Le Roux : le népotisme, ce cancer de la Cinquième République

L’affaire Fillon, comme l’affaire Le Roux montrent que la République est gangrenée par le népotisme. Les partis de gouvernement souffrent tous, autant qu’ils sont, de ce mal insidieux.

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Le Roux : le népotisme, ce cancer de la Cinquième République

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 22 mars 2017
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Par Éric Verhaeghe.

Le népotisme (les faveurs accordées aux membres de sa famille, officielle ou non) est devenu un principe de gouvernement dans la Cinquième République, qu’une certaine police de la pensée a longtemps interdit d’évoquer (sous l’accusation immédiate de jalousie ou de mesquinerie).

À force de nier les évidences et de persécuter tous ceux qui disaient « le roi est nu », l’élite dirigeante a créé une impressionnante cocotte-minute, avec, d’un côté, des puissants qui ont abusé d’un système, et de l’autre, des assujettis qui rejettent celui-ci d’autant plus violemment qu’ils ont dû le subir sans mot dire.

 

Fillon, Le Roux : les faces émergées d’un iceberg global

Les affaires Fillon, comme Le Roux, ne sont guère que l’aboutissement d’un processus de décomposition politique entamé depuis plusieurs décennies. Peu à peu, le principe de la dynastie a remplacé l’égalité des chances républicaines. Avec de moins en moins de gêne, l’élite française a assumé la préférence accordée aux fils ou aux filles « de », et les droits dérivés que la filiation procurait.

Faut-il citer les innombrables dynasties qui se sont imposées un peu partout ? Dans les médias, par exemple ? Partout, la Cinquième République a accepté comme normal un fonctionnement où l’on fait croire qu’il existe une parfaite égalité entre ceux qui doivent se faire un nom, et ceux qui doivent se faire un prénom.

De glissements en dérapages, plus personne ne trouve donc choquant d’utiliser sa situation sociale pour favoriser ou enrichir ses enfants.

 

Le silence longtemps imposé sur ces pratiques

Par peur de déplaire et d’être taxé des pires bassesses par ceux qui ont tiré profit du système, le silence s’est imposé. Il a longtemps été de bon ton d’expliquer qu’un enfant bien né ne réussissait pas de façon déloyale, mais seulement par son talent. La fiction d’une égalité des chances, d’un fonctionnement normal du système, sont devenus le récit obligatoire et mensonger d’une société atteinte par ce cancer létal.

Les initiés du système le savent. Je me souviens, lorsque j’étais à l’ENA, d’un préfet militant socialiste qui fut mon maître de stage et qui avait connu Martine Aubry lorsqu’elle faisait sa scolarité dans cette école. Il se plaisait à raconter combien le caractère de l’intéressée était épouvantable et moyennement porté sur l’effort. Il concluait toujours : « Vous savez, Éric, être l’enfant de quelqu’un, dans la République, ça aide… »

Bien entendu, que la Cinquième République a lentement dérivé vers un système aristocratique de reproduction des élites particulièrement grossier, et d’autant qu’il était interdit d’en parler. Le silence a permis la généralisation des métastases, tout comme il a dissimulé un rejet virulent de son fonctionnement.

 

Une maladie de droite comme de gauche

L’erreur serait de croire qu’un camp politique pratiquerait plus le népotisme que l’autre.

L’affaire Fillon, comme l’affaire Le Roux, le montrent. Les partis de gouvernement souffrent tous, autant qu’ils sont, de ce mal insidieux. Par exemple, l’occultation jusqu’à ces dernières semaines, des collaborateurs parlementaires, a permis la généralisation de pratiques qui choquent profondément des Français précarisés par la crise.

Pendant que beaucoup cherchent des emplois, ils s’aperçoivent que leur député peut recruter ni vu ni connu sa femme ou ses enfants, et leur assurer des salaires confortables aux frais du contribuable, sans aucun effort, et sans rendre aucun compte. Tous les Français ont entendu des politiciens professionnels comme Claude Bartolone leur expliquer que la transparence sur toutes ces affaires n’était rien d’autre que du populisme et de la démagogie.

