En présence de Schopenhauer, de Michel Houellebecq

Pour exprimer sa gratitude envers Schopenhauer, Houellebecq a achevé un essai entrepris en 2005, où il commente ses passages favoris, qu’il a traduits lui-même.

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En présence de Schopenhauer, de Michel Houellebecq

Publié le 24 février 2017
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Par Francis Richard.

Michel Houellebecq a 25, 26 ou 27 ans – l’âge importe peu – quand il emprunte, dans une bibliothèque, Aphorismes sur la sagesse dans la vie d’Arthur Schopenhauer : en quelques minutes tout a basculé… Il cherche alors, et trouve, un exemplaire du Monde comme volonté et comme représentation.

Depuis, Houellebecq a évolué – il est devenu positiviste après avoir découvert dix ans plus tard un autre philosophe, Auguste Comte. Cependant l’attitude intellectuelle de Schopenhauer reste pour lui un modèle pour tout philosophe à venir. C’est pourquoi il éprouve à son égard un profond sentiment de gratitude.

Pour exprimer cette gratitude Houellebecq a achevé cet essai entrepris en 2005, où il commente ses passages favoris de Schopenhauer, qu’il a traduits lui-même. Sa préfacière, Agathe Novak Lechevallier, a raison de dire que, ce faisant, il fait apparaître l’oeuvre du philosophe comme une formidable machine à penser.

Il est vrai qu’il n’est pas besoin d’être d’accord avec quelqu’un pour que ce qu’il dit donne à penser. Ainsi Houellebecq n’a-t-il pas de mots assez durs contre le libéralisme. Ce n’est pas une raison pour ne pas s’intéresser à ce qu’il a pensé à un moment de sa vie et à ce qu’il pense aujourd’hui, d’autant que cela éclaire son oeuvre.

La lecture réconfortante de Schopenhauer

Houellebecq relit peu Comte et ne connaît pas de lecture de philosophe aussi immédiatement agréable et réconfortante que celle de Schopenhauer. Ce n’est certainement pas le fait de son art d’écrire : Nietzsche parle à raison de son espèce de bonhomie bourrue qui vous donne le dégoût des élégants et des stylistes.

Quand Schopenhauer commence un livre par : Le monde est ma représentation, Houellebecq commente : L’origine première de toute philosophie est la conscience d’un écart, d’une incertitude dans notre connaissance du monde. Pour devenir le philosophe de la volonté, Schopenhauer utilise l’approche, inhabituelle chez un philosophe, de la contemplation esthétique :

Le point originel, le point générateur de toute création consiste dans une disposition innée – et, par là même, non enseignable – à la contemplation passive et comme abrutie du monde. L’artiste est toujours quelqu’un qui pourrait tout aussi bien ne rien faire, se satisfaire de l’immersion dans le monde, et d’une rêverie associée.

Ainsi le poète se singularise-t-il : L’accessoire est que le poète est semblable aux autres hommes (et, s’il était vraiment original, sa création aurait peu de prix) ; l’essentiel, c’est que, seul parmi les hommes faits, il conserve une faculté de perception pure qu’on ne rencontre habituellement que dans l’enfance, la folie, ou dans la matière des rêves.

La beauté comme contemplation esthétique

Ainsi la beauté n’est-elle pas une propriété appartenant à certains objets du monde, à l’exclusion des autres ; ce n’est donc pas une compétence technique qui peut produire son apparition ; elle suit par contre toute contemplation désintéressée. Ce qu’il [Schopenhauer] exprime, encore plus brutalement par la phrase :

« Dire qu’une chose est belle, c’est exprimer qu’elle est l’objet de notre contemplation esthétique. »

L’absurdité de l’existence ? Ce n’est pas seulement, ce n’est même pas surtout l’activité de l’homme qui porte le signe du néant : la nature entière est un effort illimité, sans trêve ni but ; « tout n’est que vanité et poursuite du vent ». Et il cite un passage de Schopenhauer qui l’illustre, qu’il dédie aux écologistes, et qui se termine ainsi :

« Pourquoi ces scènes d’épouvante ? À cela il n’y a qu’une seule réponse : ainsi s’objective le vouloir-vivre. »

Les 3 méthodes du poète

Selon Schopenhauer, qui emploie souvent des métaphores théâtrales pour faire comprendre ses propos, il est trois méthodes employées par un poète pour décrire la survenance d’un grand malheur, le seul élément indispensable à la tragédie :

l’exceptionnelle méchanceté d’un personnage artisan de ce malheur

le destin aveugle qui frappe les personnages

la simple situation des personnages l’un à l’égard de l’autre.

C’est cette dernière méthode qui a sa préférence : Elle ne nous montre pas le malheur le plus extrême comme une exception, ni comme quelque chose qui est amené par des circonstances exceptionnelles ou des caractères monstrueux, mais comme une chose qui provient aisément, comme de soi-même, presque nécessairement, de la conduite et du caractère des hommes, et par là nous le rend effroyablement proche.

Fatalisme

Comment conduire son existence dans un tel monde, absurde, où le malheur n’épargne personne et où toutefois existent des petits moments de bonheur imprévu, des petits miracles ?

Dans Aphorismes sur la sagesse dans la vie, Schopenhauer trouvait l’énergie nécessaire pour énoncer des banalités et des évidences, lorsqu’il les croyait justes ; il a systématiquement placé la vérité au-dessus de l’originalité ; pour un individu de son niveau, c’était loin d’être facile.

Schopenhauer fait ainsi ce constat fataliste : Les jouissances les plus élevées, les plus variées et les plus durables sont celles de l’esprit, bien que nous nous y trompions tellement pendant notre jeunesse ; celles-ci dépendent surtout de la puissance innée de notre esprit ; il est donc facile de voir à quel point notre bonheur dépend de ce que nous sommes, alors qu’on ne tient compte le plus souvent que de notre destin, de ce que nous avons ou de ce que nous représentons.

Il précise : Le destin peut s’améliorer ; et, lorsqu’on possède la richesse intérieure, on n’attendra pas grand-chose de lui ; mais jusqu’à sa fin un benêt reste un benêt, un abruti reste un abruti, fût-il au paradis et entouré de houris.

Est-ce bien certain ?

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  • Simplement majestueux.

  • Bonjour

    Très bon article, j’aime bcp Houellebecq.

    L’absurdité de l’existence ? Ce n’est pas seulement, ce n’est même pas surtout l’activité de l’homme qui porte le signe du néant : la nature entière est un effort illimité, sans trêve ni but ; « tout n’est que vanité et poursuite du vent ».

    C’est vrai que la lecture de Houellebecq est très dépressive.

  • Les commentaires sont fermés.

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