Pessa’h, les Juifs fêtent la liberté

Présentation de Pessa’h, la Pâque juive, et de sa signification.

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Pessa’h, les Juifs fêtent la liberté

Publié le 13 avril 2017
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Par Sacha Benhamou.

Cette semaine, les Juifs fêtent Pessa’h, la Pâque juive, commémoration de la libération des Hébreux de l’esclavage en Égypte ancienne. L’exégèse juive est toujours multiple, procédant d’une « lecture infinie »1 du texte, mais j’y vois l’occasion de partager ce que Pessa’h me dit sur la liberté.

Dans la Torah, et dans la Bible donc, après de nombreuses décennies d’esclavage sous les Pharaons d’Égypte, D.ieu voit la détresse du peuple et envoie Moïse. Malgré plusieurs avertissements, Pharaon refuse d’obéir à l’ordre divin, alors D.ieu envoie sur l’Égypte dix plaies dévastatrices qui y sèment la désolation, détruisant bétail et récoltes, et pour finir les premiers nés. Pharaon céda enfin, et chasse ses anciens esclaves du pays. Les Israélites s’en vont dans une telle hâte, que le pain qui devait leur servir de provision pour la route n’a pas le temps de lever.

C’est pour cela que durant la semaine de Pessa’h, les Juifs s’abstiennent de toute pâte levée. Nous verrons que nous pouvons donner à cette prescription une explication encore plus profonde. En effet, la hâte du départ n’est pas la cause de cette prescription, car dans la Torah, D.ieu prescrit la fabrication de galette, matsa, en vue du départ. Il promet la délivrance et ordonne déjà le rituel de sa commémoration.

L’importance de la liberté dans la Torah

Le récit de la sortie d’Égypte, à laquelle succède le don de la Torah (la Loi), constitue l’événement fondateur du judaïsme comme religion et du peuple juif comme Nation, son « identité narrative » pour reprendre l’expression de Paul Ricœur. En effet, dans le récit biblique, jusqu’à la sortie d’Égypte, le judaïsme, si on pouvait l’appeler ainsi, n’existe qu’à travers des relations unipersonnelles entre des personnages d’exception (de Adam à Joseph) et D.ieu. Mais le don de la Torah, consécutif de la sortie d’Égypte, est un pacte accepté par les Hébreux en tant que peuple. Le mois juif de Nissan, mois durant lequel est fêté Pessa’h, est le premier du calendrier liturgique, et la sortie d’Égypte, yestiat mistraim, comme événement fondateur est rappelée dans tous les moments liturgiques juifs.

On peut dès lors affirmer que cette idée de libération est primordiale dans le judaïsme, la liberté est le principe précédent le don de la Loi. D’ailleurs, les 10 commandements, premiers extraits de la Torah donnés aux Hébreux, sont introduits par « Je suis l’Éternel, ton D.ieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude »2. D.ieu ne se révèle pas aux Hébreux comme le Créateur, mais comme leur Libérateur et leur demande de le reconnaître comme tel. Ce faisant, aux règles Il fait précéder la liberté, comme principe. Cette centralité de la liberté dans le judaïsme amènera Martin Buber à faire dire à un de ses personnages de roman « D.ieu m’a fait libre et je le trahis si je me laisse contraindre »3

La liberté dans le rituel de Pessa’h

Outre la liturgie synagogale, le rituel de Pessa‘h consiste essentiellement en un dîner fortement codifié durant lequel la Haggadah de Pessa’h, récit de la sortie d’Égypte et discussions talmudiques relatives, est lue, et la liberté mise en scène, jouée. Ainsi, durant ce repas, nous buvons nos coupes de vin (quatre sont obligatoires) accoudés sur le côté gauche. Cette attitude désinvolte marque notre égalité dans la liberté, alors qu’une telle position ne serait pas convenable pour un esclave devant son maigre repas.

