Réduire l’impôt des PME : des effets pervers

Les PME et les TPE doivent-elles bénéficier d’un taux réduit d’IS par rapport aux plus grandes entreprises ? Rien n’est moins sûr. Explications.

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Réduire l’impôt des PME : des effets pervers

Publié le 23 janvier 2017
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Michel Albouy.

PME
Petite entreprise-Le boulanger de Monge by yisris(CC BY 2.0)

En ces temps de campagne électorale pour la présidentielle de 2017, les PME et les TPE sont l’objet de grandes attentions. Elles sont parées de toutes les vertus par les candidats de droite comme de gauche. Non seulement elles représenteraient le principal gisement d’emplois à venir, mais également elles seraient les plus vertueuses en matière de consentement à l’impôt en n’exploitant pas, à l’instar des grandes entreprises notamment celles du CAC 40, les arcanes de l’optimisation fiscale.

De plus, enracinées dans nos territoires, à l’inverse des multinationales, elles seraient l’expression du « made in France » et de la proximité chère à nos compatriotes. Citons à titre d’illustration de l’intérêt que nos responsables politiques vouent aux PME la déclaration d’Arnaud Montebourg lors du débat organisé par la CGPME (11 janvier 2017) entre les candidats à la primaire de la gauche :

« Les PME doivent être au cœur du dispositif de la politique de reconstruction économique. Ce sont les ressources de renaissance de notre pays ; elle sont des trésors vivants. »

Pour Manuel Valls :

« Ce pays ne s’en sortira pas sans le soutien irremplaçable des PME. »

Bref, la cause est entendue, les PME doivent être protégées et méritent au passage un traitement fiscal de faveur.

Un impôt sur les sociétés à 15% ?

Le 12 octobre 2016, un amendement déposé par deux députées socialistes – Valérie Rabault et Karine Berger – dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017 prévoyant de réduire à 15% l’impôt des sociétés (IS) pour toutes les PME qui font moins de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires a été adopté.

Avec une telle proposition, seules les PME seront favorisées puisque les entreprises qui font plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires seront privées d’un tel avantage. La mesure concernerait beaucoup d’entreprises. Selon le patron de la CGPME, 75% des entreprises seraient concernées et cela devrait « leur permettre d’innover et d’investir ».

Jusqu’au dépôt de l’amendement déposé par les deux députés socialistes, seules les PME faisant moins de 7,6 millions de chiffre d’affaires pouvaient bénéficier d’un taux d’IS réduit de 15% sur les premiers 38 120 euros de bénéfice. À noter cependant qu’il est prévu que d’ici à 2020 le taux nominal d’IS passe de 33,33% à 28% pour toutes les entreprises (hors PME-TPE).

Ce taux de 33,33% paraît aujourd’hui très élevé mais il était de 50% dans les années 1980. Mais concurrence fiscale oblige, les taux d’imposition des sociétés en Europe sont partout à la baisse et il faut bien suivre le mouvement. Au-delà de ce mouvement général de baisse des taux d’IS, la question est de savoir si les PME et les TPE doivent bénéficier d’un taux réduit d’IS par rapport aux plus grandes entreprises ?

La réflexion du Conseil des prélèvements obligatoires

C’est à cette question politiquement incorrecte que le Conseil des prélèvements obligatoires vient de répondre avec un rapport très sérieux déposé le 12 janvier 2017 et intitulé « Adapter l’impôt sur les sociétés à une économie ouverte ».

Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), institution qui est placée sous l’autorité de la Cour des comptes et de son premier président, Didier Migaud, bouscule pas mal d’idées reçues en matière de fiscalité des entreprises. À cet égard, il est fort instructif et nous ne pouvons qu’en recommander la lecture.

Parmi les idées généralement admises se trouve celle qui consiste à dire que les PME payent en moyenne un impôt supérieur à celui des grandes entreprises (GE). Le tableau 1 reproduit l’évolution des taux d’imposition implicites des entreprises. Il s’agit du ratio de l’impôt avant reports/résultat d’exploitation par catégorie de taille, sur le périmètre de toutes les entreprises qui paient un IS (résultat fiscal>0).

