Contre l’impunité des politiques, il est urgent de libérer les magistrats

Comment faire pour que les magistrats puissent juger en toute indépendance une classe politique dont elle est beaucoup trop proche ?

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Contre l’impunité des politiques, il est urgent de libérer les magistrats

Publié le 7 avril 2017
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Par Vincent Le Coq.

Comment les magistrats, dont la carrière dépend- divin hasard- des hommes politiques, parviennent-ils à déclarer ceux-ci innocents, indépendamment des faits commis ? Il existe de multiples possibilités, à chaque étape de la procédure. L’une d’elle consiste à poursuivre l’homme politique sur le fondement d’une qualification insusceptible de prospérer.

Dominique Strauss-Kahn et le proxénétisme

Dominique Strauss-Kahn utilisait les services de prostituées, lesquelles auraient été rémunérées par des employés de la société Eiffage, c’est-à-dire une entreprise qui vit de la commande publique. Les faits sont établis. Les qualifications juridiques de recel d’abus de bien social et de trafic d’influence pouvaient être retenues.

L’abus de bien social « consiste à utiliser en connaissance de cause les biens, le crédit, les pouvoirs ou les voix de la société à des fins personnelles ». Le recel  est « le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit. » Selon la jurisprudence, l’usage des biens d’une société dans un but étranger à l’objet social est constitutif de l’abus de bien social.

La société Eiffage n’ayant pas pour objet de fournir des prostituées au personnel politique masculin, cette première qualification permettait de prononcer une condamnation à l’encontre de DSK.

Le trafic d’influence semblait constitué

Le trafic d’influence semblait également constitué. Ancien cadre d’Eiffage, David Roquet a déclaré aux juges que le géant du BTP aurait été aux petits soins avec le potentiel candidat PS à l’élection présidentielle, ultra-favori selon les sondages, car « c’est bien d’être connu et pour un patron d’avoir accès à la présidence. Eiffage aurait pu proposer notamment des projets comme des PPP ». Toujours selon David Roquet, sa direction était au courant des soirées organisées pour Dominique Strauss-Kahn et qu’elle leur avait même donné son aval.

Mais la justice a préféré la qualification de proxénétisme, manifestement plus délicate à établir. Pour démontrer son innocence, Dominique Strauss-Kahn a choisi une ligne de défense simple, voire simpliste.

Il ignorait que les prostituées avec lesquelles il couchait en étaient. Et pourtant une juridiction a accepté de croire à cette défense et, « au nom du peuple français », DSK est blanchi.

Nicolas Sarkozy et l’abus de faiblesse

Des soupçons pèsent sur le financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Au nombre des sources irrégulières aurait figuré Liliane Bettencourt. Ces faits sont relatés par différentes sources, dont Liliane Bettencourt elle-même.

Le retrait par Nicolas Sarkozy de sommes excédant le plafond légal est susceptible de recevoir deux qualifications pénales. Financement illégal de campagne électorale ou infraction à la législation sur le financement politique.

Dans le cadre de l’Angolagate, les juges Philippe Courroye et Isabelle Prévost-Desprez avaient notamment ouvert deux informations judiciaires : la première, pour « infraction à la législation sur le financement politique », visait les comptes du RPF, la seconde, pour « financement illégal de campagne électorale »– celle des européennes de 1999- par « acceptation de dons non conformes ».

Mise en place du bouclier fiscal

En outre Nicolas Sarkozy une fois élu a immédiatement mis en place un bouclier fiscal, dont le premier effet a été le remboursement à Liliane Bettencourt d’une somme de 30 millions d’euros. Le financement irrégulier de la campagne de Nicolas Sarkozy en échange d’un gain ultérieur peut donc s’analyser en droit comme un trafic d’influence.

À ces qualifications susceptibles de conduire à une condamnation, les magistrats vont retenir une qualification non susceptible de prospérer : l’abus de faiblesse.

Pour être constituée, l’infraction d’abus de faiblesse exige en effet que trois conditions soient cumulativement réunies. Il faut en premier lieu que la faiblesse de la victime soit médicalement reconnue.