Ce que nous fêtons à Pessah, c’est l’émancipation et la liberté. Mais, par cette lecture du récit de la sortie d’Égypte, il ne s’agit pas seulement de commémorer par cette nuit notre libération, comme le passage définitif d’un état d’esclave à un état d’Homme libre. Chaque année nous devons nous rappeler que la liberté est un combat de tous les jours, perpétuel, permanent, qu’on acquiert progressivement, et qui n’est jamais définitivement acquise. « La liberté consiste à savoir que la liberté est en péril » disait Levinas4. Tout le sens de l’Histoire humaine se trouve dans cette quête ultime.

Ce caractère dynamique de la libération est symbolisé par l’interdiction de la pâte levée, remplacée par des galettes. En effet, comme dit précédemment, la hâte du départ n’est pas une explication totalement satisfaisante (mais elle a le mérite de donner une illustration claire aux enfants). Pour qu’une pâte lève, il faut qu’elle se repose, or les Hébreux ont fui l’Égypte et emporté la pâte avec eux. Le ballottement permanent de la pâte l’aurait alors empêchée de lever. Ainsi, la consommation de galettes symbolise le mouvement, la dynamique de l’émancipation. Ce n’est pas la liberté qui est en mouvement mais les femmes et les hommes qui sont à sa recherche. Cela nous rappelle précisément que nous avons, individuellement, un rôle actif à tenir dans notre émancipation. Si nous voulons que le monde s’améliore, on ne peut se contenter de tourner le dos à notre responsabilité en dénonçant la « société » et attendre de l’État qu’il la corrige. S’il y a une révolution à faire, elle commence par nous-mêmes, celle de notre propre vertu comme une exigence pour soi. Il faut avoir le courage de se battre pour ses idées, comme les Hébreux lors de la dixième plaie : pour qu’elle ne touche que les Égyptiens, ils sacrifièrent un agneau et badigeonnèrent le linteau de leur porte de son sang, alors que l’agneau était pour les Égyptiens d’alors une bête sacrée, une provocation potentiellement mortelle (je salue mon Rabbin de qui j’ai entendu cet enseignement récemment).

On retrouve cette conception individualiste de la foi, de l’émancipation collective par la seule vertu des individus, libres de leur choix, chez Kafka, faisant du judaïsme une religion de liberté : « Le Messie viendra dès l’instant où l’individualisme le plus déréglé sera possible dans la foi  – où il ne se trouvera personne pour détruire cette possibilité et personne pour tolérer cette destruction, c’est-à-dire quand les tombes s’ouvriront », « le Messie ne viendra que lorsqu’il ne sera plus nécessaire, il ne viendra qu’un jour après son arrivée, il ne viendra pas au dernier, mais au tout dernier jour. »5. La principale question que pose l’attente messianique est de savoir quand. Pour la plupart des penseurs juifs, la venue du Messie ne dépend pas d’un compte à rebours déterminé mais de notre mérite. Le Messie ne viendra pas sauver le monde, mais quand chacun aura entrepris de le sauver.

Qu’est-ce que la liberté ?

Plus tard dans le récit, le peuple se plaint à Moise : « Qui nous donnera de la viande à manger ? Nous nous souvenons des poissons que nous mangions en Égypte, et qui ne nous coûtaient rien, des concombres, des melons, des poireaux, des oignons et des aulx. Maintenant, notre âme est desséchée : plus rien ! Nos yeux ne voient que de la manne. »6. Ce n’est pas la seule fois durant leur fuite dans le désert que les Hébreux devant la difficulté viennent à en regretter l’Égypte où ils étaient esclaves, mais vivaient dans l’abondance qu’offrait le pays. À chaque fois, D.ieu se met en colère. Dans cette perspective, la Torah nous enseigne que la liberté c’est d’abord la possibilité de faire nos propres choix, nonobstant nos conditions matérielles.

