Par Jean Garrigues.

« Un palais de la main gauche, palais à femmes », ronchonnait le général de Gaulle en s’installant à l’Élysée en janvier 1959. Et il ajoutait : « Cette maison est trop bourgeoise, l’esprit n’y souffle pas. »

Aux yeux du militaire qu’était de Gaulle, cet hôtel particulier transformé en palais républicain ne présentait pas la solennité et l’austérité nécessaires pour incarner la grandeur de la Nation. Par ailleurs, il le trouvait trop enclavé dans le faubourg Saint-Honoré et peu fonctionnel avec ses enfilades d... Poursuivre la lecture

L'anniversaire de la Constitution de 1822 a été très discret.

Il y a deux siècles, le 23 septembre 1822, le roi de Portugal approuvait la Constitution rédigée par les Cortes constituantes réunies à Lisbonne. Première des six Constitutions portugaises, ce texte contradictoire s'efforce de concilier les traditions du pays, notamment un catholicisme ardent, avec les principes nouveaux du libéralisme.

Pays marqué par l'influence française dès ses origines, la première dynastie royale n'était-elle pas capétienne ? Le Portugal était e... Poursuivre la lecture

L’abrogation de l’arrêt Roe v. Wade (1973) par les juges de la Cour Suprême des États-Unis a suscité un vent de panique morale jusqu’en France : l’avortement serait-il menacé par ce retournement spectaculaire venu de Washington ? Pour plus de 400 avocats s’exprimant dans les colonnes du Journal du dimanche du 25 juin, il ne faut pas attendre que la loi Veil soit remise en question pour la sanctuariser et inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Au nom du groupe « Renaissance » au Parlement, Aurore Bergé a déposé une proposition ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles