Idée reçue : « Le LBO c’est le pire de ce que propose la finance »

L’exemple de Vivarte sert aujourd’hui le discours de nombreux politiques pour dénoncer le LBO dans lequel ils voient ce que la finance propose de pire. Pour autant, nos politiques crachent-ils sur les gens qui s’endettent pour acheter un bien immobilier ?

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Idée reçue : « Le LBO c’est le pire de ce que propose la finance »

Publié le 7 mars 2017
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Par Eddie Willers.

Il y a peu de temps, le groupe Vivarte a fait la une de la presse en raison de son plan de restructuration. Vivarte regroupe un certain nombre de marques de prêt-à-porter telles André, Kookaï, la Halle aux Vêtements ou la Halle aux Chaussures. En 2007, Charterhouse rachète le groupe à PAI Partners via une acquisition avec effet de levier. Charterhouse lève une dette de plus de 2 milliards d’euros pour acquérir la société.

Seulement la crise passe par là et les espérances de rentabilité sur lesquelles Charterhouse se basait pour rembourser ses créanciers volent en éclat. Depuis 2014, Vivarte enchaîne ainsi les plans de restructuration et les créanciers sont devenus les actionnaires d’un groupe à la dérive.

L’exemple de Vivarte sert aujourd’hui le discours de nombreux politiques pour dénoncer le LBO dans lequel ils voient ce que la finance propose de pire. Pour autant, nos politiques crachent-ils sur les gens qui s’endettent pour acheter un bien immobilier ? Je n’ai aucun exemple en tête. Pourtant les deux mécanismes sont proprement identiques. Voyons pourquoi.

Comment fonctionne un LBO

Comprenons comment fonctionne un LBO (en anglais leveraged buy-act ; traduire achat à effet de levier). Il existe une multitude d’opérations possibles entrant dans la dénomination LBO mais prenons un cas classique : un groupe industriel de fabrication de matériaux de construction souhaite se séparer d’une de ses divisions en charge de la production de briques. Les raisons peuvent être multiples : réorientation stratégique, besoin de dégager des ressources financières pour d’autres projets, peu de synergies avec le reste du groupe etc.

Notre groupe industriel va donc mandater une banque d’affaires afin de la conseiller dans cette cession. Après avoir étudié la société et le marché, la banque d’affaires va contacter plusieurs acteurs qui pourraient être intéressés par cette société. Ces acteurs peuvent être des concurrents de notre groupe qui souhaiteraient se renforcer sur le secteur de la production de tuiles. Ces acteurs peuvent aussi être ce qui est communément appelé des fonds de LBO.

Qu’est-ce qu’un fonds de LBO aussi appelés « private equity » ? Le terme « fonds » est souvent utilisé à tort dans la presse. Le fonds n’est que le véhicule d’investissement dans lequel des personnes ont placé de l’argent (des banques, des assurances, des personnes fortunées, des mutuelles etc.). Ce véhicule est géré par une société de gestion (KKR, Carlyle, CVC, Blackstone pour ne citer que les plus connus). C’est la société de gestion qui va gérer ce véhicule et réaliser des investissements selon une stratégie définie dans le règlement du fonds.

Plusieurs formes de stratégie d’investissement

Cette stratégie d’investissement peut prendre plusieurs formes : investissement dans des PME ou des grands groupes, choix d’un secteur ou pas, espérance de rendement variable, type de support (capital ou dette). Le seul dénominateur commun à la stratégie d’investissement des fonds de « private equity » est comme leur nom l’indique d’investir dans des sociétés « privées, c’est-à-dire des sociétés non cotées. Les puristes me diront que ce n’est pas toujours le cas, j’en suis conscient, néanmoins dans l’immense majorité des cas, les investissements se font dans des sociétés non cotées.

Notre banque d’affaires a donc identifié 3 fonds qui pourraient être intéressés par notre division en charge de la production de briques. Elle transmet alors un certain nombre de documents aux sociétés de gestion concernées afin que celles-ci aient une idée un peu plus précise du fonctionnement de la société, des perspectives du marché, du business plan de l’historique financier.