  1.  David Banon, La lecture infinie, les voies de l’interprétation midrachique, Seuil, Art et Littérature, 1987
  2.  Exode 20:2–17
  3.  Martin Buber, Gog et Magog, Gallimard
  4. Emmanuel Levinas, Totalité et infini, Essai sur l’extériorité, Le Livre de poche
  5.  Franz Kafka, Préparatifs de noce à la campagne, op. cit., p. 81-82 et Hochzeitsvorbereitungen auf dem Lande und andere Prosa aus dem Nachlass, Francfort-sur-le-Main, Fischer, 1966, p. 88-89.
  6.  Nombres 11:4–6
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  • Ca me dépasse toujours un peu les croyants… je suis le premier a vous défendre, a défendre le droit de n’importe quel croyant de croire en paix, et de pratiquer sa foi comme il l’entend… et je suis super large sur le sujet. Je défend de la petite croix à la burqua, etc… et toutes autres éléments qui poussent un croyant a pratiquer sa foi comme il l’entend individuellement. Mais la on parle d’un sujet de fond et la j’avoue ca me dépasse.

    1) c’est gravement tiré par les cheveux la liaison entre Pessa’h et liberté… quand on veut faire une liaison entre 2 « items », c’est toujours possible… mais c’est souvent tiré par les cheveux.

    2) on ne mange pas de pates levés car ce jour, soit disant, une pate n’a pas levée… ce n’est pas de la liberté… c’est juste de la soumission à un écrit… rédigé il y a des milliers d’années… la liberté c’est précisément de ne pas le faire si on a envie, et de le faire si ca nous chante… mais en tant que croyant, vous vous l’imposez, tout du moins la religion vous l’impose, puisque vous passeriez pour « mauvais juif » si vous ne le faisiez pas.

    Je vais pas mentir, attendre le messie… j’arrive pas… j’arrive pas a me dire qu’on puisse imaginer qu’il peut exister un messie… (et je crois que c’est le cas aussi des chretiens avec Jesus, pour l’islam je sais pas, et je crois que les protestants non) mais surtout… cela va en contradiction avec votre propos. Ou vous dites TRES JUSTEMENT qu’il ne faut pas attendre de l’Etat pour réussir, mais faire soit meme… et la vous attendez (activement puisque selon vous il viendra quand tous les hommes auront fait leur béa) qu’un messie vienne faire je ne sais quoi… L’homme libre n’attend, en effet pas que l’Etat puisse faire a sa place, mais 1) quand l’Etat fait tout a sa place, il est en droit de réclamer de la liberté, et il ne peut le réclamer qu’a l’Etat, et 2) la liberté est individuelle et non collective. Quand elle devient collective et dogmatique… ce n’est plus de la liberté, mais de l’aliénation (donc croire etre libre et ne pas l’etre du tout).

    Bien évidemment il existe des croyants qui vont contredire mon propos, et j’aurais meme envie de dire, que comme dans toutes les religions, souvent les orthodoxes, qui pratiquent la religion de manière volontaire et intégrale donc, personne ne leur impose, puisqu’ils le font librement de leur propre volonté. Mais quand un croyant peu pratiquant fait Pessah il le fait pour les autres, de peur d’etre juger par les autres… Cela me rappel une histoire avec un de mes clients d’ailleurs. C’était sur Paris, un commercant juif, dans un quartier plutot juif de Paris ( je précise cela car justement c’est de cela que je veux parler )… bref j’ai rendez-vous avec lui le samedi, il me téléphone et me dit « par contre il faut passer par derrière car la boutique est fermée et personne ne doit voir que j’y suis, normalement je ne dois pas travailler le samedi » Je ne vous dit pas le produit qu’il vend, mais c’est un produit communautaire juif… donc cela accentue cela… Bref il est libre… mais se cache pour ne pas dévoiler aux autres commercants juifs a proximité, qu’il ne pratique pas vraiment « comme il faut »… donc non, quand on est dépendant d’une religion, nous ne sommes pas libre, et essentiellement pour les peu croyants… encore une fois pour moi, les orthodoxes (chretiens, juifs, musulmans) ne sont pas concernés par mon propos, car eux pratiquent, non pas par pression populaire mais par volonté.

