Ils étaient présidents : Émile Loubet

Portrait d’Émile Loubet, président de la République Française entre 1899 et 1906.

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Ils étaient présidents : Émile Loubet

Publié le 12 février 2017
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Emile Loubet (Crédits BIU Santé, image libre de droits)Il aurait pu à l’image de son illustre et lointain successeur évoquer la « force tranquille ».

Élu le 18 février 1899 par 483 voix contre 279 à Jules Méline, sa présidence devait s’achever tranquillement à la différence de ses prédécesseurs poussés à la démission (Thiers, Mac-Mahon, Grévy, Casimir-Perier) ou mourant en fonction (Sadi Carnot, Félix Faure). Émile Loubet (Marsanne, Drôme, 30 décembre 1838 – Montélimar, 20 décembre 1929) mettait ainsi fin à une sombre fatalité pesant sur la présidence de la République. Il avait été choisi pour son caractère conciliant.

Pourtant, sa présidence ne fut pas de tout repos, loin de là. L’Affaire divisait alors les Français. Pour un des deux camps, il fut l’ennemi à combattre. L’antidreyfusard Rochefort ne l’avait-il pas surnommé le « Machiavel nougateux » ? Pour le camp des adversaires de Dreyfus, il était un incapable, un mufle, un pleutre et un misérable entre autres joyeuses épithètes. Tout politique s’attend, certes, à recevoir des coups mais pas nécessairement des coups de canne.

Mais la France ne devait sortir de l’Affaire Dreyfus que pour entrer dans une guerre sans merci contre le « péril clérical ». La République échappait aux modérés pour être dominée par les radicaux francs-maçons et « bouffeurs de curés ». Le président Loubet, esprit naturellement modéré, vécut difficilement l’anticléricalisme débridé de ces années là.

 

Émile Loubet, homme d’influence

Comme de nombreux hommes politiques de l’époque, ce fils de viticulteur avait fait son droit et s’était inscrit au barreau de Montélimar. Durant ses études parisiennes, il avait fait la connaissance de Léon Gambetta.

Émile Loubet avait ensuite gravi toutes les marches de la carrière politique : maire de Montélimar (1870-1899), ce qui n’était pas du nougat, député (1876-1885) puis sénateur (1885-1899), il devait être deux fois ministre et même présider un gouvernement en 1892. Le cabinet Loubet fut renversé en essayant d’étouffer le scandale de Panama. Ces expériences ministérielles avaient donc été relativement courtes.

La présidence du Sénat devait lui ouvrir les portes de l’Élysée : situation qui devait se répéter quatre fois sous la Troisième République. Son pedigree républicain était irréprochable : Émile Loubet avait été des 363 opposés au maréchal de Mac-Mahon. Il était de ces « républicains modérés mais non modérément républicains ». Membre de la gauche républicaine, il avait présidé la commission des finances comme celle des douanes de la Chambre haute. Il y occupait donc une place de premier plan. D’ailleurs, il fut toujours élu président du Sénat à l’unanimité des suffrages exprimés.

Président du Sénat, il eut ainsi le curieux privilège de présider le Congrès de Versailles qui vit son élection dès le premier tour. L’Affaire Dreyfus conditionnait désormais la vie politique. Clemenceau voyait, à tort ou à raison, dans Loubet un sympathisant de la Cause : « Je vote pour Loubet » avait-il déclaré. Aussi la gauche se rassembla-t-elle sur son nom. Le soir même, le ban et l’arrière-ban des nationalistes, Déroulède et Drumont en tête, manifestaient contre son élection aux cris de « Loubet démission » ou « Loubet Panama ».

 

Émile Loubet ou Panama Ier

Si sa fille Marguerite était une ardente dreyfusarde, Émile Loubet avait pourtant gardé une prudente réserve.

