Comment le langage journalistique informe… et désinforme

Un passionnant ouvrage sur les ressorts du langage journalistique, les préjugés qu’il contribue à diffuser dans la société et la vitre déformante qu’il représente, à nos dépens.

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Comment le langage journalistique informe… et désinforme

Publié le 27 mars 2017
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Par Johan Rivalland.

L’ouvrage « La Langue des médias », d’Ingrid Riocreux, agrégée de lettres modernes et docteur de l’Université Paris-Sorbonne est à la fois passionnant et instructif.

Il a également pour qualité d’étudier les conséquences des erreurs ou du langage orienté et orientant de nombre de journalistes, sans pour autant verser dans les théories du complot, que l’auteur condamne résolument.

Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder le sujet du journalisme et du langage, notamment dans la manière dont les journalistes nous parlent et induisent d’une certaine manière un nivellement par le bas. Cet ouvrage va plus loin et analyse en profondeur la langue des médias et ses perversions profondes au quotidien.

Destruction du langage et fabrication du consentement

Dans une première partie, l’auteur étudie les dérives de la langue utilisée dans les médias et le formatage idéologique qui s’est développé à l’insu même de beaucoup de journalistes, qui ne font qu’adopter une tournure d’esprit propre à la profession et assez moutonnière.

Avec, entre autres, son corpus d’idées habituelles (« sans-frontiérisme, antiracisme, européisme, un certain féminisme, une certaine doctrine climatologique, etc. »). Mais aussi ses gardiens du code, manipulateurs innocents ou son mépris à l’égard des mal-pensants, au rebours desquels on proposera une sorte de prêt-à-penser de bon aloi.

De l’existence d’un langage journalistique, de ses défauts

Puis, dans une seconde partie, on s’intéresse aux erreurs fréquentes de langage des journalistes, leur emploi des mots, leurs intonations parfois bien particulières, voire dans certains cas leurs incroyables défauts de prononciation.

Il existe ce que l’auteur appelle un « parler journaliste », très spécifique et parfois très étonnant (lexique, syntaxe, registre, intonation, prosodie, anglicismes…). Un langage qu’elle qualifie, dans certains cas, « d’extrêmement négligé » et relâché, la plupart du temps « par souci de jouer la décontraction et la proximité ». Souvent au mépris du public qui écoute, ou plus simplement de la langue, qui n’est même plus maîtrisée, devenant strictement utilitaire (et, de fait, appauvrissante), proche de l’illettrisme.

On est ébahi de lire tous les exemples d’erreurs incroyables de journalistes dans le maniement de la langue, cités dans les quelques pages qui y sont consacrées. C’en est même pathétique.

Mais l’analyse va plus loin. Car c’est aussi la manière dont est présentée l’information qui est en cause. C’est ainsi que le mimétisme devient une maladie infectieuse et un handicap pour la société. À cause d’une information contaminée.

De même que l’homme de la rue répète les commentaires du match comme s’ils émanaient de sa propre analyse, de même il répétera les formules creuses sur le vivre-ensemble, le danger de l’extrême-droite, l’islam-religion de paix, les bienfaits de l’Europe, etc. Il n’en sait rien, mais on le dit, donc il le dit.

Et si c’était là le discours dominant dans les médias, il reprendrait avec tout autant de conviction des slogans sur le complot juif, le danger de l’islam, l’infériorité de la race noire, etc.

Sans plus de réflexion, au nom d’un plaisir au demeurant tout à fait compréhensible, celui que procure l’harmonie de l’uniformité. Délice de se fondre dans la perfection extatique d’un chœur à l’unisson, assorti de cette étrange certitude que la voix de la majorité est nécessairement celle de la raison (…)

Il faut ajouter ici que le mouvement actuel de discrédit des médias de masse ne change rien à l’affaire : par rejet de la parole journalistique, beaucoup se mettent à penser systématiquement le contraire de ce que dit le Journaliste, et cette pensée anti-médias est tout aussi homogène et irréflechie que le pré-pensé médiatique. C’est encore un effet de l’uniformité du discours des journalistes.

Langage journalistique : dits et non-dits

Dans la troisième partie de son ouvrage, Ingrid Riocreux s’intéresse à l’inévitable subjectivité qui existe en matière journalistique, et en particulier l’existence d’opinions journalistiques assénées comme des vérités, sans forcément d’ailleurs que les journalistes en question en aient toujours réellement conscience.

