Vérifier les informations à l’heure de la post-vérité et du big data

Où trouver chaque jour des spécialistes, experts, de sujets pour apporter leur analyse en continu ?

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Vérifier les informations à l’heure de la post-vérité et du big data

Publié le 15 février 2017
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Par Pierre Memheld.
Un article de The Conversation

Vérifier les informations à l'heure de la post-vérité et du big data
By: chrisbb@prodigy.netCC BY 2.0

L’actualité récente regorge de fausses informations, de rumeurs, de « faits alternatifs » ou de désinformation pure et simple. Le défi est double : d’une part arriver à suivre le rythme de l’information diffusée par de plus en plus de canaux et d’intermédiaires, les médias ; d’autre part, réussir à vérifier l’information diffusée pour s’assurer de son exactitude ou objectivité. La nature même des médias, eux-mêmes confrontés aux défis ci-dessus, est d’assurer un droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste.

Or, les formats papiers, télévisuels ou même Internet sont de plus en plus contraints. Peut-on fournir en 1/8e de page, ou en 30 secondes, une information complète ? Comment faire pour fournir une information indépendante lorsque tous les groupes de presse appartiennent à des fortunes privées ? Où trouver chaque jour des spécialistes, experts, de sujets pour apporter leur analyse en continu ?

Face aux « opérations d’information » russes, efficaces car venant en soutien à leurs opérations tactiques, ou aux déclarations du Président Trump, tonitruantes mais correspondant à ses déclarations de campagne, des médias ont commencé à réagir. Certains proposent des « ressources pour la collecte et la vérification d’informations à destination des journalistes » ou « un outil de vérification de l’information … les Décodeurs, venons en aux faits ».

On pourrait critiquer ces initiatives en remettant en doute leur objectivité, les médias présentant souvent une orientation politique, présentée comme ligne éditoriale, contraire à la charte de déontologie de la profession en France :

« un journaliste tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, (…) la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles (…) proscrit tout moyen déloyal et vénal pour obtenir une information (…) n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée (…) ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge ».

Cette approche est saine d’autant que la diffusion d’informations volontairement, ou non, fausses ou biaisées peut avoir des conséquences judiciaires, jugée comme diffamation, violation du secret défense ou du secret de l’instruction.

Un exemple de fausse information économique : Vinci

Il faut ici mettre cette problématique en perspective avec un cas récent ayant touché la société Vinci : le 22 novembre 2016, le cours en bourse de la société a brusquement chuté après la diffusion à quelques rédactions, et aux principales agences d’information, d’un faux communiqué annonçant le licenciement du directeur financier de la société suite à de mauvais résultats.

Malgré des « indices étonnants » certaines des agences, dont une très importante en matière financière (Bloomberg), ont diffusé ce communiqué, sans aucune vérification, entraînant une perte de capitalisation de 7 milliards d’euros sur 36 le jour même. Pire, un faux démenti est parvenu aux rédactions. Le vrai démenti de Vinci est arrivé immédiatement après.

En l’espace d’une heure pourtant le mal était fait : le temps de l’attaque rend difficile la vérification du fait, au vu des volumes d’informations ne serait-ce que sur cette société, l’action se déroulant sur moins d’une heure. On pourrait alors dire que les médias diffusent de fausses informations en oubliant qu’une partie des communiqués est générée et utilisée quasi automatiquement par des robots. Au demeurant la sensibilité du sujet, et le fait que des cas similaires ont déjà eu lieu, devraient pousser les rédactions à une attention particulière pour les informations dont la diffusion a clairement un impact financier et donc social.

Accélération, accumulation

Certains journalistes eux-mêmes ont conscience de ces problématiques, en particulier de la dictature de l’instantané, le fait de devoir produire en permanence du contenu menant à confondre avis, sentiment, opinion, réaction et informations ou faits, dans un « éditorialisme en continu ». En mettant à disposition des outils et méthodes, les médias ne font que décaler le problème du producteur vers le consommateur.