Une de ces sociétés de gestion, nous l’appellerons LBO Investment Managers, est intéressée par la société. Cependant à la différence des concurrents industriels de notre groupe de fabrication de matériaux, le fonds qu’elle gère ne dispose pas d’une montagne de cash sur son bilan.

Constituer une holding

LBO IM va donc devoir réfléchir à une façon intelligente d’acquérir la société sans pouvoir mettre autant de cash que ses concurrents. Elle va constituer une société de holding qui se portera acquéreuse des titres. Dans cette holding, le fonds va apporter du cash qui constituera le capital de notre holding. Cependant le montant apporté en capital ne suffit certainement pas pour acheter la société. Il va donc falloir faire appel  à d’autres types de financement. En premier lieu le financement bancaire.

LBO IM va donc appeler différentes banques et leur demander si elles seraient intéressées pour participer à l’acquisition de notre division de fabrication de briques. Les banques disent alors à LBO IM : « cette société est super mais nous ne prêtons pas directement à la société, comment comptez vous donc nous rembourser ? »

LBO IM leur répond alors : la fabrication de briques générera des profits que nous pourrons remonter à la holding sous forme de dividendes. Les dividendes que recevra la holding vous seront alors reversés pour payer les intérêts et le capital. Après plusieurs modélisations, les banques se rendent compte que la fabrication de briques générera suffisamment de profits pour que ceux-ci soient remontés en dividendes et remboursent la dette. Elles donnent alors leur accord pour prêter de l’argent à la holding constituée par LBO IM.

LBO IM peut également faire appel à d’autres types de financement obligataire un peu plus chers que la dette bancaire mais qui ne diluent toujours pas le capital (dette junior).

Processus d’enchères

Ça y est notre fonds a suffisamment d’argent pour acquérir la division de fabrication de briques. À l’issue d’un processus d’enchères, LBO IM s’avère avoir présenté la meilleure offre et devient donc propriétaire de la division de fabrication de briques. Les années passent, le marché de la brique se porte bien et la société cible génère de beaux profits qui permettent de rembourser les intérêts et le capital. En ayant mis moins de capitaux pour acquérir la société cible, le fonds réalise un très beau rendement annuel comme le montre la mini-modélisation ci-dessous :

 

La société a augmenté son activité, amélioré sa rentabilité et augmenté ses profits. Cela lui donne une valeur plus forte au moment de la revendre quatre ans plus tard. D’autre part, la dette a entièrement été remboursée dans la holding. La société a même du cash sur son compte à hauteur de 25,38€ ce qui améliore sa valeur de revente.

Pour 60€ investis par le fonds et une fois toute la dette remboursée, le rendement annuel ressort à 25,7%/an. Si le fonds avait mis 100% de son investissement en capital, il aurait obtenu un rendement de 10,7%, beaucoup plus faible. L’intérêt de mettre de la dette est donc évident.

Effet de levier, effet de massue

Néanmoins si vous avez investi sur le mauvais cheval et que la rentabilité de société se dégrade, votre effet de levier se transforme en effet de massue. Vous devez rembourser votre dette et les intérêts alors que les dividendes sont plus faibles. C’est ce qui est arrivé à Vivarte. Une trop grande part de dette dans le montant de l’acquisition qui rend la société incapable de faire face à ses échéances quelques années après.

Ainsi tout l’enjeu d’une opération à effet de levier est de correctement mesurer le risque pris et donc la quantité de dette que la société pourra supporter. En 2007, les banques prêtaient à tout va, les sociétés de gestion s’imaginaient que les arbres montaient au ciel, les structurations des opérations étaient alors proprement délirantes.

Dans l’imaginaire collectif, l’arrivée au capital d’un fonds de LBO est souvent vue comme quelque chose de catastrophique : la société de gestion va serrer les vis, licencier du personnel etc. D’une part, il semble logique que l’actionnaire d’une société chercher à optimiser l’utilisation des ressources à sa disposition. C’est la logique du profit et il est éminemment souhaitable qu’une entreprise ne gâche pas ses ressources.