Se référant à des dogmes qu’ils jugent bien souvent partagés, ils n’hésiteront ainsi pas à qualifier tel ou tel personnage de « sulfureux », ou auteur de « propos controversés », orientant ainsi ce que l’on peut être amené à penser des propos de cette personne.

Et, selon l’identité de cette personne, le vocabulaire pourra être différent, face à des propos pouvant être jugés choquants.

Ingrid Riocreux cite ainsi les qualificatifs utilisés à l’égard d’un Jean-Marie Le Pen ou d’un Éric Zemmour, pour lesquels il sera question de « dérapage », tandis que pour une Sophia Aram ou un Pierre Bergé, on dira qu’ils « bousculent », « dérangent », « font réagir », ou encore qu’il s’agit là simplement de « maladresse verbale ». Avec les nuances que l’on trouve dans ces mots, que l’auteur bien sûr nous rappelle.

Le lecteur ou téléspectateur sera aussi incité à croire ou ne pas croire telle ou telle personnalité, en fonction du vocabulaire choisi, des formules entre guillemets, inter-titres, ou tout autre procédé qui visera à décrédibiliser ses propos.

Les mots-couperets en « phobe » ou « sceptique », notamment, sont particulièrement efficaces, permettant « de transformer l’adversaire idéologique en ennemi tout en s’épargnant la peine de l’argumentation ». Quitte à pratiquer de dangereux amalgames, comme le montre l’auteur à travers de nombreux exemples évocateurs. Véritables « instruments de censure », ils ont fini par se répandre dans le langage journalistique, avec toute la gravité que cela sous-tend et le caractère de jugement que cela confère aux journalistes qui les emploient.

Stéréotypes de journalistes

Certains journalistes n’hésitent pas également à verser dans la caricature ou les stéréotypes.

Ingrid Riocreux cite plusieurs exemples entendus notamment sur France Info. Pour un candidat du Front National en campagne pour les élections municipales, cela donne : « Étienne Bousquet-Cassagne, cheveux coupés court et veste noire, va à la rencontre des habitants » (suggérant une allure quasi-militaire ou l’image d’un jeune néo-nazi). Pour l’un des organisateurs d’une manifestation contre les migrants en Pologne, le journaliste donne du « cheveux blonds idéalement coupés sur le côté ». Pour la Manif pour Tous, écoutons la réaction d’un « jeune homme soigné, raie sur le côté » ou d’une jeune fille « serre-tête vert dans ses cheveux blonds » ou de femmes « âgées, petite croix dorée au cou », les participants les plus caricaturaux ayant manifestement été sélectionnés.

Comme le dit avec justesse Ingrid Riocreux :

Imagine-t-on couvrir une manifestation des syndicats d’enseignants en tendant le micro à « Jacques, barbe hirsute et pull-over idéalement crasseux ? » ou une manifestation des lycéens avec « Dylan, idéalement boutonneux » ?

Idem pour les propos retirés de leur contexte sans vergogne, dont beaucoup de journalistes sont les spécialistes. Tant Alain Finkielkraut dans sa fameuse expression « Français de souche », qu’Éric Zemmour dans son « la plupart des trafiquants sont noirs et arabes » ou Nicolas Sarkozy dans son « on va vous débarrasser de cette racaille » n’ont fait que reprendre les mots de leur interlocuteur, dans des conditions bien spécifiques, rappelées dans l’ouvrage. On sait pourtant comment ces propos les poursuivent encore aujourd’hui…

Et il en va de même pour les procédés ironiques, transformés malignement en propos sérieux, au détriment de leur auteur. Sont cités ici des exemples concernant Dieudonné ou encore Véronique Genest.

Autres mauvaise foi et paresse journalistique sont également évoquées, à travers de nombreux exemples que je vous engage à découvrir en lisant le livre, qui ont pour point commun de décrédibiliser ici l’auteur d’un livre (probablement non lu par les journalistes concernés), là des personnes ou entités selon le point de vue que l’on souhaite faire adopter aux téléspectateurs ou auditeurs, ou encore pratiquer le deux poids deux mesures, l’un au sujet d’un rapport sur la « christianophobie », présenté comme la cristallisation d’un mensonge par exagération, l’autre pour un rapport sur « l’homophobie », présenté par l’auteur comme une enquête objective, autrement dit un travail de journaliste. Autant de procédés pas très loyaux, c’est le moins qu’on puisse dire, et qui s’apparentent bien souvent à de la désinformation.

