Ce que vous ignorez dans l’ombre des cabinets ministériels

Derrière la légitimité des ministres, les décisions techniques sont très souvent prises par les directeurs de cabinet ou les conseillers.

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Ce que vous ignorez dans l’ombre des cabinets ministériels

Publié le 21 mai 2017
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Par Eric Verhaeghe.

Les cabinets ministériels sont devenus, au fil du temps, sous la Vème République, de véritables shadow cabinets, au sens propre du terme. Autrement dit, derrière les apparences respectables et légitimes offertes par les ministres, les décisions techniques sont très souvent prises par les directeurs de cabinet ou les conseillers qui tendent à se substituer aux administrations et aux ministres pour réglementer ou légiférer.

Ce gouvernement de l’ombre obéit d’ailleurs à un formalisme relatif, avec ses réunions interministérielles et son réseau de conseillers qui fonctionnent souvent avec une relative coordination.

En nommant des ministres sans expérience ou issus de la société civile, Emmanuel Macron a bien senti le danger : face à des personnalités démunies devant l’extrême technicité des dossiers, la technostructure se régale et tend à prendre le pouvoir. Pour répondre au danger, les ministres ont souvent la tentation de recruter des cabinets ministériels pléthoriques, qui ne font qu’aggraver le mal, en coupant définitivement le ministre de la réalité concrète des services dont il a la charge.

Les premiers jours du quinquennat méritent ici d’être regardés de près, tant ils illustrent la croisée des chemins où se trouve le projet de « renouvellement jusqu’au bout » annoncé par Emmanuel Macron.

Macron tente d’éviter les dérives par un décret présidentiel inédit

On saluera l’innovation d’Emmanuel Macron pour éviter les dérives des shadow cabinets. Il s’est fendu aujourd’hui d’un décret présidentiel pour encadrer le fonctionnement de ceux-ci. C’est la première fois qu’un gouvernement doit obéir à un décret présidentiel sur le sujet. Traditionnellement, les règles sont fixées par une circulaire du Premier ministre.

Le décret Macron limite à dix conseillers le volume d’un cabinet ministériel, et précise les règles de transparence inédites qui s’appliquent à l’exercice :

Cet arrêté, publié au Journal officiel, précise les titres des personnes concernées et l’emploi auquel elles sont appelées au sein du cabinet. Nul ne peut exercer des tâches au sein d’un cabinet ministériel s’il ne figure sur cet arrêté.

On suivra dans la durée l’application de ce texte. Une spécialité des gouvernements consiste en effet à sombrer rapidement dans une inflation des conseillers et dans le recrutement de « clandestins » qui, officiellement, appartiennent aux services ordinaires mais sont en réalité affectés auprès du ministre. Il faudra voir si, dans quelques mois, face à la charge de travail, le gouvernement Philippe ne retombe pas dans les travers habituels des équipes précédentes.

Une curieuse cartographie des directeurs de cabinet

Face à ces tentations, les cabinets risquent de ne pas résister longtemps. Ce qu’on sait d’eux aujourd’hui est déjà très significatif d’une tendance contre laquelle le Premier ministre devra lutter, puisque le décret Macron confie à celui-ci le soin d’en assurer le respect. Ici, la situation ne manque pas d’être croustillante.

À Matignon, Édouard Philippe a choisi un directeur de cabinet qui appartient à la même promotion ENA que lui, et qui, en 2002, fut conseiller technique de Raffarin à Matignon. À Bercy, Bruno Le Maire a également choisi un énarque, Emmanuel Moulin, pour diriger son cabinet. L’intéressé fut également en cabinet sous Sarkozy, dont il fut d’ailleurs le conseiller économique. Gérald Darmanin a pour sa part retenu Jérôme Fournel, en son temps conseiller budgétaire de Luc Ferry alors ministre de l’Éducation. Nicolas Hulot a quant à lui retenu Michèle Pappalardo, conseillère à la Cour des Comptes… et ancienne des cabinets Barnier et Bachelot.

On le voit, les principaux cabinets du gouvernement sont à ce stade tenus par des conseillers de droite. On comprend que, pour le Président, il existe un enjeu de fait à recentrer l’action des ministres au sein de leur département ministériel. Il ne faudrait pas que les cabinets reconstituent une ligue de droit dissoute et biaise les options politiques du gouvernement.