L’examen de ce tableau permet de nuancer fortement les idées reçues en matière de fiscalité comparée entre les grandes entreprises et les PME-TPE. Ainsi en 2014, sur le périmètre de toutes les entreprises qui paient un IS avec un résultat fiscal positif, le taux d’imposition implicite des PME et des grandes entreprises est le même (31%).

Certes, sur la période 2010-2013, les taux d’IS implicites sont supérieurs pour les PME que pour les grandes entreprises, mais l’écart reste relativement modéré. À noter la plus faible imposition des microentreprises. Le graphique 1 permet de visualiser l’évolution de ces taux implicites d’imposition.

Le CPO publie également le taux d’imposition implicite des entreprises dont le résultat d’exploitation est positif (méthode du Trésor de 2011). Les résultats (que nous ne reprenons pas ici) sont légèrement différents. Ainsi en 2014, le taux d’imposition implicite avec cette méthode ressort à 27,4% pour les PME (contre 30,7% en 2010) et à 24,3% pour les grandes entreprises (contre 18,6% en 2010). Même avec cette méthode l’écart a tendance à diminuer. Il était de 12,1% en 2010 contre 3,1% en 2014.

Une très grande disparité de cas

Mais ces chiffres ne sont que des moyennes et il semble qu’il y ait une très grande disparité entre les entreprises relevant du même groupe. Par ailleurs et par construction, la mesure des taux d’imposition implicites ne concerne que les entreprises qui sont bénéficiaires. Or, toutes les entreprises, notamment les PME-TPE, sont loin d’afficher des résultats positifs.

À cet égard, le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires relève

« qu’en 2013, près de la moitié (46%) des entreprises au sens économique affichent un résultat fiscal déficitaire. Cette moyenne est fortement influencée par le fait qu’une microentreprise sur deux est déficitaire, et elles représentent 88% des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés.

La proportion d’entreprises déficitaires diminue avec la taille des entreprises. Elle est de 29% parmi les PME, 10% parmi les entreprises de taille intermédiaire et 4% parmi les grandes entreprises. »

Ainsi, même si les PME ont en moyenne des taux d’imposition implicites inférieurs aux grandes entreprises, il est difficile d’en conclure qu’elles sont plus imposées car de fait elles déclarent moins de bénéfices imposables.

PME vs grands groupes : mythes et réalités

Certes, les PME n’ont pas recours aux montages sophistiqués d’optimisation fiscale utilisés par les grands groupes internationalisés, mais il serait naïf de croire qu’elles ne cherchent pas également à échapper à l’impôt. Dire cela n’est pas les offenser, mais constater un certain nombre de pratiques. Le moyen le plus souvent utilisé est de réduire au maximum l’assiette imposable en passant en charges déductibles des dépenses qui de fait bénéficient directement ou indirectement au dirigeant et sa famille. Ce faisant, le bénéfice imposable est réduit au maximum et l’impôt également.

La PME, comme la TPE, n’a pas de comptes à rendre à des actionnaires extérieurs au groupe familial et le bénéfice ne joue pas le même rôle informatif que dans les grandes entreprises. Pour une grande entreprise cotée, la problématique est différente. Afin de gagner la confiance de ses actionnaires il est indispensable qu’elle affiche des résultats positifs lui permettant de verser des dividendes. Cette obligation de résultats se traduit in fine par un plus faible nombre de grandes entreprises déficitaires comme le note le CPO.

Par ailleurs, le rapport du CPO pointe que le dispositif de taux réduit de 15 % pour les PME faisant moins de 7,6 millions de chiffre d’affaires

« apparaît être le principal contributeur à la baisse du taux d’imposition brute avant reports par rapport au taux normal de 33,1/3%. Il contribue à une baisse de l’ordre de 10 points d’excédent net d’exploitation ».