Caricatures et stéréotypes, encore, dans l’affaire de « l’antifasciste » Clément Méric, où on s’est précipité dans un premier temps pour affirmer qu’il s’agissait d’un « assassinat par un néo-nazi », avant d’être bien plus discrets et évasifs lorsqu’on s’est aperçu que ce qui arrangeait bien était en réalité moins simple que ce que l’on avait fantasmé à dessein.

De manière générale, qu’il s’agisse d’actes antisémites présumés, d’égorgement de Chrétiens égyptiens par l’État islamique (et que l’on omettra de présenter comme tels), ou toute autre situation où le journaliste tend à distordre la réalité, Ingrid Riocreux montre que c’est à travers leurs propres « catégories de pensées » que ces journalistes s’évertuent à présenter parfois l’information et leur propre « échelle de valeur », une insistance particulière étant faite lorsque la victime est musulmane, celle chrétienne ou juive ne bénéficiant pas du même privilège.

Pire, on découvre que l’information peut être réécrite (cas d’un article ayant nié la possibilité qu’un terroriste puisse se glisser parmi les flux de réfugiés, rebaptisé et partiellement modifié a posteriori à la suite de l’attentat du 13 novembre 2015 en France) ou arrangée (lors d’une mise en cause virulente des théories du genre), en fonction des causes (le Bien) défendues par la profession.

Mais, quels que soient les sujets (Europe, écologie, religion, immigration, art contemporain, politique vaccinale, méthodes de lecture, etc.), il s’agit davantage, selon notre auteur, d’une volonté de ces journalistes de défendre une sorte de dogme, supposé devoir conduire à une sorte de paix civile ou au respect d’un supposé « sens de l’Histoire », que d’une véritable volonté délibérée de mentir.

Il faut y insister : c’est seulement parce qu’il veut préserver l’ordre par la volonté de ne pas dire ce qui pourrait y nuire, que le Journaliste court le risque du discrédit, en passant pour dissimulateur et hypocrite, voire manipulateur.

Une attitude qui a ses limites, Ingrid Riocreux rappelant qu’un récent sondage révèle que le journalisme est l’une des professions qui inspire le moins confiance aux Français.

Le journaliste et son ego

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la mise en scène du réel faite par les journalistes, ce qu’ils font dire aux chiffres, aux photos, aux images, leur manière de présenter ou d’interpréter l’information, la sélection qu’ils font de celle-ci, voire les mises en scène qu’ils fabriquent pour l’occasion.

La manière de paraître effectuer leur auto-critique à travers des séquences en présence d’un « médiateur », en réponse aux remarques des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs est également analysée, de même que la grande hypocrisie de ce qu’ils appellent avec une certaine complaisance le « décryptage », mis à toutes les sauces.

Mais l’auteur n’en oublie pas pour autant les médias dits « alternatifs », qualifiés aussi de « réinfosphère », à l’égard desquels une confiance parfois aveugle, face à la méfiance répandue envers les médias traditionnels, « entraîne une forme de paresse et une propension à prendre pour argent comptant les informations qu’on y trouve », l’individu perdant alors son esprit critique « comme si le fait de lire une information délivrée par quelqu’un qui pense comme lui le mettait à l’abri de la manipulation, du mensonge, ou seulement de l’erreur ».

Ingrid Riocreux conclut l’ouvrage par ces mots :

La classe dominante considère qu’il est plus facile de garder sous contrôle une société d’idiots que de gouverner un peuple intelligent. Mauvais calcul. Car les masses abêties, illettrées et incultes ne restent pourtant pas amorphes. Quand on les a privées des lots et de la maîtrise du langage, il ne leur reste rien comme moyen d’expression – pire, comme mode de pensée – que la violence.

L’erreur de nos oligarques réside dans le fait de croire qu’une société d’abrutis est un troupeau bêlant, docile et calme, alors que c’est une meute d’individus féroces, en guerre perpétuelle les uns contre les autres (…) L’illettrisme entraîne la violence, et l’insécurité appelle la tyrannie.

Le système qui, par son œuvre éducatrice (scolaire et médiatique), se targuait d’engendrer des personnes libres et responsables, pétries des idéaux les plus nobles, s’écroulera donc sous les coups de ce qu’il a lui-même produit, en réalité : un gibier de dictature.

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