Ah ! les belles leçons de morale sur le front républicain contre le populisme ! On les comprend mieux maintenant ! République, que d’emplois fictifs on recrute en ton nom…

 

La fausse illusion du Front national

Ceux qui se tournent vers le Front national pour secouer le cocotier sont évidemment prisonniers d’une illusion, nécessaire à certains égards mais tragique. Nécessaire partiellement parce qu’on peut comprendre que, face aux résistances d’une caste dirigeante en pleine réaction nobiliaire, l’opinion publique parie sur un parti vierge de tout passé gouvernemental pour changer la donne. Mais si l’on se souvient que le Front national fait pratiquement partie intégrante du patrimoine familial de la dynastie Le Pen, on mesure immédiatement l’illusion qu’il y a à croire que ce parti remettra en cause la tradition du népotisme.

Ceux qui ont tenté, d’ailleurs, de faire de ce parti un parti non patrimonial ont vécu le pire. Faut-il citer les Mégret, les Gollnisch, et autres, qui ont un temps imaginé à leur détriment pouvoir prétendre à une vie démocratique ? Redisons-le ici, Florian Philippot, qui donne le sentiment d’une ouverture du parti à autre chose que la famille subira rapidement les foudres de ses « amis » une fois le pouvoir conquis.

 

Le népotisme s’ajoute aux connivences coupables

Si le népotisme était la seule tumeur qui attaque nos élites, nous pourrions imaginer qu’un traitement médical, chirurgical, serait possible.

Mais ce népotisme s’ajoute aux autres maux que les lecteurs de ce site retrouvent souvent dénoncés dans ces colonnes. La République n’est pas seulement mal en point parce qu’on y préfère un fils ou une fille médiocre à un inconnu, un « parvenu » compétent. Elle est aussi en plein déclin parce qu’on y préfère un médiocre qui compose avec les tares du système à une personnalité compétente qui veut remettre de l’ordre raisonnable dans les choses.

Prenons l’exemple de Bruno Le Roux qui a recruté ses filles encore mineures comme collaboratrices parlementaires. À la fin des années 1990, il fut vice-président de la MNEF, où il a croisé beaucoup de personnes sérieuses comme Dominique Strauss-Kahn, ou Manuel Valls.

Ce petit monde de la MNEF présente aujourd’hui une impressionnante galerie de portraits qui se tiennent par la barbichette, et dont on ne finira pas de raconter les détails dans cent ans encore…

 

L’inévitable curée des élites due à la réaction nobiliaire

En réalité, la France connaît un cycle historique régulier. De loin en loin, ses élites se forment, se figent, se reproduisent entre elles jusqu’à la dégénérescence des tarés, se crispent sur leurs privilèges, puis subissent une vaste purge avant de recommencer. Ce processus a lieu sous nos yeux. La démission d’un Le Roux n’est qu’un épiphénomène et un cap dans un processus de désintégration dont on espère qu’il ira jusqu’au bout.

La France a besoin de renouveler ses élites pour retrouver sa grandeur. Et comme ses élites incompétentes actuelles s’accrochent au régime comme une moule à son rocher… il faudra bien les déloger d’une façon ou d’une autre.

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  • Pour supprimer le népotisme et le copinage…Il faut supprimer les relations sociales entre individus ,supprimer la famille…..Vous avez vraiment des combats…Qui mènent directement à 1984 où nous seront plus qu’un numéro géré par Hall !