Il faut en deuxième lieu que des transferts de fonds soient retracés, du patrimoine de la victime vers le patrimoine de l’auteur. Il faut enfin que le montant de ces transferts aient conduit à un appauvrissement significatif de la victime. Dans le cas de Liliane Bettencourt, la fortune de la vieille dame étant évaluée en 2012 à 23 milliards d’euros, cette dernière condition ne pouvait en aucun cas être remplie.

Impunité généralisée

La solution à cette impunité généralisée dont semble bénéficier depuis plusieurs décennies le personnel politique et qui fait désespérer les Français de leurs institutions ? Elle est fort simple, d’énonciation comme d’application.

Il suffirait que les magistrats ne soient plus nommés par les hommes politiques, ne puissent recevoir de médaille, ni se lancer en politique, pour qu’ils n’aient rien à craindre ni attendre d’eux.

 

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  • J’ai plusieurs problèmes avec cet article, qui soulève par ailleurs de bonnes questions d’indépendance.

    1) Mes notions de droit pénal deviennent lointaines mais de mémoire, les magistrats du siège (y compris les juges d’instruction) sont saisis de faits (saisine in rem) et non d’une qualification juridique. Il leur est donc loisible de requalifier les faits dont ils sont saisis s’ils jugent qu’une autre qualification pénale est davantage susceptible de s’appliquer que celle initialement visée par le parquet.

    2) Concernant l’abus de biens sociaux, dès lors que la dépense a été engagée en vue d’obtenir des marchés (qui eux, reviennent bien à la société), j’ai du mal à percevoir comment le délit serait ici qualifié. L’acte peut certes constituer un trafic d’influence mais il est bien accompli au bénéfice potentiel de la société et non de celui d’un dirigeant ou d’un tiers.

    3) Sur l’aspect bouclier fiscal, le raisonnement ne tient pas à mon sens. La mesure n’étant pas individuelle mais collective (il s’agissait d’une loi, codifiée à l’article 1649-0 A du CGI), toute personne en respectant les conditions pouvait en bénéficier. Le trafic d’influence apparaitrait dès lors particulièrement difficile à établir.

    Pour le reste, la question de l’indépendance des juges (qui n’est qu’en fait un moyen de leur impartialité, cf. les excellents articles de Régis de Castelnau dans Causeur à ce sujet) mérite d’être posée. Il est vrai que leur avancement dépend en grande partie du pouvoir politique. En outre, dès lors que ces magistrats jugent « au nom du peuple français », un contrôle par voie d’élection d’une partie de la magistrature (par exemple, du Conseil supérieur de la magistrature) devrait être étudié, même si ce n’est vraisemblablement pas la panacée non plus.

    • @ Romain D,
      Je vous remercie de votre commentaire.

      1. Vous avez entièrement raison d’écrire que les magistrats du siège sont saisis de faits et non d’une qualification.

      La question n’est pas seulement de savoir s’ils ont le pouvoir de requalifier (ils l’ont) mais si c’est leur intérêt. J’essaie de montrer dans mon bouquin que la distinction cardinale entre parquetiers et magistrats du siège passe sous silence les questions d’avancement, de décorations et de carrière politique.
      De nombreux magistrats ont rédigé des livres de mémoires. Ils mettent souvent en évidence le fait qu’un magistrat qui déplaît au pouvoir (indépendamment de son statut) aura une carrière moins rapide et moins prestigieuse que celui qui aura tôt compris ce que le pouvoir attend de lui (indépendamment de son statut).
      Je propose donc une distinction entre l’analyse « juridique » de la magistrature et l’analyse « politique » de la magistrature.

      2. Sur l’ABS, la jurisprudence de la Cour de cassation est variable. Elle a jugé que la commission d’une infraction pénale est constitutive d’un ABS, même si cette infraction a pour objet l’intérêt de la société. C’est la jurisprudence que j’ai retenu. Mais il est vrai qu’il lui est également arrivé de juger en sens inverse (votre position).

