« L’horreur politique. L’État contre la société », d’Olivier Babeau

Pourquoi et comment le périmètre de l’État s’est-il tant étendu dans des pays comme la France ? À quelles dérives cela a-t-il mené ? En quoi cela mine-t-il notre démocratie ? Comment sortir de ce mécanisme infernal ?

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« L’horreur politique. L’État contre la société », d’Olivier Babeau

Publié le 20 avril 2017
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Par Johan Rivalland.

Olivier Babeau nous avait récemment gratifié d’un très intéressant La nouvelle ferme des animaux, présentation métaphorique très instructive et pédagogique  inspirée du célèbre roman de Georges Orwell et adaptée aux temps actuels.

Il nous revient avec cet ouvrage didactique, mais non moins passionnant et instructif, portant sur les ressorts de l’ascension de l’État, leur caractère pervers et les incidences que cela a en termes à la fois d’efficacité comme d’interrogations suscitées au sujet du fonctionnement de notre démocratie.

 

Une analyse dans la lignée de l’École des choix publics

Après L’horreur économique  (dans un tout autre genre, à vrai dire assez opposé) de Viviane Forrester, qui avait connu un énorme succès en son temps, L’horreur étatique d’Alain Le Bihan, présenté sur ce site, de même que L’horreur fiscale, place donc cette fois à L’horreur politique. Non sans points communs avec ces derniers et probablement en forme de clin d’œil.

Un ouvrage très bien écrit, intelligent, pédagogique, et surtout parsemé de références, au premier plan desquelles on appréciera la forte parenté avec les auteurs de l’École du Public Choice, régulièrement cités mais très peu abordés de manière un peu plus approfondie en France hélas, malgré la pertinence des idées représentées.

 

La mécanique perverse du système

En ces temps perturbés où l’on peut être tentés de penser que trop nombreux sont les hommes politiques corrompus, voire qui seraient « tous pourris » selon certains, Olivier Babeau nous objecte que ce n’est pas tant le problème que plutôt le symptôme. En effet, c’est plus la mécanique du système qui est en cause que les hommes eux-mêmes (sans retirer, bien sûr, à leur culpabilité personnelle).

« La nature humaine est faite de telle façon qu’il serait tout à fait irréaliste de penser qu’un individu, parce qu’il devient fonctionnaire ou député, adopte tout à coup une façon radicalement différente de se comporter, s’oubliant au profit d’un investissement entier dans l’intérêt public. Cette mystique de la fonction publique, qui assimile les serviteurs de l’État au clergé dévoué du culte de l’intérêt général, n’est tout simplement pas réaliste […] Le cas de corruption mis à part, l’État est plutôt un lieu de marchandage, de négociation, où s’échangent des « biens » qui n’ont littéralement pas de prix, c’est-à-dire pas de marché classique : le prestige, le mandat, le pouvoir, etc. Pour les acquérir, les acteurs publics peuvent mobiliser des ressources qui ne sont pas les leurs et sont virtuellement infinies, via l’impôt ou l’emprunt par exemple. Pas de marché plus imparfait que celui des échanges dans l’État, donc. »

 

Le système tel qu’il est

Il insiste ainsi sur le fait qu’il n’existe pas de « dérive » actuelle du système, mais que les maux constatés lui sont consubstantiels, qu’ils en sont le cours prévisible et habituel.

« Médiatisées par le vote et l’action de représentants, les démocraties indirectes telles que les nôtres connaissent aussi des excès, mais qui s’expriment moins dans la brusquerie de l’instant que par lentes dérives. Ces excès du pouvoir démocratique ne sont pas seulement plus profonds, ils ont aussi une inertie plus grande, du fait des décalages entre les décisionnaires réels et ceux – les électeurs – qui leur confèrent leur pouvoir. »

 

L’État obèse : l’implacable tendance à l’expansion du périmètre de l’action publique

Dans une première partie, Olivier Babeau s’attache donc à montrer de quelle manière l’État a étendu et continue d’étendre sa sphère d’influence de manière inexorable, sous l’effet imparable de l’action de la bureaucratie, des politiciens et des électeurs, tous trois s’alimentant les uns les autres dans ce qui forme « le socle de l’horreur politique ».

Il s’appuie pour cela à la fois sur des rappels historiques, mais aussi sur un ensemble de « lois » implicites permettant de décrire les mécanismes en jeu.

 

La montée de la sphère bureaucratique

Pour commencer, il montre que cette tendance implacable se vérifie dans tous les pays démocratiques développés, s’inscrit dans leurs gènes et s’y observe partout historiquement.