La logique des investissements LBO

D’autre part, les investissements LBO ont une logique. Ils permettent aux grands gestionnaires d’actifs, aux compagnies d’assurance, aux mutuelles d’avoir une diversification plus forte de leur stratégie d’investissement sur des sociétés non-cotées. De plus, ces opérations lorsqu’elles sont correctement exécutées offrent des rendements que peu de classes d’actifs sont en mesure de produire.

Il ne faut pas oublier que lorsque vous confiez votre argent à des banques ou des compagnies d’assurance, celles-ci répartissent la masse confiée entre différentes stratégies d’investissement. Or les fonds de private equity sont sur le long terme générateur d’un rendement élevé. Indirectement, les épargnants profitent donc de l’effet de levier des opérations et de leur rendement conséquemment plus important.

Pour les sociétés qui sont l’objet d’opérations de LBO, la présence de ces fonds offrent une liquidité aux précédents actionnaires qui peuvent ainsi réaliser leur patrimoine à un moment qui leur convient mieux et à un prix qui correspond à leurs attentes.

Comment fonctionne une acquisition immobilière

Maintenant que nous avons vu comment fonctionne un LBO, regardons comment fonctionne une opération d’acquisition immobilière. Vous souhaitez acheter un appartement d’une valeur de 100€. En vidant votre PEL et votre livret A vous n’avez que 25€. Vous allez donc voir votre banquier pour qu’il vous prête le complément soit 75€.

Vous êtes l’heureux propriétaire de cet appartement. Vous recevez un loyer et devez payer quelques frais liés à l’entretien, les charges de copropriété ainsi que la taxe foncière. In fine votre « profit » correspond à ce loyer minoré des charges diverses liées à cet appartement. Ce « profit » sert à rembourser les intérêts et le capital que vous avez emprunté auprès de votre banque.

Sans le savoir vous venez de réaliser l’acquisition d’un actif via une opération à effet de levier ! Cependant si vous avez mal calibré votre prêt et que vos mensualités sont trop élevées, vous ne pourrez pas faire face aux échéances. De même si votre locataire décide de ne plus vous payer et que vous ne pouvez pas le remplacer par un autre. Dans ce cas vous devrez réduire votre consommation ou votre épargne ce qui aura un effet direct sur les personnes avec qui vous aviez des échanges commerciaux et financiers.

Deux solutions possibles

Ainsi une opération avec effet de levier, qu’elle soit pour financer l’acquisition d’un actif immobilier ou d’un actif industriel engendre les mêmes effets. Si elle est bien calibrée, un très bon retour sur investissement (qu’il soit personnel ou pour des personnes qui vous ont confié de l’argent) et la possibilité de devenir propriétaire d’un bien avec moins de ressources. En revanche si elle est mal ficelée, l’obligation de réduire sa consommation/ses coûts face aux échéances qui tombent.

Il est donc parfaitement stupide de prendre l’exemple de LBOs qui fonctionnent mal du fait d’un mauvais équilibre de l’opération pour en tirer des conclusions sur l’effet de levier en général. D’autre part, affirmer que les salariés sont les premiers à pâtir de ces opérations n’est pas toujours vrai. La plupart des fonds accordent souvent des ressources supplémentaires à l’entreprise lorsque que celle-ci doit investir dans le renouvellement de son outil de production, dans le lancement d’un produit ou acquérir un concurrent. Les salariés bénéficient alors de ces investissements.

Quand surgit le problème

Non, tout n’est pas rose dans l’univers du LBO (cet article n’est d’ailleurs qu’un court résumé du fonctionnement d’une opération à effet de levier et de l’environnement des fonds de private equity), néanmoins encore une fois, les problèmes surgissent souvent lorsque l’opération prévoit une part de dette trop importante par rapport au capital apporté et aux perspectives de croissance de la société.

