Présidentielle : pourquoi le débat sur l’Union européenne n’aura pas lieu

À la fois juges et parties, les politiciens utilisent le ressenti de certains Français à des fins carriéristes. Depuis 25 ans, ils entretiennent l’obscurantisme et les clivages sur une Union européenne dont ils sont les artisans et les principaux bénéficiaires.

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Présidentielle : pourquoi le débat sur l’Union européenne n’aura pas lieu

Publié le 21 février 2017
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Par Claude Latiberle.

Si le traité de Lisbonne a octroyé plus de pouvoir aux députés du Parlement européen, et donc implicitement au peuple de chaque pays membre, ces députés n’ont cessé de s’affranchir de leur mandat de représentativité pour entretenir un entre-soi politicien et contribuer à l’inflation législative européenne.

À l’instar des parlementaires nationaux, les députés européens français illustrent parfaitement le décalage entre les propositions électoralistes et la réalité de leur mandat qui se résume à faire ce que bon leur semble, sans avoir à rendre de compte durant leur CDD. Un fois élus soit ils disparaissent du paysage national, soit ils ne parlent que de politique nationale. Ils feraient presque oublier qu’ils ont une responsabilité personnelle et collégiale en tant que colégislateurs avec le Conseil de l’Union européenne.

Qu’il s’agisse des députés européens français ou des ministres, présents ou précédents, aucun d’eux n’a veillé, ni ne veille, à intégrer les citoyens français dans une réflexion thématique ou des travaux en cours, ni à évoquer les propositions et les interventions de la Commission dépourvue du pouvoir législatif. Cette absence totale d’information de leur part contribue à entretenir opportunément un amalgame entre ce qui est du ressort national et de l’Union européenne. Dans la prolifération des textes européens non expliqués, les Français doivent se contenter de la rumeur et de la désinformation. Les exemples de mensonges par omission se multiplient.

Le cas Ecomouv’

La France a voulu appliquer la Directive 2011/76/UE du Parlement Européen et du Conseil du 27 septembre 2011 qui modifiait la directive 1999/62/CE relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures. Cette directive autorise le recours à une taxation poids lourds et en fixe les modalités, mais son application est facultative. Son article 2  précise que « Les obligations en matière de transposition et de mise en œuvre de la présente directive ne s’appliquent pas aux États membres tant qu’aucun péage ou droit d’usage n’est mis en œuvre sur leur territoire. »   Cette Directive autorise un pays membre à faire payer les « pollueurs » et responsables de la détérioration des réseaux routiers nationaux en y incluant tout ressortissant de l’Union européenne de passage.

Un pays n’ayant pas recours à ce type de fiscalité ne peut pas contester son application au motif que l’argent collecté ne profite qu’au pays collecteur et à ses ressortissants. La France a voulu rendre cette directive obligatoire sur le territoire avec le succès que l’on connaît : la perte d’environ 10 milliards de recettes et un dédommagement pour résiliation de contrat que certains estiment à un milliard d’euros.

Le cas de l’accord de libre-échange avec le Canada AECG ou CETA, Comprehensive Economic and Trade Agreement

Cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada est en négociation depuis 2009, et aucun député européen français, ni aucun ministre, n’a jugé bon de tenir les Français informés des termes abordés tout au long de ces huit années. La teneur et l’avancement des travaux en commission parlementaire n’ont jamais fait l’objet auprès des Français d’un compte rendu argumenté, ni même politicien, de la part de leurs députés européens y participant. Le silence total pendant huit ans.

Au final, les Français se retrouvent avec une encyclopédie à lire, pris en otage par les défenseurs et les opposants qui se chargent de l’interpréter à leur convenance, sans la moindre précision sur les articles. La seule certitude est que cet accord est applicable dès à présent de façon provisoire, avant la ratification des pays concernés.

À défaut de connaître la teneur exacte de l’accord, les Français auront, avec ou sans consentement, des arguments factuels de référence pour déterminer la pertinence ou non d’un tel accord par le biais d’une période d’essai. Il est assez cocasse de voir à présent des députés européens français et certains candidats à l’élection présidentielle faire preuve d’autant d’emphase après tant d’années de mutisme sur le sujet auprès des Français.

Certains sont même disposés à en faire un argument contre l’Union européenne pendant la campagne présidentielle, alors qu’ils ont déjà participé, et participent encore, à d’autres négociations et accords de ce type. C’est notamment le cas pour l’accord UE-Corée du Sud en vigueur à titre provisoire depuis le 1er juillet 2011 et de manière définitive depuis 2015, puis l’accord commercial multilatéral entre l’UE, le Pérou et la Colombie, signé en 2012, et en vigueur depuis 2013 à titre provisoire, auxquels se rajoutent d’autres accords en cours de négociation, dont celui avec le Japon.