    • Bien qu’athée, je ne souscris pas à votre point de vue. Une autre manière de voir les choses est qu’un croyant peu pratiquant est libre de ne pas participer à certains rites, mais au risque d’être rejeté par sa communauté – il doit donc faire un choix entre son envie de ne pas pratiquer et son envie d’être dans la communauté. L’action de votre client est un acte de liberté (non assumé) il me semble. Par ailleurs la pression n’est pas aussi importante que vous le dites: peut-être pour un commerçant, dans son commerce, s’il ne veut pas perdre ses clients, mais de nombreux croyants (juifs ou autres) vivent leur vie comme ils l’entendent sans conséquences notables, au moins en France.

    • Le commentaire amène à plus de réflexions que l’article!

      Est ce que cet utilisation de la symbolique n’est pas simplement une façon d’expliquer et de transmettre un certain nombre de pratiques sociales ou culturelles pour le plus grand nombre ?
      Cette symbolique ne serait que la première étape, qu’une invitation à approfondir, se connaître, se définir et construire son espace de liberté.

      La Foi repose sur des pratiques, des « histoires », des modes de vie structurés. (voisins ou cousins dans toutes les Religions ou les « sociétés initiatiques »)
      Mais respecter ces pratiques ne font pas d’un homme un croyant.
      D’ailleurs, la raison première des conflits est que les hommes se disent croyants alors qu’ils ne sont que pratiquants : entre l’emballage et le contenu, il y a des différences. Pourtant la finalité est la même. Mais on se bat sur les différences.

      On retrouve dans ce texte l’idée de Soljenitsyne dans « Goulag »:
      Un esprit libre dans un univers de contraintes.

    • Bonjour,

      Merci pour votre commentaire, comme je suis l’auteur de l’article je me permets de vous répondre.

      D’abord je tiens à dire que je suis moi-même que moyennement pratiquant et que cet article n’a pas vocation à être prosélyte. Mes deux centres d’intérêts étant la philosophie libérale et la culture juive, je suis avide de concilier les deux. Et dans ce cas précis ma démarche est de montrer, que même si on ne peut pas qualifier la Bible de « libéral », le libéralisme procède de divers héritages qui ont fondé l’Occident: culture judeo chrétienne, culture grecque, culture romaine (je conseille sur le sujet « Qu’est ce que l’Occident » de Philipe Nemo). Donc mon but est de montrer la contribution biblique à l’idée de liberté, d’autant plus que des auteurs vraiment libéraux s’en sont directement réclamés (John Locke, Levinas…)

      Je ne comprends pas ce qu’il y a d’incongru à lier Pessa’h et liberté. Si ce n’est pas assez clair, toute la fête tourne autour de la Libération des Hébreux, et l’exégèse qui s’y rapporte et les récits ne font presque que référence à ça! Le lien est plutôt évident.

      Il faut voir l’interdiction de la pâte levée comme une règle pour les plus croyants (mais ils choisissent dans tous les cas de s’y plier) mais pour les simples traditionalistes comme une coutume permettant de commémorer cet évènement et transmettre à travers le rituel leur patrimoine culturel et sa signification.

      Dans votre dernier paragraphe vous décrivez une contrainte sociale, ce qui n’a rien d’illibéral et se rencontre dans bien d’autres domaines que la religion. Partout, vos moeurs, vos habitudes peuvent vous exclure d’un cercle donné et les gens sont libres d’estimer ne pas vouloir échanger avec des individus partageant pas les mêmes valeurs, la tolérance ce n’est pas l’obligation de faire société avec n’importe qui. C’est même la base de l’auto-régulation du marché : vous pouvez décider de boycotter les chaussures fabriquées par des enfants si cela va contre votre morale.

      Enfin, je reviens sur votre remarque à propos du messianisme. Il n’y a aucun dogme dans le judaïsme, y compris chez les rabbins orthodoxes. Pour grossier le trait il y a deux compréhensions du temps messianiques : pour les plus mystiques c’est vraiment l’idée d’un homme qui viendra changer le monde, mais pour les rationalistes dans la filiation Maimonides il s’agit d’une utopie, un temps dont l’horizon est l’infini, les mots « Messie » et « Temps messianiques » se confondent. Et c’est exactement e que j’exprime ici : le Temps messianique adviendra quand nous aurons tous individuellement atteint la vertu nécessaire, nous sommes les pièces de ce puzzle.

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