Pourquoi le vote catholique n’existe pas

Les récupérations politiques en direction « des catholiques » sont un jeu de haute voltige qui a toutes les chances de n’aboutir à rien.

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L'enseignement de la morale laïque doit "arracher l'élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel" a précisé Vincent Peillon.

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Pourquoi le vote catholique n’existe pas

Publié le 17 janvier 2017
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Par Nathalie MP.

Pourquoi le vote catholique n'existe pas
L’enseignement de la morale laïque doit « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel » a précisé Vincent Peillon.

Jeudi 12 janvier dernier, jour du premier débat de la primaire de gauche, le journal La Croix livrait les résultats d’une grande enquête sur « le vrai visage des catholiques » en France et concluait, à l’inverse des idées généralement admises, à la profonde diversité de cette population, tant sur le plan liturgique que dans les domaines de la morale ou des choix socio-politiques.

Il est d’autant plus intéressant d’en prendre connaissance aujourd’hui que la campagne électorale pour la présidentielle, notamment à gauche mais pas seulement, s’est trouvée un formidable repoussoir en la personne de François Fillon dont le programme, une fois passé à la puissante moulinette intellectuelle de notre ex-Premier ministre et candidat de gauche en difficulté Manuel Valls, est devenu :

« Un projet dur, thatchérien, une véritable purge pour notre pays. En outre, pour la première fois, un homme politique définit son projet comme catholique. » (Entretien dans Le Parisien, 9 janvier 2017)

Depuis la désignation de François Fillon comme candidat de la droite fin novembre 2016, on savait que cet homme était la « brutalité thatchérienne » incarnée. Tous les politiciens issus des autres sensibilités politiques, de Mélenchon au FN en passant par le PS, Bayrou et Macron, ne se sont pas faits prier pour nous enfoncer dans le crâne cette impression qu’ils aimeraient bien faire passer sans discussion pour une évidence.

Le projet catholique de François Fillon

Mais voilà que le tableau est encore pire que tout ce qu’ils osaient imaginer. Contre toutes les valeurs de la République et de la laïcité, contre deux siècles d’histoire, contre la tradition de neutralité religieuse qui s’est imposée même à la droite, voilà qu’un candidat ose « qualifier son projet de catholique ». Et le risque qu’il fait ainsi courir au pays est immense, estime Manuel Valls :

« C’est le contraire de ce que nous sommes. Et c’est faire monter les communautarismes. Le programme de François Fillon peut accentuer le vote en faveur de l’extrême droite. »

Manuel Valls est arrivé au pouvoir avec l’idée d’éradiquer tout ce qui met en péril notre glorieux « vivrensemble ». Il n’a pas ménagé sa peine pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme toujours et partout. Il a affirmé haut et fort qu’il ne laisserait « plus jamais, plus rien passer des mots qui divisent les Français » au mépris de toute liberté d’expression. La semaine où Bruxelles subissait à son tour un attentat islamiste meurtrier (mars 2016), il lançait sa campagne « Tous unis contre la haine » dans laquelle les victimes étaient des noirs, des arabes, des musulmans ou des juifs tandis que les racistes étaient systématiquement des blancs.

Peillon le fou de laïcité 

Quand on parvient à ce point de cécité, ou de mauvaise foi manipulatrice, pas étonnant de voir contre toute logique un puissant ferment pour le vote FN dans le simple prononcé du mot « catholique ».

Quant à Vincent Peillon, autre candidat à la primaire de gauche encore plus en difficulté que M. Valls, il se décrit comme « fou de laïcité » ! Inutile de dire que les déclarations de François Fillon l’ont indigné au plus haut point. On connait du reste depuis longtemps ses idées tolérantes à l’égard du catholicisme. Pour lui, « on ne pourra jamais construire un pays de liberté avec la religion catholique »  (vidéo, 32″) :

Ajoutez à tout cela que François Fillon s’est déclaré hostile à l’avortement à titre personnel tout en assurant qu’il n’a pas la moindre intention de remettre en cause la loi Veil. Remarquez en outre que le mouvement Sens Commun, qui a pour objectif de faire vivre les revendications de la Manif pour Tous au sein des Républicains (LR), s’est rallié à sa candidature.

Et vous obtenez une image des catholiques bien disgracieuse, bien compacte et bien pratique pour toutes les opérations de dénigrement : socialement, ils sont brutaux ; sociétalement, ils sont réactionnaires ; politiquement, ils sont de la droite dure, voire frontistes ; l’horreur absolue !

