Roger Moore : le succès d’un Britannique à la télévision

Roger Moore, décédé cette semaine, a été une incarnation parfaite des mutations télévisuelles des années 1960.

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The Saint by John Keogh(CC BY-NC 2.0)

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Roger Moore : le succès d’un Britannique à la télévision

Publié le 28 mai 2017
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Par Séverine Barthes.1
Un article de The Conversation

La carrière télévisuelle de Roger Moore se situe, pour une grande part, à cheval entre le Royaume-Uni et les États-Unis, à une époque où les producteurs britanniques tentaient de profiter des besoins américains pour exporter leurs programmes et où les productions américaines tentaient de contourner les barrières de la télévision britannique. Cela fait de lui une incarnation parfaite des mutations télévisuelles des années 1960.

« Gloire à Ivanhoé ! »

Son premier grand rôle, celui d’Ivanhoé dans la série éponyme, prend place dans une co-production anglo-américaine, qui cherche à tirer profit de – et à concurrencer – les réussites de Lew Grade, un grand producteur britannique qui est le premier à réussir avec succès à traverser l’Atlantique. Ce dernier est en effet à l’origine de la diffusion, en 1955 sur CBS, des Aventures de Robin des Bois, qui est saluée à l’époque par la presse comme de bien plus grande qualité que les programmes américains destinés à la jeunesse et comme une « réponse aux prières des mères » voulant que leurs enfants ne regardent plus de westerns qui faisaient la part belle aux armes à feu. Lew Grade réitère ce succès l’année suivante avec Les aventures de Lancelot, vendues à NBC.

Ces deux programmes lancent une vogue médiévale, forcément exotique pour des Américains, dont l’environnement ne comprend, par la force des choses, aucun château fort. Le lancement d’Ivanhoé, en 1958, se comprend dans ce contexte : il associe le producteur britannique Sydney Box et la maison de production américaine Screen Gems (propriété de Columbia). L’alliance est destinée à la fois à surfer, via une programmation en syndication aux États-Unis, sur cette vague médiévale anglophile et à permettre aux producteurs américains de pénétrer la télévision britannique (dont la réglementation, à l’époque, impose un seuil maximal de 14% de temps d’antenne consacré à des productions étrangères ; la coproduction permet de contourner ce seuil puisque le programme en question est alors considéré comme britannique).

La parenthèse américaine de Roger Moore

Ce rôle permet à Roger Moore, qui avant Ivanhoé avait enchaîné des rôles modestes au cinéma, de se faire connaître outre-Atlantique ; à la fin de la série britannique, il est embauché aux États-Unis pour un des rôles principaux d’une série de Warner Bros, The Alaskans (ABC, 1959-60), western se passant pendant la ruée vers l’or du Klondike (1896-99).

Le hasard fait qu’à la fin de cette série, James Garner, la star de la série Maverick (ABC, 1957-62) – elle aussi une production de Warner Bros –, veut renégocier son contrat, ce que la maison de production refuse. Elle le licencie et propose un rôle à Roger Moore, qui fait son entrée dans la série comme Beau Maverick, un cousin des frères Maverick. Le caractère britannique de l’acteur est mis à profit : Texan expatrié qui a pris brillamment part à la guerre de Sécession, Beau s’est ensuite installé en Angleterre et, au moment où il apparaît dans la série, il revient, en tant que gentleman nouvellement « anglais », contribuer à la prospérité de sa famille aux États-Unis. Cette série assoit la notoriété de Roger Moore auprès du public américain, même si le départ de James Garner fait baisser les audiences de la série (Maverick sort ainsi du Top 20 des meilleures audiences à partir de la saison 1960-61)

Roger Moore est Simon Templar

Mais c’est surtout avec Le Saint (1962-69) que Roger Moore va devenir une star. Lew Grade réussit à le faire revenir au Royaume-Uni avec cette série, totalement britannique, mais pensée pour le marché américain, ce qui est la marque de fabrique du producteur. Lew Grade tire ici profit du nouvel engouement pour les espions et justiciers anglais, qui a fait suite à un élément inattendu : en mars 1961, un reportage de Life chez le président Kennedy présente, entre autres choses, les lectures préférées de JFK. Parmi elles se cachent les aventures d’un espion anglais aujourd’hui mondialement renommé ! À la suite de cet article, les ventes des romans de Fleming explosent aux États-Unis et Goldfinger (1964) encaisse deux fois plus de recettes sur le sol américain que les deux films précédents réunis.