Le rapport relève également plusieurs conséquences du taux réduit d’IS pour les PME et juge que

« la pertinence d’une différence d’imposition fondée sur la taille des entreprises est discutable ».

Imaginé au départ comme un moyen de soutenir le financement des investissements des PME, l’avantage fiscal ne se justifierait plus.

Des effets pervers notables

Mais il y a plus grave : des taux réduits d’IS pour les PME ne favoriseraient pas leur croissance. En effet, pour bénéficier de cet avantage fiscal, les dirigeants seraient amenés à mettre en place des stratégies d’évitement de l’impôt, soit en limitant leur activité, soit en créant des entités de petite taille au sein d’une structure de groupe. Ce sont les effets bien connus des seuils.

À l’heure où la France cherche désespérément à augmenter la taille de ses PME pour augmenter le nombre d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), à l’instar de l’Allemagne, cette remarque est vraiment à prendre en considération. Non seulement la justification économique du taux réduit est loin d’être évidente comme le note le Conseil des prélèvements obligatoires mais cette mesure aurait de notables effets pervers.

Cette conclusion amène le CPO à la nécessité de supprimer cette bonification dans le cadre d’une réforme d’ensemble visant à diminuer le taux d’IS pour l’ensemble des entreprises quel que soit leur taille. Le Conseil préconise même d’aller jusqu’à 25%, un taux légèrement inférieur à celui qui a été retenu par la loi de finance à l’horizon de 2020, soit 28%.

Pour notre part, nous ne pouvons que souscrire à ces recommandations fiscales qui nous semblent aller dans le bon sens pour muscler nos entreprises et favoriser leur développement.

Sur le webArticle publié sous licence Creative Commons (CC BY-ND 4.0).

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  • Moins que le taux réduit, c’est le plafond du montant qui est essentiel pour les PME/ETI.
    Les grandes entreprises ont de nombreux moyens de circonvenir certains dispositifs, ne seraient-ce qu’humains. C’est d’ailleurs propre à leur taille: elles gèrent plus que ne le peuvent des entreprises de petite taille dont le but essentiel est de produire et se développer.
    En gros, si l’ensemble des taches administratives étaient proportionnelles à la taille, les entrepreneurs individuels et les PME auraient plus de temps à consacrer à leur optimisation fiscale.
    Et chaque fois qu’un effort est fait dans le sens de redonner des marges de manoeuvre aux PMEs, en parallèle de nouvelles mesures viennent annuler (voir amplifier) ces distorsions. C’est le cas aujourd’hui avec les modifications du droit social (accords de branche etc.) et fiscal (prélèvement à la source de l’IR).
    On compare donc encore et toujours des choses qui n’ont aucun rapport entre elles. Mais seuls les concernés le savent. On est dans l’effet d’annonce opportuniste, rien de plus.

  • Il y a des trucs pour moi incompréhensibles:le bénéfice d’une entreprise !
    Ça sert a quoi une fois payé les charges ,les salaires et les investissements ?

    • Ça sert à rémunérer le chef d’entreprise, qui en est souvent le fondateur.
      Par ailleurs exemple, dans une petite sarl, le fondateur est souvent gérant. Comme il a en principe la majorité des parts de son entreprise il n’a pas le droit d’être salarié.
      En tant que gérant majoritaire il est d’office affilié au RSI.
      Sa rémunération sera donc constituée du versement des dividendes si l’entreprise est bénéficiaire. Revenus qu’il percevra environ 6 mois après la fin de son année comptable et fiscale.
      Je connais bien, j’ai été confronté concerné presque 20 ans.
      Du coup, si la petite entreprise ne fait pas de bénéfices, le chef d’entreprise mange à la soupe populaire, puis vend sa maison pour payer ses charges (car oui, URSSAF et autres caisses obligatoires réclament les sous par avance, sans se soucier de la trésorerie)…

  • Voilà bien un article de prof, qui n’a jamais connu la réalité de la TPE ni des services fiscaux de la multinationale. Déjà pour calmer cet agent caché du CPO qui prend (volontairement) les chiffres au 1er degré, un petit article qui explique qu’il ne faut pas confondre taux nominal et taux réel: http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/sept-choses-a-savoir-sur-l-impot-des-societes-du-cac-40_1699252.html . On trouve très facilement tout un tas d’articles sur le net qui expliqueront la même chose à M. Albouy.