Le passage de la brutalité au catholicisme du programme de Fillon n’était pas forcément très évident, si ce n’est que les épisodes avortement et Manif pour Tous avaient déjà décidé nos médias à caricaturer l’électorat filloniste en Versaillais catholique âgé friqué. Mais c’est pour ainsi dire François Fillon lui-même qui a mis le feu aux poudres en voulant répondre aux accusations de brutalité de son programme concernant les réformes de la sécurité sociale (vidéo, 02′ 33″) :

« Je suis gaulliste et du surcroît je suis chrétien. Cela veut dire que je ne prendrai jamais une décision qui sera contraire au respect de la dignité humaine, au respect de la personne humaine, au respect de la solidarité. »

Dans cette déclaration, le terme « gaulliste » a été peu commenté. Il y aurait pourtant beaucoup à dire, mais c’est un autre sujet. Laissons-le de côté pour cette fois. Et remarquons que François Fillon ne dit pas « mon projet est catholique », comme le prétendent Valls et Peillon, comme si dorénavant il comptait imposer le catholicisme politiquement en France.

Le « chrétien » François Fillon

Il dit très précisément « je suis chrétien ». Voici comment je comprends cette phrase : « On m’accuse de brutalité dans mon projet politique pour les Français, mais comment pourrais-je être brutal alors que tout ce que je crois au plus profond de moi-même, tout ce vers quoi ma foi chrétienne m’oriente, constituent au contraire une invitation pressante et permanente à mettre mes pas dans ceux du Christ et à faire preuve d’une totale bienveillance à l’égard de mon prochain quel qu’il soit ? »

Je ne suis pas naïve au point de ne pas voir combien François Fillon a pu se dire dans le même temps que cette défense, très certainement authentique sur le fond, pouvait le servir utilement auprès « des catholiques ». À sa place, je me serais sans doute exprimée différemment. Mais c’est un opportunisme politique qui me semble bénin par rapport au scandale que Valls et Peillon tentent d’allumer au prix de quelques entorses sur les propos exacts tenus par le candidat de droite. Et rappelons-nous qu’en leur temps, ni Maurice Thorez (1936) ni Georges Marchais (1976) n’ont hésité à « tendre la main aux chrétiens » si ça pouvait les servir.

L’enquête publiée par La Croix et Pèlerin tombe ainsi à point nommé, car elle démonte largement l’idée d’un groupe catholique homogène sur le plan de la pratique religieuse comme sur celui des comportement sociaux et politiques de ses membres.

Qui sont les cathos aujourd’hui ?

Conduite par l’institut IPSOS en juin 2016 à la demande du groupe de presse Bayard, elle s’est intéressée aux catholiques non plus seulement du point de vue des pratiquants, c’est-à-dire ceux qui disent aller à la messe régulièrement (et qui sont de l’ordre de 5% de la population, dont 1,8% tous les dimanches), ni plus largement du point de vue de ceux qui se déclarent catholiques, pratiquants ou non (53,8%).

Elle concentre son attention sur un groupe intermédiaire qualifié de « catholiques engagés » qui correspond à tous ceux qui, parmi les 53,8% de catholiques, tout en n’étant pas forcément pratiquants « se considèrent quand même comme catholiques parce qu’ils vivent leur foi autrement », par exemple parce que leurs enfants sont inscrits au catéchisme ou parce qu’ils participent à des actions bénévoles dans des associations catholiques. Voir le descriptif de ce groupe dans le graphique ci-dessous extrait de l’hebdomadaire Pèlerin.

À partir d’un échantillon représentatif de la population française métropolitaine âgée de 18 ans et plus de 28 204 personnes, l’IPSOS a extrait un premier groupe de 15 174 individus qui se déclarent catholiques et qui représentent donc 53,8% de la population. Parmi eux, certains sont « catholiques engagés » au sens défini ci-dessus. Ils représentent 23,5% de la population. Dans l’échantillon, cela correspond à 6 620 personnes environ. Parmi elles, l’IPSOS a constitué un nouvel échantillon de 1 007 personnes représentatives des « catholiques engagés » et les a interrogées.

C’est à partir des réponses de ces 1 007 personnes que l’institut de sondages et les deux sociologues qui ont piloté l’étude ont pu mettre au jour 6 familles de catholiques en remarquant que les clivages s’organisaient en fonction de la pratique religieuse, mais aussi par rapport à la question de l’accueil des migrants ou de l’attitude à l’égard du Front national. 

Par ordre décroissant d’importance numérique, ces familles se déclinent en :

– Festifs culturels (45%) : pratiquants lors des fêtes et événements familiaux, hostiles aux migrants, méfiants envers le pape François, ont peu participé à la Manif pour Tous, votent plutôt à droite, groupe ayant la plus forte proportion de vote FN (mais pas plus de 22%, comme la France entière).

– Saisonniers fraternels (26%) : pratiquants lors des fêtes et événements familiaux, favorables aux migrants, apprécient le pape François, groupe ayant le moins participé à la Manif pour Tous et le plus hostile au FN, votent plutôt à gauche ou au centre,.