  • À ma connaissance, Fillon a été mis en examen mais n’est toujours pas accusé de quoi que ce soit de réaliste. Leroux non plus d’ailleurs… Mais la démission de Leroux a un objectif manifeste : celui d’associer les deux cas pour emmener Fillon dans la débâcle. Leroux s’est bien évidemment sacrifié même si je n’ai aucune idée de ce qu’il gagne en échange. N’oubliez pas que les juges en charge du cas Fillon ne sont a priori pas compétents pour son cas (mais qu’ils le seraient parfaitement pour les doutes planant autour des déclarations de patrimoine de Macron) d’une part, et, d’autre part qu’ils ont été directement nommés par le gouvernement en place (la juge est d’ailleurs une amie d’une certaine Mme Taubira). Ces éléments ont été présentés de manière éparse mais dont tout à fait vérifiable. J’ai maintenant une question qui ne me quittera plus : pour la plainte déposée à l’encontre de Macron n’a-elle pas été prise en compte ?

  • @Monsieur Verhaeghe: je ne vous laisserai pas faire le jeu des manipulations du gouvernement en place sur le site de ContrePoints. Gardons l’indépendance de ce site qui a pu garder une certaine intégrité jusqu’à ce jour.

    • Intégrité et indépendance, certes, mais pas aveuglement.
      Avouez que pour se mettre dans des situations aussi ambiguës, inconfortables, il faut avoir la tête ailleurs!
      Il ne s’agit pas de n’importe qui!
      Ils prétendent fédérer un pays, réformer une société, moraliser la classe politique, donner la France des directions économiques et sociétales qui lui permettent de regagner en sérénité, liberté et indépendance.

      Même si ce sont des ragots, des fakes journalistiques, ça devient un peu trop pour la charge suprême (Toute la classe politique sans exception)
      On mérite quand même mieux que des politiciens soupçonnés d’irrégularité.
      En tout cas mes enfants!

  • Ah, les familles !
    En France les « fils de » ou « filles de » sont pratiquement d’essence divine: les portes s’ouvrent et la lumière arrive 🙂 Et si le sélectionneur met en doute une compétence, une expérience ou un point du CV, c’est un crime.
    Après 30 ans à l’étranger, je suis souvent choqué d’entendre dire  » c’est un homme de réseaux », « il a de bon appuis », « sa « famille » le soutient », comme si c’était la garantie de réelles qualités personnelles.
    Et même, c’est comme si le fait d’appartenir à un clan garantissait des compétences professionnelles ou universitaires.

    Ok avoir un réseau de connaissances est le signe d’une certaine qualité sociale, mais pas plus!
    En France, avec un fake CV, où rien n’est vérifiable, vous ouvrez les portes grâce aux réseaux.
    Le résultat, outre des erreurs de casting évidentes, c’est que bon nombre de postes de décisionnaires sont occupés par des personnes aux compétences limites, voir nulles.
    Dans mon job de conseil en entreprise dans les pays anglo-saxons, les CV sont autrement épluchés qu’en France: bilingue veut dire deux langues maîtrisées parfaitement, les diplômes sont vérifiés, les tests d’embauche sont une garantie de bonne sélection pour l’entreprise….
    et dire NON/ OUI doit être gagnant-gagnant pour le long terme.
    Si le postulant appartient à un réseau, ça pourra seulement lui faire gagner du temps, mais certainement pas de la clémence des sélectionneurs.
    Même les associations d’étudiants ne sont pas un laissez passer universel en Suisse ou en Allemagne.

    Ça, et les demandes du genre:
    « Qu’est ce que je gagne à implanter votre usine chez moi… Personnellement…$. »
    C’est une proportion de 6 maires sur 10. Chez les administratifs c’est 4/10.
    C’est assommant, handicapant, et navrant. Tant de projets sont tombés à l’eau à cause des « financements annexes », impossibles à réaliser, impossibles même à démontrer aux investisseurs étrangers.

    Ben oui, la France a pris 30 ans de retard, avec le népotisme comme système de sélection des élites et des décideurs, et les dessous de tables comme principe de sélection des projets.
    Et on ne nous montre là que la partie visible de l’iceberg!

  • « Vous savez, Éric, être l’enfant de quelqu’un, dans la République, ça aide… »
    L’E.N.A n’est donc pas une école, mais un incubateur pour parasitocrates.

  • Les commentaires sont fermés.

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