« Personne n’a le droit de dire que je suis dreyfusard ou antidreyfusard. Je suis avec la majorité de la Nation pour la vérité. »

Néanmoins, bête noire des nationalistes qui voyaient en lui un dreyfusard, Émile Loubet était victime d’agressions répétées de la part des ligueurs. À peine revenu de Versailles, le nouveau président de la République était accueilli par les bandes d’extrême droite poursuivant et frappant sa voiture jusqu’à l’Élysée. Les forces de l’ordre restèrent remarquablement inactives. Déroulède, appuyé contre la statue de Jeanne d’Arc, prenait la parole place des Pyramides : « Nous chasserons le nouvel élu qui n’est pas pour moi le chef de la nation française. Vive la république meilleure ! À bas celle-ci ! ».

Le président du Conseil, l’ineffable Charles Dupuy, laissait le chantre du nationalisme tenter de faire son piteux coup d’État lors des obsèques de Félix Faure. Déroulède vite acquitté devant les tribunaux, « c’est Loubet condamné » pour La Libre Parole, l’organe antisémite de Drumont. De nouveau, les séides du nationalisme préparaient un mauvais coup pour chasser « Panama Ier » « comme un laquais ».

Le 4 juin 1899, au steeple-chase d’Auteuil, des centaines de manifestants rassemblant « gens du monde et valets d’écurie », selon la formule de Reinach, insultaient le président. Un beau blond élégant, le baron Christiani, s’élançait sur les marches de l’estrade présidentielle et frappait à coups de canne redoublés le chapeau d’Émile Loubet. Le président du Conseil crut devoir présenter ses excuses à un chef de l’État qui avait conservé son sang froid et ses bonnes manières. Émile Loubet répondit sèchement à Charles Dupuy : « Je n’ai aucun mal. Pourtant c’est une leçon. »

 

Mettre fin à l’Affaire Dreyfus

Rentré à l’Élysée, le président devait déclarer au secrétaire général civil : « Je ne suis pas venu ici pour mon plaisir ; je n’en sortirai pas pour le plaisir des autres. »

Cette fois la mesure était comble face à la mollesse et à l’insouciance du président du Conseil. Huit jours plus tard à la Chambre, les socialistes menèrent l’hallali, soutenus par l’ensemble des républicains, du centre aux radicaux. Le cabinet était renversé et Charles Dupuy cédait la place à Pierre Waldeck-Rousseau. La bêtise hargneuse des nationalistes contribuait ainsi à la constitution de ce gouvernement de « défense républicaine ». Froid et distant, Waldeck-Rousseau était pourtant mal accueilli à la Chambre. Le nouveau cabinet allait-il périr à peine né ? Soutenu à sa naissance par une faible majorité, il devait pourtant se révéler le plus durable de la Troisième République.

« Tout ce qui concerne la politique du cabinet appartient au président du Conseil et à lui seul » déclarait aussitôt Waldeck-Rousseau en Conseil des ministres. Le président de la République, jugé timoré par le chef du gouvernement, se retrouvait mis sur la touche.

Le nouveau président du Conseil était résolu à en finir avec l’Affaire. Le procès de Rennes allait cependant déboucher sur un verdict de culpabilité « mais avec des circonstances atténuantes ». Dix jours après cette seconde condamnation de Dreyfus, le 19 septembre 1899, s’appuyant sur un certificat médical et ayant pris les avis des présidents des deux chambres, Émile Loubet signait la grâce du malheureux capitaine. Cette « mesure de souveraine pitié » fut suivie d’une loi d’amnistie en décembre 1900.

 

La république des Émile

Se retirant pour raison de santé, Waldeck-Rousseau laissait place à Émile Combes. L’arrivée du « petit père Combes » au ministère marqua le début de l’offensive anticléricale au grand désespoir de Mme Loubet, fervente catholique. « On déshonore mon mari » sanglotait l’épouse du président. Désapprouvant le fanatisme de son chef de gouvernement, Loubet se contenta de serrer les dents. Le président se devait de rester au-dessus des partis.

Les radicaux dominaient désormais le gouvernement. Nombre d’entre eux appartenaient aux loges. Farouchement hostiles à l’Église catholique, ils firent adopter la suppression des congrégations religieuses dans le but de faire disparaître l’enseignement « libre ». La rupture des relations diplomatiques avec le Vatican était entérinée.