Or à son échelle, le consommateur/lecteur n’a pas le temps de mettre en application cette approche. Si tant est qu’il le veuille : car l’individu a naturellement des jugements, avis et biais cognitifs qui lui font choisir un média ou préférer une idée, posture et idéologie en particulier.

Malgré cette limite, contradictoire avec le fait de lire, de se bâtir sa propre conviction ou d’avoir l’esprit critique, du fait de l’accélération de la vie personnelle ou professionnelle et de la diffusion de plus en plus massive d’informations, seule la vérification des faits, la diversité des sources en plusieurs langues si besoin et l’utilisation de méthode permet de distinguer faits, information (faits exploités et mis en forme) et opinions.

Confrontés au déluge d’informations…
Esther Vargas/Flickr, CC BY-SA

Mais là apparaît un nouvel obstacle : pouvons-nous vérifier une information ?

Les limites du savoir ou le biais de la connaissance

La multiplicité des sites Internet de référence, pour s’en tenir au média le plus accessible et disponible, semble l’affirmer : nous pouvons explorer le monde par imagerie satellite, trouver des données macro-économiques sur tous les pays, reconstituer les parcours et réseaux des dirigeants, ou acheter en un clic tous les livres sur un sujet.

Mais il s’agit d’une illusion d’information : les moteurs de recherche ne couvrent pas la totalité du net ; de nombreux sites sont inaccessibles ou payants ; la masse d’information réellement disponible dépasse le temps de traitement disponible. Ce biais de connaissance est induit par les moyens technologiques mis à notre disposition.

Même les méthodes de visualisation des données les plus performantes, l’analyse des big data, ne peuvent traiter que les informations que nous leur fournissons. Au demeurant les utiliser, en connaissant cette limite, permet de représenter une réalité, celle que l’on a choisi d’étudier, et non pas la réalité dans son ensemble.

En matière de méthodologie on doit rappeler qu’il faut qualifier l’information mais également sa source de façon indépendante : des sites sérieux ont diffusé de fausses informations (a posteriori celles sur les armes de destruction massives en Irak) et des séries télé ou des romans, par définition imaginaires, ont annoncé des scenarii qui se sont déroulés.

Les sites dits complotistes ont eux un objectif annoncé, à savoir servir de caisses de résonnance aux opérations d’information d’un pays ou de l’autre. Les États-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne et la France ont théorisé l’utilisation des actions psychologiques en soutien à leurs opérations militaires, avec l’utilisation des réseaux sociaux pour diffuser des messages calibrés ou capter du renseignement. Et c’est là que nous atteignons l’ultime limite de la vérification de l’information : certaines sont confidentielles, certaines sont techniques et certaines sont créées pour une opération d’influence.

Un exemple dont nous ne pouvons pas encore connaître tous les tenants et aboutissants : l’annonce du piratage du réseau électrique Nord américain par des hackers russes fin décembre 2016. Après que le Washington Post l’ait annoncé comme tel, dans le contexte que nous connaissons, l’article a été amendé suite à la modération des autorités officielles elles-mêmes. Sans parler de l’action politique ou médiatique, il est difficile pour un lecteur, même averti, de vérifier par lui-même la réalité de cette attaque, qui plus est dans un domaine où la danse des miroirs est techniquement faisable.

La figure du hacker…
Katy Levinson/Flickr, CC BY-SA

En conclusion, il faut garder à l’esprit que « le paysage narratif devient un champ de bataille permanent » où seule « l’éducation aux médias et à l’information, et la formation de futur.e.s citoyen.ne.s critiques » permettent, non pas d’avoir une réponse définitive, tant les intérêts privés et politiques s’entrechoquent, mais de pondérer l’information transmise, par la connaissance des limites de chaque élément de la chaîne de transmission.