Le cas des normes européennes

L’élaboration d’exigences techniques sont du ressort du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne et doivent être en rapport avec des objectifs européens validés au préalable, notamment en matière de santé, d’environnement et de sécurité.

Sous la forme de directives, ces exigences constituent un socle « minimal ». Elles peuvent être complétées par des « normes harmonisées » qui précisent les spécificités techniques permettant le respect des exigences obligatoires. À la demande la Commission, ces normes harmonisées sont établies par l’un des trois organismes européens de normalisation (CEN-CENELEC-ETSI) qui sont eux-mêmes constitués par des organismes nationaux de normalisation (un par pays membre), dont le français AFNOR, tenus de collaborer avec des représentants de l’industrie et des PME.

L’application de ces normes harmonisées est généralement facultative, la Commission et ces organismes n’ayant pas de pouvoir législatif. Dans un pays comme la France, déjà victime de l’inflation législative et d’une surenchère de normalisations nationales obligatoires, un surplus de lois européennes obligatoires, aussi minime soit-il, ne passe plus. Le secteur du bâtiment est l’un des exemples, parmi tant d’autres, qui illustre la tendance politicienne française à plomber les acteurs économiques de contraintes.

Ainsi, la Directive 2010/31/UE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments vient s’ajouter à un Code de la construction et de l’habitation, dont les articles sont sans cesse nourris d’arrêtés. C’est le cas, entre autres, avec celui du 3 août 2016 sur la réglementation des installations électriques des bâtiments d’habitation qui a modifié l’article R. 111-12 de ce Code avec des exigences purement nationales. De plus, certaines normes européennes facultatives servent de référence pour en rajouter une dose en les rendant obligatoires au niveau national.

Le paradoxe est que ce sont ces mêmes exigences techniques européennes et obligatoires qui ont permis d’imposer des conditions de normalisations dans l’accord CETA, et entre autres dans le domaine de la sécurité alimentaire (OGM, bœuf aux hormones, etc.).

Depuis 25 ans, les politiciens partisans et détracteurs s’affrontent sans rechercher l’enrichissement des connaissances de tout un chacun sur l’Union européenne. Année après année, les discours démagogiques et les incantations électoralistes se succèdent au détriment d’un véritable débat de fond sur le sujet avec les explications nécessaires et factuelles.

D’un côté, les défenseurs de l’Union européenne sont incapables d’évoquer concrètement les avancées dans certains domaines et d’expliquer les impacts sur les acteurs économiques ou sur les Français. Aucun d’eux n’informe les Français sur :

  • les enjeux réels du projet Erasmus sur la formation d’étudiants français en cursus d’études (36 559 pour 2013-2014) ou en stage en entreprise, ni sur les personnes concernées et les modalités pour en bénéficier,
  • l’impact sur tous les secteurs d’activités de toutes les plate-formes de recherche et d’innovation, comme celle d’Agromat à Tarbes,
  • les effets sur le mode de vie et les retombées économiques des activités de l’Agence spatiale européenne et du Centre national d’études spatiales (CNES), avec notamment l’exemple de Galiléo qui va mettre un terme à la dépendance  au système américain GPS,
  • la création de réseaux tels que le réseau Enterprise Europe Network (conseils et d’accompagnement) dans le cadre COSME, programme pour la compétitivité des entreprises et des PME,
  • la possibilité d’accords interinstitutionnels ayant permis l’existence, entre autres, de l’Office européen des brevets (OEB), de l’Office européen de police (Europol), de l’Office européen de lutte anti fraude (OLAF),
  • le rôle de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) et la possibilité de renforcer ses moyens, tant techniques qu’en termes d’effectif, afin de renforcer le contrôle aux frontières de l’Union européenne.

Ceci n’est qu’une part infime des thèmes non abordés par les défenseurs de l’Union européenne, à laquelle s’ajoutent tous les impacts oubliés sur le quotidien de chacun : carte européenne de sécurité sociale, permis de conduire commun, plus besoin de passeport, fin des frais de roaming, harmonisation des diplômes universitaires (LMD), etc.

De l’autre côté, les adversaires de l’Union européenne ont tout autant recours au verbiage pour affubler l’euro et l’Union européenne de tous les torts. Non seulement ils se dispensent aussi d’arguments tangibles, mais de plus ils évoquent des solutions sans même en préciser les modalités d’application, ni démontrer concrètement leur pertinence.