Mais le zèle du Grand Orient provoqua la chute du cabinet Combes. Les francs-maçons avaient établi un système de fiches permettant de classer les officiers en fonction de leurs opinions politiques. Le général André, ministre de la Guerre, souhaitait ainsi « républicaniser » l’armée en favorisant l’avancement des officiers bien pensants. La révélation du scandale entraîna la démission du général puis celle du gouvernement.

 

La séparation de l’Église et de l’État

À Combes succédait l’inusable Rouvier en janvier 1905, quatrième et dernier président du Conseil d’un septennat d’une remarquable stabilité par la durée de ses gouvernements. La chute de Combes discrédita quelque peu l’anticléricalisme forcené. Bien qu’enragés bouffeurs de curés, les radicaux avaient souhaité conserver le contrôle étroit de l’État sur le clergé.

Au lieu de cela, la séparation de l’Église et de l’État devait être votée grâce à l’habileté d’un nouveau venu au Parlement, Aristide Briand. Ce socialiste d’une large ouverture d’esprit transforma ce qui aurait pu être un « pistolet pointé contre l’Église » en texte d’inspiration libérale. Même si l’intransigeance du pape Pie X devait amener bien des complications, la loi libérait enfin l’Église d’une tutelle étatique étouffante.

 

L’entrée dans le nouveau siècle

L’inauguration des chrysanthèmes étant désormais la principale fonction du président de la République, Émile Loubet ne devait pas chômer.

Il inaugura l’Exposition de Paris, le 14 avril 1900, la plus spectaculaire de toutes les expositions universelles, qui devait accueillir 48 millions de visiteurs. Il avait plu pendant la nuit et le président pataugea quelque peu dans la boue. Elle marquait néanmoins l’entrée dans le XXe siècle au même titre que l’inauguration de la première ligne de métro Porte-Maillot-Vincennes quelques mois plus tard. À l’Exposition, le trottoir roulant eut un gros succès tout comme le palais de la Fée électricité. Le Grand et le Petit palais tout comme le pont Alexandre III rappellent encore aujourd’hui ce que fut ce moment.

Pour Émile Loubet en tout cas :

« Malgré les rudes combats que se livrent les peuples sur le terrain industriel, commercial, économique, ils ne cessent de mettre au premier rang de leurs études les moyens de soulager les souffrances, d’organiser l’assistance, de répandre l’enseignement, de moraliser le travail, d’assurer des ressources à la vieillesse. »

À ses yeux, l’Exposition marquait la réconciliation des Français et la concorde des peuples.

Enfin, pour clôturer cette année exceptionnelle, il présida le banquet des maires de France dans le jardin des Tuileries le 22 septembre 1900. On eut rarement l’occasion de voir autant d’élus (21 000 !) se mettre à table. « Cet anniversaire est la fête du patriotisme autant que la fête de la liberté. »

La chose ayant plu, les maires revinrent en masse dans les jardins de l’Élysée l’année suivante.

 

Visites officielles et renforcement des alliances

La politique étrangère relevant du « domaine réservé » du chef de l’État qui représentait symboliquement la France vis-à-vis de l’étranger, Émile Loubet ne devait pas ménager sa peine là non plus. Il pouvait plus facilement agir par influence et persuasion ici que dans le cas de la politique intérieure. Son ministre des Affaires étrangères, l’habile Théophile Delcassé, visait à mettre en place une Triple Entente pour faire pièce à la Triple Alliance. Loubet devait imposer le maintien de son ami Delcassé lorsque Combes succéda à Waldeck-Rousseau.

Loubet accueillit le tsar Nicolas II en septembre 1901 avant de lui rendre la politesse en effectuant un voyage en Russie en mai 1902. L’alliance franco-russe s’approfondissait ainsi.