On peut aussi citer l’utilisation de méthodes d’analyse, certes issues du renseignement, pour avancer en fonction des informations trouvées et qualifiées : la méthode des hypothèses comparées par exemple permet de réfléchir à toutes les possibilités tout en restant dépendante de ses « inputs ». Car l’information est un cycle, pas une série de points…

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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  • Même les algorithmes peuvent souffrir de biais cognitifs…

  • « La nature même des médias, eux-mêmes confrontés aux défis ci-dessus, est d’assurer un droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste. »
    Pas vraiment : qu’un média soit de parti-pris n’est pas un problème si les informations qu’il donnent sont juste. Même si elles sont partielles. Il faut juste pouvoir identifier le prisme, la colorarion, le biais de présentation du média.
    Par exemple, si je lis un article sur la Loi Travail sur l’Huma, il est clair que je peux m’attendre à une prise de position forte. Mais je peux aussi apprendre certains aspects de cette loi, de ses conditions de vote, de ses conséquences que je ne trouverai pas dans Valeurs Actuelles…
    Le pluraliste, c’est bien de disposer de plusieurs sons de cloche, et d’avoir la capacité de faire le tri…
    Quant à l’indépendance des médias, elle est à mon avis utopique par nature.

  • Il est plus facile pour tout le monde aujourd’hui de suivre un ou deux médias allant dans son sens (biais de confirmation) qu’explorer, exploiter, analyser, comprendre plusieurs sources complémentaires et/ou contradictoires.
    Je module donc moi-même mon premier commentaire…

    Un exemple que chacun connaît ici : le réchauffement climatique.
    Voici plus de 10 ans que j’ai entrepris de me forger mon propre point de vue, ce qui m’a fait passer de rechauffiste à sceptique.
    Ma base de scolarité scientifique (bien qu’un peu ancienne) m’a fait redécouvrir les méthodes de réflexion, la vérification des démonstrations, la recherche des sources de données et d’information, etc.
    Avec les années ce travail m’a pris de plus en plus de temps, confortant sans cesse ma position de sceptique…
    Et je suis en train de renoncer…
    Renoncer car en dehors des sites officiels et des médias grand-public, j’ai trouvé autant de bonne foi, de sources fiables, de démonstrations solides, d’analyses cohérentes, de conclusions aux conséquences observables et mesurables dans les deux camps !
    Et finalement autant d’agressivité, de mépris, d’indignation, de mensonges et de manipulation dans les deux camps.
    Peu importe dès lors qui a raison, qui a tort et même peu importe désormais pour moi de savoir à qui profite le crime…

    Sauf à consacrer sa vie à un sujet (le réchauffement climatique, la montée de l’Islam, les OGM, le libéralisme, l’économie solidaire, l’intelligence artificielle, la culture des tomates, que sais-je encore), il est à mon humble (mais orgueilleux) avis devenu impossible de se forger un avis solide et argumenté.

    Les médias biaisés, orientés, qui fabriquent l’opinion publique ont donc, toujours selon moi, un avenir radieux devant eux…

    • Ayant entrepris le même parcours que vous sur le réchauffement climatique, j’en tire une conclusion et elle me semble importante: en l’absence de preuve, s’abstenir de dépenser des milliards contre un ennemi fictif (le CO2). Mais il est connu que désigner des boucs émissaires est toujours utile aux pouvoirs…

      • Même conclusion.
        Et si recherche il y a (au nom de la curiosité scientifique, de la saine prudence de certaines institutions, que sais-je), pourquoi ne pas mettre une partie (l’essentiel) des fonds sur la recherche explorant les conséquences immédiates et réalistes du RC et les mesures à communiquer au grand public pour qu’il s’y adapte au mieux ?
        On le fait dans les zones systémiques, dans les zones inondables, dans les couloirs d’avalanche, etc. Mais rien au sujet climatique. C’est louche…

  • Merci pour cet article. Personnelement je recherche les incohérents/distortions naratives pour me faire une idée de l’infirmation. la réalité étant complexe toute info simpliste ou avec des non dit est suspect. le meilleur example que je connaisse est le traitement des sujet sur l’Ukraine et le Yemen qui sont tristement similaire mais la naration des media est aux antipodes

    • « petit cours d’autodéfense intellectuelle » de Baillangeon, et « L’art d’avoir toujours raison » de Schopenhauer : le couteau suisse de l’esprit critique !
      Devraient être fournis des l’école primaire, et révises par les élèves chaque année…

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