      3. Pour le bouclier fiscal, comme disent les avocats, « ça se plaide ».
      En 1977, de la drogue est découverte au domicile de Christina Von Opel.
      Maître Robert Badinter, avocat, assure sa défense, mais ne parvient à obtenir sa libération ni en première instance, ni en appel.
      Robert Badinter, ministre de la Justice, obtient en revanche que vingt et une femmes soient libérées par François Mitterrand dès le 12 août 1981. Les critères retenus font que parmi ces vingt et une prisonnière, figure précisément Christina Von Opel.
      (http://www.lemonde.fr/archives/article/1981/08/14/christina-von-opel-a-ete-liberee-a-mi-peine_2731105_1819218.html)
      A l’époque, les commentateurs s’accordaient à penser qu’en réalité, ce sont vingt femmes qui avaient bénéficié d’une mesure calibrée pour Christina Von Opel.

      Le raisonnement me semble transposable au bouclier fiscal, quand bien même la disposition présente un caractère apparent de généralité.

      En raison de sa fortune, Liliane Bettencourt était la première bénéficiaire de ce dispositif.
      Il faudrait en second lieu s’intéresser aux donateurs « du premier cercle ». On trouverait certainement nombre de patrons du CAC 40, divin hasard, bénéficiaires également de la mesure fiscale.

      Le trafic d’influence me paraît constitué quand un pool de patrons finance la carrière politique d’un homme qui, en retour, leur accorde des avantages sonnants et trébuchants.

      Un point d’accord. Votre conclusion proposant une profonde réforme du CSM. Le conseiller Renaud Van Ruymbeke fait à cet égard d’intéressantes propositions, que je reprends à mon compte dans mon bouquin.

      • Merci pour votre réponse. Je crois que je vais devoir jeter un coup d’oeil à votre bouquin!

        • @ Romain D,
          Je ne pouvais espérer meilleure réponse.
          Ce point acquis, j’espère que, le bouquin feuilleté, nous pourrons continuer cet échange.
          Cordialement.

  • Les USA ont mis en place une solution qui me parait la meilleur, faire élire les juges et/ou les procureurs au suffrage universel pour les soustraire au pouvoir de nomination des politiques.

    • Pas pour tous les juges : les plus importants – les juges de la Cour Supreme – sont nommés par le président et validés par le Congrès. Donc à 100% par le politique.
      Ceci dit, ils sont donc nommés par les deux autres pouvoirs (législatif et exécutif) à la fois, ce qui peut donner une garantie interessante.

      • Certes mais nous parlons des juges civils, les juges fédéraux et de la cour suprême sont nommés par les politiciens, ce qui explique pourquoi ils ont bloqué les décrets de Trump, ayant été nommés par Obama.

    • @Virgile et @GN
      Un autre souci aussi avec l’élection au suffrage universer : le clientélisme, le populisme.
      Avec un tel mécanisme de nommage des juges, qu’est-ce qui nous garantira qu’ils conserveront leur indépendance et leur probité ?
      Ne risquons nous pas d’en arriver à des situations style « ok, voyons combien de voix votre condamnation me rapporterait… … ah quand même ! Coupable ! »

      • @AxS
        Aujourd’hui, les juges dépendent des politiques pour leur carrière et leur promotion, ce n’est pas mieux. Pire que ça, sous prétexte d’indépendance de la justice, les magistrats sont en train de créer un état dans l’état sans aucun contrôle démocratique.
        Au US, une campagne pour un magistrat se fait autour des thèmes de probité et d’efficacité, puis c’est le citoyen qui arbitre.

      • 1/ Aux USA, vous avez le droit à être jugé par un jury (« right to trial by jury ») de manière quasi-systématique (à partir de 20 USD de préjudice, 1000 USD d’amendes ou 6 mois de prison). Donc, le juge est bien moins « puissant » qu’ici. Je ne parle même pas de la procédure accusatoire qui garantie bien mieux les droits de la défense.

        2/ Les juges français ne brillent pas particulièrement par leur indépendance. A partir du moment où ces juges sont nommés je ne vois pas pourquoi ils seraient plus indépendant que ceux qui élus. A la limite, si vous voulez des juges absolument indépendant, il faudrait que la charge se transmettre par filiation et qu’ils soient inamovibles. Indépendance ne garantie rien puisque tout le monde est dépendant de ses propres illusions. Bref, je préfère un juge dépendant de la volonté du peuple car élu par lui qu’un juge indépendant nommé après un concours dont personne ne connait exactement les critères d’inclusions et d’exclusions (surtout au grand oral) …

        3/ La probité ne sera pas plus comprise par une élection. D’ailleurs, plus que l’élection et il faut également garantir qu’un juge (ou tout autre élu) puisse être systématiquement démis de ses fonctions lorsqu’une pétition rassemblant plus de la moitié de ses électeurs est déposée à qui de droit.