Le Saint va profiter de cette dynamique : les premières saisons, tournées en noir et blanc, sont diffusées au Royaume-Uni sur ITV et font de bons chiffres en syndication aux États-Unis. Ces bons résultats incitent NBC à diffuser la série en 1968 et 1969 et la production du Saint passe alors en couleur puisque, depuis 1963, NBC diffusait quasiment tout son prime time en couleur (c’était une des caractéristiques de NBC, d’où son logo multicolore et son accroche « The following program is brought to you in living color, on NBC ! », « Le programme qui suit vous est proposé en couleurs, sur NBC ! »). Au moment du passage de la série en couleurs, Roger Moore devient co-producteur de la série, ce qui est sans doute facilité par le fait qu’il est aussi réalisateur sur certains épisodes.

Les publicités que NBC publiait dans les journaux à l’époque capitalisaient totalement sur le succès de James Bond et, si Moore ne l’incarnait pas encore au cinéma, il y avait une réelle plus-value, dans les yeux du public ou des diffuseurs, dans la britannicité du personnage de Simon Templar : l’encart publicitaire pour la première diffusion du Saint sur NBC joue ainsi sur le modèle de la cible (dont l’aspect circulaire rappelle la vue interne du canon de revolver des prégénériques des films), sur l’action via les représentations de revolver et sur la présence de Shirley Eaton, la fameuse Jill Masterson de Goldfinger.

Cette série, vendue tout autour du monde, fait de Roger Moore une vraie star à la dimension internationale (au moins dans les deux grands marchés anglophones), au gimmick identifiable (le fameux haussement de sourcils) et au flegme britannique typique. Après la fin de la série, Roger Moore tourne deux films, mineurs, et c’est la télévision britannique qui lui donnera une nouvelle occasion de briller.

« Ça va, mon Lord ? »

En 1971, Roger Moore entame une nouvelle collaboration avec Lew Grade, Amicalement vôtre (là encore, Moore assure la réalisation de quelques épisodes et est coproducteur de la série), dont l’idée vient d’un des derniers épisodes du Saint où Simon Templar fait équipe avec un pétrolier texan. Le double objectif anglais et américain est matérialisé dans l’argument même de la série, avec les personnages de Brett Sinclair et de Danny Wilde, chaque public national pouvant rire des clichés concernant la nationalité opposée.

La série fait de très bons scores au Royaume-Uni (il est dans le top 20 des programmes les plus regardés), mais sa carrière est bien plus difficile aux États-Unis : sur ABC, Amicalement vôtre est en concurrence frontale avec Mission Impossible, la situation de la télévision américaine est particulièrement difficile à la rentrée 1971 (du fait d’une annulation massive de séries la saison précédente, d’où un renouvellement important des programmes, et d’une nouvelle réglementation de la FCC qui réduit les rentrées publicitaires des chaînes nationales) et les résultats très moyens d’Amicalement vôtre poussent ABC à annuler la diffusion sans même aller jusqu’au bout de la série.

C’est en revanche un très franc succès sur les autres marchés, la série est vendue à travers toute l’Europe et devient très populaire en France, en Allemagne, en Italie, en Suède, en Russie, etc. Dans certains de ces pays, le doublage, soigné, est une part importante de ce succès.

Après l’arrêt d’Amicalement vôtre s’ouvre une nouvelle ère pour Roger Moore, qui devient James Bond et va incarner la britannicité ultime sur les grands écrans du monde entier. Mais c’est là une autre histoire…

Sur le web-Article publié sous licence Creative Commons.The Conversation

  1.  Séverine Barthes est Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC.

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