Le conservatisme libéral qui vient

Faut-il se réjouir de la naissance du conservatisme libéral incarné par François Fillon ? Prendra-t-il place durable dans le paysage politique et idéologique français ?

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Le conservatisme libéral qui vient

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 26 novembre 2016
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Par Frédéric Mas.

Le conservatisme libéral qui vient
By: European People’s PartyCC BY 2.0

Sommes-nous en train d’assister à la naissance d’un conservatisme libéral français ? Certains commentateurs le laissent entendre, que ce soit pour s’en réjouir ou le déplorer. La plupart des candidats à la primaire ont joué à la fois sur le tableau du réformisme économique et du conservatisme en matière sociétale. Aujourd’hui, François Fillon semble incarner à merveille cette synthèse face à Alain Juppé.

Entendons-nous bien : parler de conservatisme libéral, ce n’est pas parler de libéral conservatisme ; le premier est partie intégrante de l’histoire et de l’idéologie des droites françaises, même si la recomposition interne qu’il propose aujourd’hui est relativement neuve, le second est une variante de la philosophie politique libérale, qui donne aux communautés, à la subsidiarité et aux corps intermédiaires le rôle de protéger les libertés individuelles1.

Le premier n’a pas de doctrine en propre, et procède essentiellement de la pratique politique elle-même, avec ses imperfections et ses ambiguïtés ; le second est une politique qui, pour paraphraser James Buchanan, s’appuie sur des principes et non des intérêts. Le premier pense le libéralisme comme un instrument d’assainissement des comptes publics, le second comme un projet de société à part entière.

Historiquement, le conservatisme dans le débat d’idées n’a jamais pris2 : coincé entre la Réaction et le Progressisme, l’un regrettant le temps béni de l’Ancien régime, l’autre souhaitant généraliser la révolution à tout le corps social, c’est dans le domaine de la pratique politique qu’il prospère, constamment, quand la démocratie parlementaire s’installe, mais sans bruit.

En effet, si les salons de la république se font l’écho des thèses les plus radicales et les plus révolutionnaires des théoriciens et des philosophes, la France des assemblées se gouverne au centre, entre opportunisme politique de centre gauche et orléanisme libéral de centre droit pour citer Marc Crapez au sujet de la IIIe république.

La base sociale conservatrice

Il faut donc se tourner vers l’histoire récente pour comprendre les ressorts de ce conservatisme libéral. S’inscrirait-il dans le sillage de la Manif pour tous, ce mouvement issu de la société civile, né de l’opposition au mariage homosexuel et reprenant dans les grandes lignes les enseignements de l’Église catholique en matière de mœurs pour s’y opposer ?

La forte mobilisation de la droite catholique n’a pas trouvé de traduction politique immédiate au sein des partis et de ses leaders : ses penseurs comme ses sympathisants se sont dispersés entre droite et extrême-droite en fonction de leurs priorités politiques respectives3. Certains de ses intellectuels, plutôt que de tenter la synthèse entre conservatisme et libéralisme, ont au contraire fait le choix d’opposer les deux, jusqu’à emprunter au registre ordinaire de l’extrême gauche décroissantiste et écologiste.

En cela, la candidature aux primaires de la droite et du centre de Jean-Frédéric Poisson était emblématique, et son score (1.5%) parle pour la représentativité de cet illibéralisme catholique au sein de la formation de la droite et du centre. Chez LR, le groupe Sens commun a certes trouvé sa place, mais reste marginal, et cela indépendamment de l’immense publicité que les médias de gauche lui ont fait ces dernières semaines.

Cela renvoie aussi à la sociologie du monde catholique français, dont l’unité fantomatique est sans doute un bon sujet éditorial pour la gauche anticléricale, mais qui est sans fondement avéré4, et donc sans grand intérêt électoral.

Sociologiquement, ce n’est donc pas uniquement de ce côté qu’il faut chercher pour comprendre la possible émergence d’un conservatisme libéral qui dépasse très largement le cercle étroit du Grand Ouest catholique, de son catholicisme culturel zombifié (ou pas). Car en effet, avant même d’être verbalisé, théorisé et décliné en doctrine politique, le conservatisme libéral, comme toute idéologie politique, doit prendre appui sur une base sociale, comme le rappelle avec esprit Éric Verhaeghe.

Celui-ci ajoute que la prise de conscience de cette nouvelle droite doit beaucoup à la gauche de gouvernement :

« Cette classe sociale se reconnaît au matraquage fiscal dont elle a fait l’objet au nom du « redressement dans la justice » cher à Ayrault. Elle se reconnaît aussi aux mesures « anti-familles » qui ont été prises durant le quinquennat, et qui excèdent largement la question fiscale et le mariage gay. Elle est catastrophée par l’école publique et son implosion, et par la bienveillance vis-à-vis de l’Islam dont témoigne une grande partie de la gauche. »

En ce sens, le nouveau conservatisme libéral est à la fois un produit de la dégénérescence du modèle social français, qui doit étendre son empire fiscal pour survivre, et de la polarisation identitaire qui continue de contaminer le débat public français.

Entre libéraux, populistes et réactionnaires

Faut-il se réjouir de la naissance d’un tel mouvement social et politique ? Prendra-t-il une place durable dans le paysage politique et idéologique français ? Plusieurs éléments doivent être pris en compte.

