Ce que les prisons bataves pourraient nous apprendre

Un récent article du Monde sur les prisons aux Pays-Bas nous montre quelques pistes d'améliorations des prisons françaises.
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Prison (Crédits kIM DARam, licence Creative commons)

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Ce que les prisons bataves pourraient nous apprendre

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 5 avril 2017
- A +

Dans le flot incessant de billevesées que nous offre tous les jours une presse déchaînée, on trouve parfois des petites notules amusantes ou, encore plus rarement, informatives. C’est avec surprise que je suis tombé sur un article du quotidien Le Monde qui nous parle de prisons néerlandaises.

L’information, en elle-même, n’est pas nouvelle : aux Pays-Bas, les prisons sont sous-employées. Cela fait même plusieurs années qu’il en est ainsi et que leur taux d’occupation est de l’ordre de 80 % (10 500 places occupées sur les 12 400 disponibles), avec de surcroît une tendance à la baisse puisqu’on s’attend à ce que ce taux s’établisse à 60 % en 2018.

Ce qui est nouveau, c’est que cette information assez connue outre-Quiévrain (et pour cause, les Belges louant les prisons néerlandaises pour y entasser leurs condamnés surnuméraires) ne l’est qu’assez peu en France. En outre, il est fort rare qu’on trouve ainsi détaillée la situation favorable d’un pays tiers dans un organe de presse qui se fait fort d’entretenir, avec son style si tendrement parisien-centré, l’illusion d’une France globalement indépassable.

Mais voilà, tout arrive : dans Le Monde, on trouve donc le compte rendu factuel de l’état des prisons néerlandaises qui souffre très avantageusement la comparaison avec les vieux centres carcéraux surpeuplés, sales et pour tout dire carrément dangereux de France. Et chose encore plus intéressante, on y décrit même les raisons qui ont amené le Royaume à cette situation, que certains pourraient qualifier hardiment d’enviable.

Parmi ces raisons, on trouve certes une criminalité en baisse (de 8 % en 2015 par rapport à 2014). Cette dernière, souvent corrélée à l’état général de la société, explique sans doute pourquoi les Pays-Bas, dont l’économie est en bien meilleure forme que la France, s’en sortent notoirement mieux. Peut-être pourrait-on même affirmer (avec pas mal de raisons et d’exemples historiques pour l’appuyer) qu’une économie florissante favorise l’émergence d’une société moins agressive ; du reste, du point de vue strictement pragmatique, si les efforts demandés pour prospérer légalement dans une société sont inférieurs ou égaux à ceux qu’il faut déployer illégalement, le crime devient une opération économique peu rentable.

prison

Cependant, et comme le reconnaît l’article du journal Le Monde, cette baisse de la criminalité ne suffit guère à expliquer une évolution également due aux particularités du système judiciaire des Pays-Bas qui envoie moins en prison mais demeure plus répressif qu’au début du siècle.

En fait, en seconde analyse, il apparaît que les juges distribuent moins les peines de prison et beaucoup plus les peines financières (amendes notamment), et recourent aussi aux peines alternatives comme le bracelet électronique et les travaux d’intérêt général, qui peuvent diviser par deux les peines de prison. Un détenu qui passe moins de temps en prison, c’est une meilleure rotation des cellules, et une pression carcérale plus faible.

En outre, les spécificités légales néerlandaises permettent au ministère public de décider seul d’une sanction qui ne prive pas un suspect de sa liberté. Cela entraîne deux effets bénéfiques pour le système judiciaire dans son ensemble : d’une part, cela permet de réduire le nombre d’affaires qui devront être traitées par des juges et contribue donc à désengorger les tribunaux. D’autre part, cela permet aussi de réduire les peines de prison et par voie de conséquence, l’occupation des cellules.

Enfin, notons qu’aux Pays-Bas, les prisons ne servent plus à gérer les malades psychiatriques et que les étrangers en situation irrégulière ne sont plus détenus aussi longtemps, parce qu’ils sont expulsés plus vite.

En somme et pour résumer, les Pays-Bas ont appliqué une justice rapide dont la mise sous écrou n’est pas l’alpha et l’oméga, qui n’hésite pas à expulser les impétrants irréguliers, qui sait faire le choix entre incarcérer et imposer des sanctions financières ou des peines de travaux publics.

Or, aucune de ces solutions n’est impossible à mettre en œuvre en France.

Au contraire, même : il ne semble pas invraisemblable de réserver la prison aux éléments violents ou dangereux pour la société, en utilisant toute la panoplie des peines alternatives pour les condamnés d’autre nature (trafics, escroquerie, vol simple…). De même, serait-il vraiment impensable de ne plus utiliser la prison comme dépotoirs de cas psychiatriques ?