Un État qui s’immisce de manière croissante dans tous les aspects de notre vie. Mais surtout un État obèse qui poursuit ses objectifs propres et dont la croissance est sans limites. D’autant plus sûrement que le pouvoir est parvenu à créer l’illusion que l’ordre existant est naturel.

« La sacralisation de l’État est le pilier protecteur de l’obésité étatique, le bouclier qui empêche toute remise en question. Elle lui permet d’être par définition légitime à se saisir de virtuellement tous les problèmes. »

Et il s’appuie pour cela notamment, de manière particulièrement opportune, sur une invention bien commode qui en rend le périmètre quasiment infini : la notion de service public.

 

Les promesses non crédibles des politiques

Mais tout cela ne serait pas possible si la propension des politiques à établir des promesses (la plupart du temps non crédibles) et des électeurs à les suivre (quoi qu’on en dise) n’était si forte.

« Non seulement ne pas respecter ses promesses est peu risqué pour l’homme politique, mais encore cela est-il plus souvent profitable que de tenir parole. Pour une raison essentielle : les électeurs ne jugent pas un homme politique sur ce qu’il fait réellement. Cela permet à ce dernier de dissocier sans peine son programme de la réalité, et même ensuite d’être réélu malgré le grand décalage entre les deux. »

Non pas, là encore, que les politiques soient des sortes d’êtres malfaisants ou « tous pourris », comme nous y insistions plus haut.

Mais, comme le décrit parfaitement bien Olivier Babeau à travers des pages qui méritent d’être lues et sont très évocatrices, le véritable parcours du combattant, semé d’embûches ou autres chausse-trappes, d’un homme ou d’une femme politique est tel qu’il joue très gros lors d’une élection (il faut vraiment lire ces pages pour en prendre pleinement conscience).

 

Pas d’autre issue possible

Ce qui lui permet difficilement de concevoir autrement les choses qu’il ne le fait. Sans quoi il n’aura, de toute façon, aucune chance de pouvoir espérer mettre en pratique ce qui lui semblerait réellement le mieux indiqué.

En lisant ces pages, on conçoit clairement à quel point le système tel qu’il fonctionne permet difficilement d’entrevoir une autre issue, et ce quoi qu’on en pense.

Or, rien de plus difficile pour des électeurs que d’évaluer les performances d’un politique, tant cette mesure s’avère complexe et quand on sait qu’il n’est pas rare que des décisions ou politiques engagées aient des retombées plusieurs années, voire parfois plusieurs décennies plus tard (développement du nucléaire en France, par exemple).

Sans oublier le rôle joué par la communication, le marketing politique, les émotions, la surévaluation ou, au contraire, la sous-évaluation de la part de l’action d’un politique sur certains résultats, la responsabilité réelle du politique sur ceux-ci, la multiplicité des champs d’action, etc.

Difficile de s’y retrouver pour un électeur un peu perdu et, qui plus est, n’ayant pas toujours bonne mémoire des promesses ou actions engagées.

Et on comprend mieux, dans ce contexte, comment on en vient à être dans la surenchère sur les promesses d’intervention de l’État, dont il est un fait que la plupart des électeurs en attendent beaucoup et auprès duquel beaucoup sont prêts à se soumettre, l’inverse s’avérant somme toute assez suicidaire politiquement.

 

Le rôle des électeurs

En fin de compte, comme le note Olivier Babeau, les citoyens finissent par agir dans le sens de leur propre asservissement.

Et pour le politique, « faire campagne ou gérer une ville, c’est recevoir un flux continuel de demandes de logements, emplois, aides financières, services ou dérogations particulières de toutes sortes ». Chacun étant conscient des règles qui s’imposent théoriquement, mais trouvant « parfaitement normal de faire une exception pour lui ».

« Le meilleur argument contre la démocratie, selon Churchill, est [ainsi] de discuter deux minutes avec un électeur moyen. »

Olivier Babeau retrace alors la manière dont Wilhelm Röpke montrait que le consumérisme favorise le développement de revendications collectives, et stimule la demande pour le développement de l’État-providence, selon un cercle vicieux producteur de mal-être existentiel, à travers la destruction des communautés naturelles et la disparition de la culture humaniste.

 

Le passager clandestin

Une situation d’autant plus paradoxale et inquiétante que l’on sait tous que, les mêmes qui exigent toujours plus de services fournis gratuitement, protestent vigoureusement lorsqu’il s’agit d’en payer la charge à travers l’imposition (sauf, bien sûr, lorsqu’il s’agit des autres). Le simple résultat de la simple ignorance, hélas si répandue, lorsque ce n’est pas le phénomène notoirement connu du passager clandestin.