Premièrement, le conservatisme libéral est en rupture avec le discours néo-réactionnaire porté par certains intellectuels médiatiques, qui associe critique culturelle jacobine, nostalgie pour le gaullisme social et antilibéralisme radical. Bien entendu, il n’est pas révolutionnaire, mais il fait l’économie des attaques inutiles et dérisoires contre la recherche de prospérité économique dans un pays miné par le chômage et la peur du déclassement. De plus, il rend en partie le discours du libéralisme politique de nouveau audible pour une population qui n’en connaît que des caricatures.

Ensuite, il séduit par son caractère anti-populiste et respectueux des formes du pouvoir. Sarkozy et Hollande avaient abaissé la fonction présidentielle, et donc les institutions de l’État de droit, par leur trivialité et leur désinvolture. La popularité des Fillon ou Juppé tient aussi par leur capacité à incarner le rôle d’arbitrage demandé par la Ve république.

En ce sens, le conservatisme libéral rejoint — toute proportion gardée — celui défendu par M. Oakeshott et Tocqueville : il est une manière d’agir (prudente) avant d’être une suite de propositions substantielles ou de réformes à engager, et s’apparente aux mécanismes prudentiels protecteurs des institutions.

Enfin, il pourrait très rapidement décevoir : l’état de décrépitude du modèle social français, cette machine à produire du chômage et de la dette, ne demande pas de correction à la marge, mais une transformation libérale radicale pour éviter le pire. La modération et la prudence ne sont hélas pas des vertus en temps de crise profonde et durable.

Son pragmatisme politico-idéologique est aussi son talon d’Achille : rien ne garantit, qu’à l’image de Sarkozy, les nouveaux représentants du conservatisme libéral ne changent pas d’avis en fonction des circonstances pour se maintenir au pouvoir. Face aux enjeux du terrorisme, de la crise des migrants ou de la critique du libre-échange, celui-ci pourrait évoluer vers une position de droite beaucoup plus classique et plus dure, plus proche de celle des formations populistes que du libéralisme, abandonnant ainsi l’occasion historique de réformer le pays.

  1. Sur le sujet, lire par exemple Jacob Levy, Rationalism, Pluralism and Freedom, Oxford Univ Press, 2014 ; Robert Nisbet, The Quest for Community, ISI, 2010.
  2. Sur cette absence : François Huguenin, Le conservatisme impossible, La table ronde, 2006.
  3. Sébastien de Boissieu, « Qu’est la génération Manif pour tous devenue ?« , in Le Débat, sept oct 2013
  4. Sur la diversité politique du monde catholique, Yann Raison du Cleuziou, Qui sont les cathos aujourd’hui ? Desclée de Brouwer, 2014.
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  • Conservateur, conservatisme, libéral, libéralisme, ajoutez les préfixe néo et ultra et tout un éventail de postures devient un sujet d’analyse sémantico-politique.
    Est-ce bien utile ?
    Peut on désirer une société en paix avec elle-même, un état moins invasif mais tout de même protecteur, un cadre économique sain et plus de liberté d’entreprendre sans être immédiatement traité de ceci ou de cela ou d’être réduit à une idéologie ?
    Il me semble contreproductif de toujours tenter de classifier selon des catégories simplificatrices, ce qui ne fera qu’augmenter les incompréhensions (plus ou moins intentionnelles), les sur-interprétations et les mises à ban.

  • C’est une bonne analyse et je partage les craintes finales. Toutefois, la gouvernance d’un pays est plus une affaire de tempérament que de théorie politique, qui reste utile pour clarifier la situation. C’est la raison pour laquelle, supputant un homme dont l’intégrité semble plus probante que beaucoup de ses concurrents (dont on se demande si le mot intégrité a un sens pour eux), j’apporterai un soutien critique (très critique) à Fillon.
    Les autres, on les connait et aucun crédit ne peut leur être accordé (et vivre à crédit, ils savent le faire). Avec lui, une petite lueur d’espoir s’allume. Reste à voir ce que l’épreuve des lendemains difficiles qui se profilent laissera debout.

    • Mouais, intégrité un peu trop brandie en avant par Fillon.
      1- Il reproche à Sarkozy sa mise en examen pour le dépassement des dépenses de campagne. Pourtant, il est peu reconnaissant à l’ex président de l’avoir gardé PM les derniers mois, ce qui lui a donné un poids politique légitime, alors que le futur candidat se privait d’un coup politique en ne se donnant pas l’essai d’une nouvelle politique pour son second septennat. Ce qui l’a poussé aux limites des dépenses de campagne… Mais cela permet à Fillon de faire l’arrogant. Après 2012, il n’aurait pas eu que Copé à affronter.
      2- Fillon a parfois des réactions que je qualifierais de lunatique. Par exemple, sa déclaration de patrimoine alors que personne ne lui demandait. Il déclare, après 5ans à toucher 25k€bruts par mois, 100k€ en liquide. J’en déduis qu’il a claqué 1 millions € en 5 ans…
      Peut-être a-t-il fait des dépenses très vertueuses, mais on peut déduire qu’il a un comportement de quelqu’un qui sait que sa retraite sera bien assurée…

      Cet attitude d’écorché qui peut aller à l’intégrisme, avec un petit arrière goût d’hypocrisie, me gène beaucoup.

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