    Si ce monsieur bien diplômé avait, ne serait-ce qu’en stage, côtoyé les services d’optimisation fiscale des grands groupes, il aurait vite compris que ceux-ci sont obligés d’optimiser fiscalement leurs résultats. Il existe de multiples manières de faire: royalties versées aux holdings situées dans les états qu’il faut (par exemple le bien connu Delaware aux USA, mais il y a quelques années les Pays-Bas, demain la Grande-Bretagne, allons voir du côté du Portugal etc), investissements divers (oeuvres d’art, immobilier…), facturation délocalisée – ou charges d’ailleurs -, et j’en passe. Ces multinationales sont obligées de faire ainsi pour rester compétitives par rapport aux multinationales d’autres pays qui viendront demain empiéter sur leur marché, même si aujourd’hui elles ne sont pas concurrentes.

    On ne discutera même pas sur l’effet de seuil existant déjà pour les entreprises de moins de 7,6 M d’euros (taux réduit d’IS comme expliqué dans l’article), qui ne semble pas générer des comportements pervers notables. Car le chef d’entreprise de TPE/PME peine souvent à scinder ses activités en vue d’optimiser fiscalement, n’a pas les services compétents pour s’occuper de l’optimisation, laquelle n’est d’ailleurs possible qu’à partir d’un certain CA (coût minimum élevé d’une holding, de fiscalistes à 500-700 euros HT / heure etc). De plus, le patron de TPE/PME, souvent plus préoccupé de l’avenir ou du développement de sa société que d’optimisation fiscale, investit rarement ou peu son temps dans ce domaine, si tant est qu’il ait déjà eu une formation lui permettant d’en appréhender le fonctionnement global et les mécanismes relativement subtils pour un néophyte: en clair, optimiser fiscalement nécessite d’avoir non seulement l’envie d’y investir du temps (au détriment du développement de l’entreprise, du point de vue du dirigeant) mais aussi la capacité à comprendre ce que vous explique votre avocat fiscaliste (ce n’est souvent pas facile…).

    Donc lorsque les prof connaîtront la réalité de l’entreprise, ils pourront analyser les chiffres transmis par les pouvoirs publics, en déjouer les pièges, et servir des raisonnement utiles non seulement à la société en général, mais à leurs élèves en particulier.

    nb: monsieur le prof d’université, peut être le taux d’IS avoisinait-il les 50% dans les années 80, mais rappelez-nous quel était le taux d’imposition global de l’entreprise à l’époque: charges sociales, taxes diverses et variées qui n’ont eu de cesse d’augmenter depuis 30 ans, et exonérations supprimées ou rabotées (TVTS etc), pourriez-vous nous le dire pour écrire un article objectif et non une propagande simpliste?

    • Entièrement d’accord avec vous .
      Ce monsieur n’a même pas l’air de savoir que depuis une loi , sous Sarkozy , outre les 33% d’IS , quand on prend les dividendes , comme gérant majoritaire ou à 50% de SARL , elles sont assujettis aux charges sociales , charges sociales ( y a bon pour le RSI )qui sont rajoutées quand on sort ces dividendes des comptes de l’entreprise , donc on arrive TCC à 54 % , étrange , cela correspond exactement à ce que prend le RSI quand vous prenez de la rémunération , le hasard est bien fait non ? !!!

      Mais bon , on dirait , Monsieur le prof ne voit les patrons que comme des gens s’en mettant plein les poches en exploitant , de manières honteuses , les masses populaires , comme disait un certain Georges ! 🙂

      Travailler plus pour gagner plus qu’il disait , le nain , j’en rigole encore …….. jaune .

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