Qu’ils soient pour ou contre l’Union européenne, tous les politiciens français sont responsables des dysfonctionnements des instances européennes. De plus, la plupart d’entre eux tentent d’imposer depuis longtemps le concept d’un État providence et interventionniste propre au système socialiste, incompatible avec le fondement essentiel de l’Union européenne de créer un espace de libre-échange et de liberté de circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes.

Certains voudraient même aller au delà du principe de redistribution qu’ils ont conçu et qui se concrétise par des programmes tels que Stratégie 2020, Horizon 2020, et même par  la PAC, alors que cette redistribution n’atteint déjà pas ses objectifs. Et pour cause. Rien n’a été mis en place par les députés européens français, ni par les gouvernements successifs, afin d’informer directement les potentiels bénéficiaires et particulièrement toutes les PME/PMI. Et même si certains ont la chance de connaître l’existence des fonds FEDER, FSE, FEADER, FEAMP, ou FEAGA, ils se retrouvent face à des formalités administratives rédhibitoires, qui s’ajoutent aux contraintes administratives françaises, avec de surcroît des délais de traitement de dossier dissuasifs.

De par le manque d’information et la complexité des dossiers, de très nombreux potentiels bénéficiaires n’ont pas accès à cette redistribution. Et ceux qui y ont accès sont tenus de réaliser leur projet conformément à ce qui était prévu à la virgule près, car les fonds européens sont des avances à rembourser en cas d’abandon de projet ou non conformité.

Par contre, les élus locaux profitent largement de tous les dispositifs européens de redistribution en se servant de l’aval des antennes relais obligatoires pour toute demande de fonds européen. Les demandes de fonds des élus locaux, comme celles d’autres potentiels bénéficiaires, sont préalablement transmises pour accord à des intermédiaires liés à d’autres politiciens nationaux, tels que la DIRRECTE et SGAR placés sous l’autorité des préfets, ou ceux du ministère de l’agriculture au travers du Télépac.

Par cet entre-soi national de connivence, « L’Europe s’engage » finit en marche pied pour leur ascension politicienne avec des projets électoralistes dont ils s’attribuent les mérites. Le cas du Télépac est édifiant sur l’utilisation politicienne de la flexibilité de la nouvelle réforme de la PAC, puisque la France, contrairement à l’Allemagne, peut maintenir son interférence dans le choix de production des agriculteurs. Les agriculteurs français sont ainsi tributaires des orientations politiques du pays pour l’obtention des fonds.

Certains rapports de la Cour des comptes européenne (auditeur externe indépendant) révèlent la gabegie dans l’attribution de fonds de la Commission qui ont permis la réalisation de projets inutiles, avalisés par ces intermédiaires nationaux rattachés aux ministères qui se portent garants de leur pertinence et conformité. Non seulement les politiciens français savent utiliser les deniers des contribuables français à des fins électoralistes, voire personnels dans certains cas, mais de plus ils en font tout autant avec les fonds européens au détriment des acteurs économiques censés être les bénéficiaires.

À la fois juges et parties, les politiciens de tous les partis politiques utilisent le ressenti de certains Français, ou leur colère, à des fins carriéristes. Depuis 25 ans, ils entretiennent l’obscurantisme et les clivages sur une Union européenne dont ils sont les artisans et les principaux bénéficiaires.  Les politiciens français, partisans ou détracteurs de l’union européenne, n’ont aucun intérêt à changer cela. La campagne présidentielle ne sera pas un tournant dans ce domaine.

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  • Un peu des vérités sur l’Europe…

  • Il se passe au niveau de l’Europe ce que nous pouvons constater en France: une fois élu, le représentant ne rend plus aucun compte à ses Électeurs, et tout au plus se conforme-t-il aux directives de son Parti.
    Sans parler des elus qui vont (ou pas) au parlement alors qu’ils sont hostiles à l’Europe, et n’y font rien ou s’opposent à tout, par principe.
    Comme partout, hélas : un élu qui considère qu’il ne rend compte que le jour dès élection n’est pas un élu. C’est un dictateur.

    Si les normes européennes remplaçaient les NF, on gagnerait parfois.
    Ainsi, la norme des alarmes et dispositifs de sécurité NF A2P est-elle (abusivement) parfois imposée par les compagnies d’assurance française qui refusent de reconnaître la norme européenne correspondante, tout aussi performante.
    Du coup, la plupart des « bons » systèmes d’alarme du marché européen sont très largement supérieurs aux systèmes NF, mais ne peuvent pas été utilisés en France.
    A la moindre modification du système (mise à jour de l’OS de la centrale par exemple, ou renforcement de la sécurité pour l’un des détecteurs) il fait repasser intégralement l’agrément français en plus de la norme européenne : les fabricants ont baissé les bras.

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