      • Bonjour AxS

        Une bonne solution, le marché.
        Mettons les juges en concurrence et le marché discriminera le bon produit (ou en tout cas le mauvais juge).
        Je verrai bien des cabinets de juge , qui deviennent une profession libérale, avec un tiers payant étatique pour les payer.

  • L’abus de bien social ne concerne que les mandataires sociaux. DSK n’étant pas administrateur d’Eiffage, la qualification d’ABS ne le concerne pas.

  • Article très intéressant.
    Cependant, s’agissant de DSK, la qualification de recel d’ABS n’aurait pas été moins délicate à établir.
    Vous l’avez rappelé, contre le chef de proxénétisme, DSK prétendait qu’il ignorait avoir affaire à des prostituées.

    Or il aurait utilisé exactement la même défense s’il avait été prévenu de recel d’ABS : s’il ignore qu’elles sont prostituées, il ignore l’ABS d’Eiffage, et dès lors il manque l’élément moral du délit de recel, à savoir la connaissance de la provenance délictueuse de ce dont on jouit (pour ainsi dire !).

    Pour le trafic d’influence, en revanche, je souscris à votre analyse, car ici la vénalité des rapports entre Eiffage et les prostituées est indifférente.

  • « La société Eiffage n’ayant pas pour objet de fournir des prostituées au personnel politique masculin, cette première qualification permettait de prononcer une condamnation à l’encontre de DSK. »
    En premier lieu, avant le recel qui permettait de poursuivre DSK, il aurait fallu juger l’ABS, et donc s’entreprendre Eiffage…
    Enfin, il me semble…
    Car au fond, s’il y avait recel d’ABS, on peut dire que le délit le plus grave est celui de corruption, et ainsi juger l’entreprise en première intention, DSK n’étant « que » le corrompu.

    • Non, il est possible de juger le recel sans qu’ait été préalablement jugée l’infraction primaire (l’ABS en l’occurrence). Un juge peut même condamner pour recel d’ABS alors qu’un autre juge a relaxé pour l’ABS lui-même ; chaque juge a plénitude de juridiction.

    • @ PukuraTane,
      Merci de votre intervention.
      Le point que vous soulevez est en effet délicat. Néanmoins, il me semble que les chefs d’accusation retenus de « proxénétisme » et « abus de faiblesse » ne tenaient vraiment pas la route, alors que les deux autres permettaient au moins le débat.
      Il est certain que la justice est humaine- je m’en réjouis- donc également faillible, imparfaite, subjective, etc…
      Mais si vous êtes frappé ce soir par un individu identifié- ce que je ne vous souhaite pas- et que l’auteur des coups est poursuivi, non pour coups et blessures, mais pour conduite en état d’ivresse ou escroquerie, les chances d’une condamnation diminuent d’autant.

  • Merci à Vincent LE COQ pour cet article qui pose le problème de l’impartialité et de l’efficacité de la justice de notre pays.
    L’institution judiciaire française est composée de magistrats soumis de fait à des contingences politiques, syndicales et corporatistes.
    Ces mêmes magistrats constituent une caste arrogante dont les membres sont soumis au pouvoir de notation de leurs supérieurs auxquels ils se doivent de faire allégeance en contrepartie d’une protection corporatiste qui les met hors de portée du pouvoir disciplinaire sensé être exercé par le Conseil Supérieur de la Magistrature.
    A mon avis, l’exercice d’une justice impartiale nécessite un contrôle strict de l’activité de chaque magistrat par une Haute Cour de Justice à créer et, dont les sanctions prononcées viendraient impacter la carrière des magistrats fautifs.
    Il serait par ailleurs souhaitable que toute personne citée devant une juridiction puisse exiger que sa cause soit jugée par des magistrats assistés d’un jury composé de simples citoyens.

  • C’est bien la preuve qu’il faut moins d’état.

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