La démocratie progresse, mais en Asie

C’est vers la Corée du Sud qu’il convient de regarder. Le peuple proteste pour sauvegarder et améliorer une démocratie encore jeune.

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La démocratie progresse, mais en Asie

Publié le 14 janvier 2017
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Par Guy Sorman.

La démocratie progresse, mais en Asie
By: Foreign and Commonwealth OfficeCC BY 2.0

En Europe et aux États-Unis, peut-être parce qu’elle est ancienne, la démocratie paraît acquise, voire usée. Les peuples participent peu en dehors des élections, ils s’en remettent aux professionnels de la politique, nous acceptons les manœuvres et les résultats quels qu’ils soient, et quelque peu désabusés. En Asie, c’est différent : la libre expression, la transparence en politique, le droit à la dissidence, la protection des minorités, l’alternance au pouvoir, tout cela est imparfait ou reste à acquérir.

Les Chinois de Hong Kong et Taïwan en témoignent qui, d’année en année, résistent aux tentatives de domination de la Chine communiste avec l’arme ultime dont ils disposent : les manifestations de masse. Nous ne sommes plus en 1989 quand, sur l’ordre de Deng Xiaoping à Pékin, l’armée chinoise écrasa dans le sang la revendication des étudiants, Place Tian Anmen : la moindre brutalité est aujourd’hui filmée, instantanément fait le tour du monde. Et contrairement au régime syrien par exemple, les dirigeants chinois ne souhaitent pas apparaître comme violents, car ils sont en quête de légitimité et de reconnaissance nationale et internationale.

La jeune démocratie coréenne

Mais, en ce moment, c’est vers la Corée du Sud qu’il convient de regarder. Le peuple proteste pour sauvegarder et améliorer une démocratie jeune encore ; elle n’a pas trente ans. Au début des années 1980, il m’avait été donné d’assister aux affrontements de rue, brutaux, entre étudiants et syndicalistes d’un côté, troupes de la dictature militaire de l’autre.

À cette époque, les rues de Séoul empestaient, en permanence, l’odeur des gaz lacrymogènes. Les manifestants l’emportèrent, avec le soutien discret du gouvernement américain qui voulait une Corée du Sud démocratique pour forcer le contraste avec la Corée du Nord. Il en alla de même à Taïwan, une Chine libre, face à l’autre qui ne l’est toujours pas.

Trente ans plus tard, j’assiste à d’autres manifestations de masse à Séoul et à Pusan. Étudiants et syndicalistes ne constituent plus qu’un groupe parmi d’autres dans la foule d’environ un million de personnes qui, chaque samedi, défile à Séoul devant le palais présidentiel : tout le peuple est présent, y compris des mères de famille poussant des landaus. La police est discrète.

Contre la corruption

Ce que les Séoulites réclament ? La démission de la Présidente de la République, Park Geun-hye, soupçonnée d’abus de pouvoir, de corruption et, plus généralement, d’être incapable d’exercer la fonction à laquelle elle fut élue il y a quatre ans. Par-delà le départ de la Présidente, barricadée dans son palais, les Coréens souhaitent une Constitution révisée qui limiterait les pouvoirs de l’État, renforcerait la société civile, reconnaîtrait le rôle des organisations non gouvernementales, les ONG, nombreuses en Corée. Les événements qui ont déclenché la rébellion paraîtront anecdotiques, mais ils sont révélateurs de l’originalité de la civilisation coréenne ; par-delà cette singularité, rappelons qu’en politique, le changement survient souvent par les voies les plus inattendues.

Les malheurs de la Présidente ont commencé il y a trois ans, alors qu’un bateau transportant des écoliers en vacances a coulé, entraînant la mort de trois cents d’entre eux. Où était la Présidente ? Introuvable. On soupçonne qu’en cette journée fatale, un chirurgien esthétique opérait sur son visage, une passion commune chez les Coréennes. Puis l’on découvrit que la Présidente n’agissait jamais sans consulter une Chamane, pratique courante en Corée. Mais la Chamane percevait des millions de la part de Samsung, Hyundai et LG, sur la suggestion de la Présidente.

Méritocratique Corée

Enfin, la fille de la Chamane fut admise dans une université prestigieuse sans réussir l’examen d’entrée. Cela déclencha les hostilités : la chirurgie esthétique, la Chamane, la corruption, passe encore – ce sont des traditions – mais tricher aux examens dans ce pays confucianiste où l’éducation est la valeur suprême, c’était intolérable. De quoi descendre dans la rue : la méritocratie et la démocratie sont les deux piliers de la Corée moderne.

On notera, c’est important, que le Christianisme joue un rôle significatif dans cette quête asiatique de la démocratie. Ce fut déjà le cas au Japon, au début du XXe siècle. L’Église catholique coréenne, plutôt à gauche, fut en pointe contre la dictature militaire et le reste contre la Présidente Park ; les protestants sont plutôt conservateurs, à l’image des Églises évangéliques américaines qui les inspirent.

À Taïwan, en revanche, les catholiques sont peu nombreux et les protestants les démocrates les plus actifs. Cette lecture religieuse des mouvements démocratiques en Asie, les communistes chinois y sont attentifs : en Chine continentale, les catholiques, cent millions de fidèles probablement, sont étroitement surveillés, et les relations avec le Vatican, très sensibles.

Pardon d’être entré dans les détours complexes de ces civilisations peu connues en Occident. Mais pour comprendre la modernisation économique et politique de l’Extrême-Orient, on ne peut se contenter de plaquer sur ces nations nos grilles de lecture simplifiées, taux de croissance et élections. Les détails comptent plus que les généralités, ils expliquent la vitalité là-bas et une certaine lassitude ici.

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