Le problème est que tout cela coûte très cher et que l’endettement de l’État est tel que lorsqu’il ne sera plus possible de rembourser (problématique très en vogue durant la campagne électorale de la présidentielle 2017, au cours de laquelle on a assisté à une véritable surenchère en matière de projets de nouvelles dépenses), les dindons de la farce (épargnants, travailleurs consciencieux, bons pères de famille…) seront nombreux.

 

L’État partial et la question de l’efficacité

Si encore la croissance de l’État pouvait être efficace, ajoute Olivier Babeau.

Mais hélas, « clientélisme, favoritisme, influence, privilèges, décisions absurdes et échecs économiques sont le quotidien du fonctionnement réel de l’État », comme il le montre (brillamment) dans la deuxième partie du livre, que je vous invite à lire.

« La Révolution française, précisément, s’est faite au nom de la fin des privilèges. Elle n’a fait qu’en créer de nouveaux. »

Un bien triste constat.

Où il est question de puissance du lobbying, d’intérêts catégoriels, de prédominance de la haute administration sur le politique, d’opacité, mais aussi de l’incroyable prolifération des taxes, impositions et réglementations en tous genres (à en donner le tournis), de la terrible inertie de l’État face aux évolutions économiques, ou encore des multiples défections, manques de vision ou défaillances dans les interventions de celui-ci et autre cercle vicieux bureaucratique.

 

Donner une seconde chance à la démocratie

Notre auteur insiste cependant sur le fait que son essai ne cherche pas à établir le procès de l’existence de l’État, mais à montrer que les dérives et excès de recours à ses services le transforment en machine infernale.

« Livré par faiblesse et facilité aux égoïsmes maquillés des groupes et lobbies en tout genre, il devient haïssable. Dévastant par ses prédations, sa maladresse et ses prétentions une économie dont il tire pourtant ses ressources, il est tout simplement dangereux. »

Et, pour reprendre une idée chère à Jean-François Revel, il souligne que l’État peut parfaitement être liberticide et faible, et inversement circonscrit mais fort.

S’appuyant, entre autres, sur l’exemple de pays qui ont réduit sensiblement le périmètre de leur État ces dernières années, redressant ainsi de manière sensible leur santé économique et sociale, il affirme que les démocraties se sont trop souvent transformées en « oligarchies de connivence », l’étatisme n’étant « pas le médicament, mais la maladie elle-même ». Ce qui aboutit à ce que la démocratie finisse par aller à l’encontre des libertés.

C’est pourquoi Olivier Babeau présente trois grands axes de transformation simples, susceptibles selon lui de remédier aux maux décrits précédemment.

 

Quels axes d’action ?

Ces trois axes d’action portent respectivement :

  1. Sur une réforme de l’accès à la haute administration et de ses modes de fonctionnement.
  2. Une remise en cause de l’oligarchie politique, liée à la professionnalisation de la vie politique, ainsi qu’une application du principe de subsidiarité.
  3. Une modernisation ou transformation de notre système démocratique.

 

Des propositions ouvertes, mais que je vous laisse découvrir en lisant l’ouvrage…

Juste sur le dernier point, sans doute le plus intéressant, précisons que si l’auteur ne remet absolument pas en cause la démocratie, il s’inquiète en revanche du recul de l’adhésion qui y est constatée, notamment chez nous, au profit de systèmes parfois moins respectueux des libertés fondamentales.

 

L’épuisement démocratique

L’épuisement démocratique tel qu’il fonctionne, la focalisation permanente sur l’élection et le rôle qu’y jouent les médias, ne plaident pas en faveur d’un système qui conduit à ce que l’élection d’un responsable politique soit assimilable à la vente de n’importe quel produit commercial :

« On élit une personne exactement comme on choisit une boîte de petits pois dans un rayon : la décision dépendra d’un geste et d’un seul – l’urne ou le caddie servant de réceptacle – que mille facteurs plus ou moins rationnels pourront influencer, y compris et surtout jusqu’au dernier moment. 22 % des électeurs, selon un sondage réalisé en 2012, disaient ne se décider qu’au tout dernier moment. Le choix final dépendra très peu, on le sait, du programme réel ou du sérieux du candidat, mais en grande partie de la somme confuse des impressions reçues le concernant. La couleur d’une cravate, le charisme d’une personne, la trace d’une petite phrase qui aura plu ou non, seront souvent les déterminants des choix. Le citoyen sera ainsi bombardé de tentatives d’influence de son vote exactement comme il l’est de sollicitations commerciales. »

 

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