La mort de la reine Victoria avait permis l’accession au trône d’un monarque francophile. Édouard VII vint pour la première fois à titre officiel dans un pays qu’il fréquentait depuis longtemps. La même année 1903 voyait notre infatigable Loubet partir pour Londres. Le président et le roi se connaissaient de longue date et s’appréciaient mutuellement. L’Entente Cordiale, qui datait du règne de Louis-Philippe, mais avait connu de longues éclipses, était ainsi ranimée.

Émile Loubet n’avait-il pas déclaré avec bon sens :

« Peut-on imaginer une guerre économique ou militaire avec une nation qui est la plus libérale d’Europe et nous achète 1400 millions de produits chaque année ? »

 

Un prestige international retrouvé

Enfin, le système d’alliance bismarckien prenait l’eau chaque jour davantage avec le resserrement des liens entre la France et l’Italie. Le roi d’Italie était l’hôte de Loubet en octobre 1903.  Le président de la République visitait à son tour Rome en avril 1904.

Il devait également se rendre en Tunisie, en Espagne et au Portugal, dont les monarques devaient être reçus à Paris. Le carrosse utilisé lors de la visite portugaise est paraît-il conservé au musée de Belem. Parmi les hôtes de l’Élysée devaient également figurer des membres de la famille impériale japonaise, le roi de Grèce, le Shah de Perse, le roi des Belges. C’était autant de signes du prestige international retrouvé de la France.

Dans ce rôle de représentation, Émile Loubet n’était guère aidé par son épouse. Fille d’un riche quincaillier, elle ne brillait ni par son élégance ni par sa diplomatie. N’avait-elle pas demandé à Édouard VII à propos du prince de Galles : « Et ce grand garçon, qu’allez-vous en faire plus tard ? » À défaut d’esprit, elle avait pourtant bon cœur et devait s’impliquer dans des œuvres de charité. Mais Loubet lui-même n’était pas à l’abri d’une étourderie. N’avait-il pas refusé une tasse de thé proposée par l’impératrice douairière manquant de mettre en péril l’alliance franco-russe ?

Comme l’avait dit Clemenceau pour une fois aimable :

« Un républicain bonhomme, doublé d’un finaud du Midi. Il nous fera un président bourgeois, très simple, amène et bon enfant qui ne se croira pas obligé de faire sonner la trompette toutes les fois qu’il éternue. »

Bref le contraire de Félix Faure.

 

Au pays du nougat

S’il n’était pas le premier président à terminer un septennat1 Jules Grévy l’avait en effet réalisé avant lui, Émile Loubet était bien le premier à partir de son plein gré et sans regret.

Tout au long de son septennat il avait pu éprouver ce paradoxe constitutionnel qui faisait de sa fonction une superfluité indispensable. Dépourvu de pouvoir, le président devait incarner la continuité de la République. Sa signature et sa présence physique étaient indispensables à la bonne marche des institutions. « Si j’ai un panaris, aimait-il dire, toutes les affaires de l’État sont arrêtées. »

« Je ne serai ni sénateur, ni député, ni même conseiller municipal. Rien, rien, absolument rien. » Guetté par l’amertume, il aurait pu se consoler en mâchant le nougat de son pays natal dont il n’avait cessé de faire la promotion.

Il se retira, en tout cas, à La-Bégude-des-Mazenc, où il possédait un château. Cet homme simple, sans rancune, tolérant et bienveillant, ne regretta jamais sa retraite.

À la fin de sa longue existence, il était devenu à peu près aveugle. Il devait refuser des obsèques nationales et être inhumé simplement à Montélimar dans cette vallée du Rhône qu’il appréciait tant.

 

Sources :

  • Jean Jolly, notice dans le Dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 (consultable en ligne : http://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/8117)
  • Philippe Valode, Les vingt-deux présidents de la République française, l’Archipel 2001, p. 66-81
  • Jean-Denis Bredin, L’Affaire, Presse Pocket 1985, 763 p. (1ère éd. Julliard 1983)

La semaine prochaine : Armand Fallières

 

  1. Cette erreur est répétée un peu partout sur Internet, le copier-coller tenant lieu de réflexion à la plupart
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