En outre et en théorie, il devrait être raisonnablement possible de simplifier beaucoup de ces centaines de procédures existantes pour alléger le travail des tribunaux, quitte à augmenter aussi les moyens dont disposera cet élément effectivement régalien de l’État français, pour le moment parent pauvre des ministères et des budgets pourtant votés en déficits depuis plus de 30 ans. Quant à appliquer les mêmes préceptes que ceux des Néerlandais pour les expulsions (dont il ne me semble pas avoir entendu dire qu’ils étaient inhumains et tabassaient tous les jours les Droits de l’Homme avec vigueur), là encore, le bon sens commanderait sinon l’optimisme, au moins la conclusion que cela reste réalisable.

Enfin, soyons fou, construire de nouvelles prisons ne semble pas, là encore, complètement absurde lorsqu’on compare le nombre de cellules disponibles et le nombre d’habitants : comme je l’écrivais du reste il y a quelques temps dans un précédent billet, il semble bien que la France soit encore une fois fort en retard sur ses voisins et sur ses besoins avérés.

Autrement dit, rien, dans la lecture de cet article, ne permet d’affirmer que les solutions mises en place aux Pays-Bas seraient impossibles à transposer en France… À ceci près, bien sûr, qu’il faudrait pour corriger ces problèmes en avoir pris conscience, et que les politiciens concernés soient subitement dotés d’un courage qui les a en pratique complètement abandonnés quelque part, un jour d’hiver 1970 (ou quelque chose comme ça).

Sans surprise, Le Monde nous a offert un petit aperçu de ce qu’il est possible de trouver ailleurs, de ce qui fonctionne, et pourquoi. Et sans surprise, une fois l’aperçu offert, le journal s’est bien vite contenté de refermer ses paupières. La République du Bisounoursland sait comment il faut procéder pour régler ses problèmes, et ce ne sont pas quelques Bataves lointains et bien trop pragmatiques qui viendront troubler cette science infuse.

Non mais.
—-
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  • Intéressant. Comme toujours.
    J’aime bien le « Sans surprise, le Monde nous a donné un petit aperçu… ».
    Bah si, c’est une surprise de la part du Monde de pouvoir ouvrir ainsi une paupière ?

  • La France a un autre problème avec la prison : elle est synonyme de « promotion » pour certains qui y gagnent un séjour. Quand ils en ressortent, ils gagnent en grade et en « respect ». La « prison/école du crime » forme très bien ses « diplômés ». Sans compter les années de peines fermes, qui seront en fait quelques mois, ce qui doit bien faire marrer les condamnés et enlever tout crédit à la « Justice ».
    Comment font les Pays-Bas pour faire payer des amendes à des personnes non-solvables, lesquelles constituent chez nous le gros des délinquants (hors délinquance routière) ?

  • Il y a quelques années, un test avait été effectué dans une prison en Grande-Bretagne. Les repas étaient concoctés par un chef cuisinier et servis dans des conditions respectueuses des prisonniers. Expérience concluante: l’agressivité avait très nettement diminué. Il me semble que si les prisons étaient convenables et les conditions d’incarcération décentes, le taux de criminalité baisserait et la réinsertion serait facilitée. Je pense qu’il faut construire des prisons dignes. C’est un investissement, certes, mais profitable dans le long terme.

  • Bonjour

    On a fermé 50 000 lits de psychiatrie en 20 ans, et ces malades se retrouvent en prison où ils n’ont rien à faire.

    L’important n’est pas de mettre en prison les délinquants, mais de sanctionner le primo délinquant même mineur sans passer par le classique rappel à la loi, le sursis, puis la prison ferme de moins de 2 ans donc sans mise sous les écrous effective.

    Une sanction effective est l’amende, payée par les parents si le délinquant est mineur (les parents sont responsables de leur gosse).
    Sinon une peine de prison de 1 ou 2 jours pour les insolvables, cela coûte pas cher et ces chers têtes blondes comprendront que violer la loi ça fait mal et 1 ou 2 jours ils vont pas se déstructurer et devenir grands délinquants.

  • Il n y a qu’en tapant dans le portefeuille que ça fait mal, c est pareil dans tous les domaines, l’URSSAF l’à très bien compris par exemple.
    Sinon dans les prisons, on a qu’à les faire pédaler pour produire de l’électricité, il n’auraient pas le temps de se convertir à l’ Islam radical, ni de faire connaissance avec des plus gros caïds et c’est écologique en plus ? …on peut toujours rêver !

  • Juste une idée : en attendant que la fRance adapte ses palaces, on pourrait envoyer des volontaires très courageux, juste se tenir correctement de manière civilisée, purger leur peine aux Pays-Bas (je ne veux pas prononcer l’autre appelation 🙁 )
    Ils nous feraient un bon prix pour les 2000 puis 4000 par la suite.
    Ce serait gagnant-gagnant. Mais ne demandont pas trop à nos clowns de polytocards ❗ ❗ ❗

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