Repenser le statut des membres des cabinets ministériels

Sur le fond, il reste un tabou essentiel autour des cabinets ministériels : ils sont les principaux vecteurs d’une regrettable politisation de la fonction publique. Jusqu’ici, le passage en cabinet s’est en effet imposé comme le préalable à toute nomination comme directeur d’administration centrale (ceux-là même que Macron veut soumettre à un salutaire mais encore timide spoil system).

Or, l’un des vices de l’État, et l’une des raisons de sa profonde obsolescence, tient à l’esprit de Cour qui accompagne la politisation de la haute fonction publique, à cause de laquelle des personnalités parfois médiocres ont accaparé les postes grâce à leur servilité au pouvoir. C’est ce mal-là qu’il faut combattre, et ce n’est pas une mince affaire.

Pour y parvenir, le président de la République aurait pu prendre des mesures plus novatrices. Par exemple, le bon sens voudrait qu’un fonctionnaire soit obligé de se mettre en disponibilité lorsqu’il rejoint un cabinet ministériel. Il devrait être clair, dès son arrivée, qu’il lui sera interdit de tenir le moindre poste de directeur dans l’administration qu’il a dirigée auprès du ministre. Ces mesures techniques permettraient d’enrayer la politisation des administrations.

On n’en est pas là. Mais déjà, si Emmanuel Macron parvient à mettre effectivement en oeuvre son décret, on pourra s’en féliciter. Même si ce décret est un début, et non une fin.

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  • Je ne comprends pas où vous voulez en venir!
    Vous semblez dire que ce décret Macron ameliore les choses mais ce n’est pas les cas. La seule façon pour qu’une chaine hiérarchique fonctionne quelque soit les individus est la responsabilisation individuelle , chacun doit répondre de ses actes , il faudrait une sorte IGS ministériel avec des sanctions motivantes et rapides.
    Un exemple avec notre segolene qui ,vu ses actes,mériterait la prison à vie..comme d’autres et pas des récompenses sous forme de mutations

    • Sauf erreur Michèle Papalardo a tout de même un respectable passé dans l’environnement. C’est mieux que rien

      C’est probablement Macron et Philippe qui ont imposé une partie des directeurs (oeils du patron)

      Il reste lamentable de nommer des ministres par souci d’équilibre « sexuel » ou de parti ou comme « prise de guerre » ou pour récompenser.

      • Bof, on est encore repartis dans une république des copains, que ce soient des copains de la même école ou des copains de table, peu importe.

        Leur demander d’assumer leurs actes en cas de plantage est tout aussi réaliste que de demander 1 million de $ à quelqu’un sans contrepartie. Après tout ce n’est pas cher, ce sont les autres qui payent.
        Ce gouvernement ressemble de plus en plus à une émission de téléréalité. Et pendant que les people seront en vitrine, les invisibles continueront leur besogne.

        • La République des copains est après tout normal mais en prenant des amis faut il que cela ne soit pas de faux amis….dans un même milieu l’ami est toujours un faux ami ,toujours prêt à vous planter un couteau dans le dos !

        • on demande à un locataire de déposer un dépôt de garantie avec de lui laisser les clefs d’un logement. pourquoi n’exige t’on pas la même chose de la part de ceux qui prétendent être capables de gouverner et de gérer la france ?
          j’y vois deux avantages :
          – déjà ne viendraient que ceux qui ont fait la preuve qu’ils savent gérer, économiser et accumuler un budget et un patrimoine,
          – étant responsables à hauteur de ce dépôt de garantie (qui reste à définir), leurs ardeurs seraient un peu freinées et ils y réfléchiraient à deux fois avant de se livrer à leurs débauches de gaspillages.

        • Dans un groupe social c’est une chose parfaitement naturelle : il est plus aisé de faire confiance à quelqu’un que l’on connait qu’à quelqu’un recruté sur CV. La même raison explique le phénomène de « réseau » : confier des responsabilités à une personne recommandée par un ami est plus simple et a prioro moins risqué que si la personne est inconnue

  • Ma lecture de ce décret, ainsi que de la pratique qui l’accompagne immédiatement (regard de l’Elysée sur les nominations dans les cabinets pouvant aller jusqu’à imposer certains membres voire le dircab soi-même) : on limite la marge de manoeuvre du ministre. C’est la haute administration qui va contrôler les choses, encore plus qu’aujourd’hui ce qui n’est pas peu dire.
    Bienvenue en technocratie. (Au secours !)

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