Les niveaux d’intérêts complètement débiles proposés par les banques centrales ces dernières années n’ont d’ailleurs fait qu’accroître le risque portant sur ces opérations. En baissant délibérément le prix de la dette, les banques centrales ont poussé au crime de nombreux fonds de private equity qui risquent dans les années à venir de connaître de grosses désillusions.

Lorsqu’en 2007 la Fed avait décidé d’augmenter ses taux, les journalistes et politiques prenaient la défense des propriétaires de maisons ruinés mais pensaient que ce qui arrivait aux fonds de private equity n’était qu’un juste retour des choses. Parce que la finance c’est mal et les petits propriétaires sont gentils. Pourtant ces opérations avaient exactement les mêmes principes.

Au lieu de déblatérer tous les jours leur haine de la finance en général, les journalistes et hommes politiques devraient plutôt dénoncer les manipulations de la BCE ou de la Fed. En abaissant artificiellement le coût de l’endettement (les taux d’intérêts), les banques centrales augmentent le risque que ces opérations se terminent mal. Mais jamais au grand jamais vous n’entendrez : « les banques centrales, c’est le pire de ce que propose l’économie ».

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  • Concernant la comparaison avec l’emprunt immobilier, c’est bien précisé dans l’article, ça ne fonctionne que pour un achat en vue de louer.
    Un investissement, donc.

    Mais pas pour l’achat d’une résidence principale qui – n’en déplaise aux partisans de la taxation des loyers fictifs – ne génère aucun revenu.
    Le pret étant alors remboursé par le produit d’une activité tierce : le salaire percu par l’emprunteur (ou tout autre revenu suivant sa situation).

    Or combien de français sont concernés par ce genre d’achats en vue de louer ? Et qui pourront alors comprendre votre défense du LBO ?

    Un peu dommage, votre article est pourtant très eclairant sur la situation.

    • En fait la réflexion s’applique aussi à un bien qui sera destiné à l’habitation, dès lors où on intègre le fait qu’un jour où l’autre ce bien sera revendu.
      Au lieu d’un profit locatif récurrent on aura un profit capitalisé en principe équivalent.
      C’est bien ce qui a fait dire à de nombreux propriétaires durant ces dernières décennies qu’en achetant sa maison on son appartement on ne perdait rien, et que la plus-value à la revente confirmait les intérêts versés.
      Clairement, aujourd’hui, ce n’est plus vrai.
      Et ce n’est plus vrai non plus pour les investissements locatifs, hors quelques exceptions (places de parkings par exemple).

      • D’accord sur ce point.
        Cependant vis à vis de la comparaison avec le LBO, on ne peut pas intégrer la plus value finale dans le « cash » disponible pour rembourser les mensualités.
        Donc ça n’est pas comparable à un LBO « plus classique » tel qu’exposé ici

        • Un profit (dividende ou intérêt) est toujours proportionnel au risque couru que l’effet de levier ne fait qu’augmenter ou multiplier! Le risque est dès lors élargi aux actionnaires et aux prêteurs alors que la faillite du LBO peut n’avoir aucun effet toxique sur les gestionnaires qui ont mal calculé les risques. En 2008, les banquiers emprisonnés furent rarissimes!

  • Autre question concernant les taux bas des banques centrales.
    D’accord, ça « pousse au crime » en poussant à augmenter la part de dette dans le montage initial, vs capital et perspectives de rentabilité du bien acheté.

    Mais ces interets très bas ne permettent-ils pas aussi de drastiquement diminuer la charge de cette dette, donc de diminuer le risque de défaut si la rentabilité du bien chute elle aussi ?
    A moins que l’emprunteur emprunte à taux variable, que peut-il réellement lui arriver ?

    Si je comprends bien votre article, au final, LBO, achat immobilier ou autre, ça ne reste qu’une question de « risque vs récompense », valable pour toute situation d’emprunt.

    • « Pousser au crime » n’est pas le commettre! Un propriétaire qui emprunte pour se construire sa maison est responsable des risques pris, sur ses fonds propres, c’est rarement le cas, dans la finance! C’est plus qu’une nuance!

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