Conciliaires (14%) : pratique importante, favorables aux migrants, ont beaucoup participé à la Manif pour Tous, votent plutôt à gauche ou au centre, hostiles au FN.

– Observants (7%) : très forte pratique, messe en latin appréciée, Manif pour Tous très suivie, majoritairement pro-life, méfiant envers le pape François, hostiles aux migrants, votent majoritairement à droite ou à l’extrême-droite.

– Inspirés (4%) : plus attirés par les communautés charismatiques que par leur paroisse, hostiles aux migrants mais favorables au pape François, proches de la Manif pour Tous, votent majoritairement à droite ou au FN.

– Émancipés (4%) : pratiquants lors des fêtes et événements familiaux, hostiles aux migrants, votent plutôt à gauche ou au centre, hostiles à la Manif pour Tous, méfiants à l’égard du pape François.

Drôle de méli-mélo, dans lequel on se retrouve difficilement. Mais qui fait complètement voler en éclats certaines idées reçues sur l’adéquation parfaite entre « gauche, Mariage pour Tous et accueil des migrants » d’une part, et « droite, Manif pour Tous et rejet des migrants d’autre part ». Si une famille correspond peu ou prou à l’image des catholiques véhiculée par Peillon et Valls, ce serait éventuellement celle des observants qui ne représentent que 7% des « catholiques engagés », et encore, en tirant bien sur la ficelle.

Si l’on s’en tient aux caractéristiques globales, sans entrer dans le détail des 6 familles, les « catholiques engagés » sont 47% à être d’accord avec le pape François, 73% à déclarer n’avoir pas voulu participer à la Manif pour Tous, et 49% à penser qu’il faut accueillir les migrants sans distinction de religion. On est donc très loin d’une population catholique homogène sur tous les grands thèmes politiques et sociaux de notre temps. Seul le désir de suivre le Christ est commun à tous. Les façons de le faire sont à l’inverse très diversifiées.

Cette grande variété de comportements et de points de vue au sein des catholiques est une preuve supplémentaire de la liberté politique et sociale dans laquelle ils vivent leur foi. Contrairement à l’Islam qui norme tout, jusqu’aux moindres rapports sociaux, le catholicisme apparaît comme très libéral par rapport à ses ouailles. Ce ne fut certes pas toujours le cas, mais c’est le cas aujourd’hui.

Jésus lui-même disait à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » Il fut souvent mal compris, par les Zélotes qui pensaient qu’il allait les aider à se débarrasser des Romains, par Hérode Père et Fils qui s’imaginaient qu’il venait prendre leur couronne, ou par les Grands Prêtres qui craignaient qu’il ne remît en cause leur autorité religieuse.

Le catholicisme bien compris n’a pas de projet politique. Il nous invite à changer nos cœurs de pierre en cœur de chair, mais nous sommes libres d’apprécier où cela nous conduit à l’aide de nos connaissances, notre expérience et notre sensibilité.

Il en résulte que les récupérations politiques en direction « des catholiques » sont un jeu de haute voltige qui a toutes les chances de n’aboutir à rien. Et il en résulte surtout que les craintes sur-jouées de MM. Valls et Peillon quant au péril catholique qui menace notre République laïque et son sacro-saint « vivrensemble » sont nulles et non avenues, si ce n’est pour créer une diversion politicienne trouble à l’égard du bilan calamiteux de la gauche depuis cinq ans.

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  • Analyse intéressante. Qui montre aussi que ce n’est pas un « projet catholique » que propose Fillon. Chacun de nous est inspiré par ses convictions profondes et certains peuvent être rassurés par les convictions de Fillon. En tout cas, après des décennies de nihilisme, beaucoup de nos concitoyens cherchent autre chose, sans pour autant afficher de fortes convictions religieuses.

  • Au contraire, il me semble que seule l’Eglise a le pouvoir de limiter l’expansion totalitaire du pouvoir de l’Etat. Que la République s’est bâtie sur le vol, avec violence, de toutes les missions sociales de l’Eglise (scolarité, charité, hospitalité), et que la République craint maintenant la vengeance de sa victime.

  • Mouais, un sondage aussi précis avec seulement 1 007 personnes n’a rien de très valable àmha. Faudrait faire les calculs en supposant que l’échantillon est représentatif…

  • Je me méfie de voir des politiques en France prendre ce genre de posture pour flatter un électorat. Ça veut dire quoi de dire  » je suis catholique, contre l’avortement mais je ne changerai pas la loi » – ou la Marion maréchal qui clame son catholicisme à tout va mais qui laisserait crever un immigré devant sa porte : si il change pas la loi et que ça reste dans sa vie privé alors on s’en fout, pas besoin de l’étaler.
    Jusque là, à défaut d’être honnête, au moins on avait pas ces mises en scènes pathétiques des politiques aux États Unis sur le sujet, et c’était tant mieux. Ça y est c’est parti chez nous.

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