Thinkerview : panorama géopolitique du Moyen-Orient

Dans un entretien d'une heure accordé à Thinkerview, Pierre Conesa revient sur la stratégie politico-religieuse de l'Arabie et ses liens avec la France.
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Thinkerview : panorama géopolitique du Moyen-Orient

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 2 novembre 2016
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En octobre 2015, Pierre Conesa, spécialiste en intelligence économique et militaire, qui a fait une bonne partie de sa carrière au Moyen-Orient, s’entretenait avec Thinkerview et détaillait en une trentaine de minutes les positions de l’Arabie Saoudite et son rôle dans l’extension du sunnisme. Un an après, c’est l’occasion de revenir plus en détails sur la question et de tenir compte des développements récents dans la région.

Et cette fois-ci, le spécialiste aura accordé un peu plus d’une heure de son temps à l’équipe de Thinkerview. En une heure, le balayage des sujets est évidemment trop rapide, et on a évidemment un petit goût de trop peu sur bien des aspects. La vidéo est disponible ici :

Il ressort encore une fois de cet exercice le différentiel assez frappant de qualité de contenu qu’on peut obtenir d’une personne de terrain comme l’est manifestement Pierre Conesa, comparé aux « analyses » vagues et consensuelles qu’on nous propose sur d’autres médias, pourtant mieux dotés en moyens. Au passage, ce différentiel doit être encore plus visible lorsque, comme l’évoque Conesa vers 1:06:22, il se retrouve en présence de politiciens habituels sur le médiocre plateau d’une émission grand public, et qu’il est obligé de rappeler aux petits comiques politiciens alors présents que non, le Front National n’est pas la menace la plus prégnante au sortir des attentats parisiens.

Ainsi, si notre homme est – format de l’exercice oblige – contraint de survoler certains aspects et de faire quelques raccourcis dans ses explications (que d’aucuns pourront évidemment trouver grossiers), la description qu’il fait des différentes forces en présence au Moyen-Orient et l’explication raisonnée de la diplomatie française sont assez claires et permettent de dresser un portrait sans fard de l’implication occidentale évidente dans les soubresauts qui secouent cette partie du monde.

Dans cette vidéo, Conesa explique bien le mécanisme qui a vu, progressivement, les occidentaux, Français compris, s’acoquiner avec une Arabie Saoudite de plus en plus extrémiste : partant du principe, toujours posé, que 10 milliards d’euros de contrat allaient tomber, les Français ont toujours pris d’énormes pincettes avec les Saoudiens. Le prix à payer aura été un mutisme assez phénoménal de la France devant les atteintes pourtant nombreuses au droits de l’Homme dans ce pays (et on n’évoquera pas les corruptions politiques plus ou moins actives, « Nos Très Chers Émirs » faisant ça très bien). D’un autre côté, la France peut se réjouir de leur vendre des armes qui, suivant l’expression de Conesa, ne sont en définitive que des anxiolytiques pour un régime intrinsèquement instable à l’intérieur et, par conséquent, fort peu enclin aux conflits extérieurs.

De leur côté, et Conesa l’explique là encore très bien (à partir de 5:30), les Saoudiens se sont retrouvés coincés entre les marchés passés avec les Occidentaux, pourtant infidèles, leurs demandes d’aide en cas de problèmes à leurs frontières (typiquement, lorsque l’Arabie Saoudite a été frappée sur son sol par les radicaux qu’elle a elle-même formés), et, de l’autre côté, la nécessité de respecter les dogmes islamiques édictés par leurs oulémas. Ces derniers ont habilement utilisé le levier religieux et obtenu en échange de leur souplesse théologique une application de plus en plus étendue de la sharia en Arabie Saoudite.

Vers 16:30, Conesa s’attarde un peu sur l’épineux problème syrien (« une crise régionale et c’est nous [les occidentaux] qui sommes en train de la mondialiser »), et le replace dans le contexte plus global des interventions occidentales répétées (en Afghanistan, en Irak, Libye, puis Syrie) en notant qu’on a essayé de perpétuer ces États alors qu’il s’agit d’impostures créées de toutes pièces à la suite des colonisations puis des décolonisations et qu’elles ne tenaient qu’à coups de dictatures.

Plus généralement et en incluant le Pakistan, la Somalie, le Bahreïn, le Yémen et le Nigéria, Conesa remarque qu’il s’agit essentiellement de conflits religieux entre les sunnites et les chiites et que les interventions occidentales y sont donc grossièrement déplacées (au même titre qu’une intervention de pays musulmans en Irlande du Nord pour séparer catholiques et protestants serait vue comme parfaitement inappropriée). Évidemment, ces éléments ramenés au niveau de la France en font un pays de « moyenne impuissance », emberlificoté dans ses grands principes humanistes, sa realpolitik énergétique et militaire et des jeux d’alliance avec les autres pays développés.

Cette notion de « moyenne impuissance » est assez bien décrite vers 25:54 lorsque Conesa se lance dans un petit développement de nature stratégique : vers 1990, la révolution dans les affaires militaires américaines, utilisant les dernières évolutions technologiques, permet de mettre en place différents paradigmes stratégiques, comme des frappes suffisamment précises à distance de sécurité, de limiter à l’objectif précisément désigné et de rendre le champ de bataille « transparent » ; le principe est de limiter les dommages collatéraux et de réduire à zéro le nombre de morts occidentaux. En contraposée, une autre révolution a pris place : puisque nous frappions à distance, l’ennemi s’est rapproché de nous ; au zéro-mort de soldats occidentaux répondra les massacres terroristes de civils ; mieux : en face de la peur de soldats morts, on mettra des candidats au suicide. Comme d’habitude dans l’histoire, ce sont les perdants d’une guerre qui renouvellent la stratégie, pas les gagnants.

hollande les français ne doivent pas aller dans les zones à risques parce que c'est dangereux

Et malheureusement, comme d’habitude, la France semble à nouveau en retard d’une guerre : Daesh a des moyens de renseignements multiples sur le territoire français (32:00), et le salafisme, terreau du terrorisme islamique, est maintenant très présent sur le territoire sans que les autorités n’aient vraiment cherché à le combattre jusqu’à récemment. La tactique politico-religieuse mise en place par les intégristes, basée sur une dénonciation permanente de racisme ou d’islamophobie, a d’ailleurs très bien fonctionné.

Au passage, Conesa remet l’église (ou la mosquée ?) au milieu du village en notant que la République française, jacobine, centralisatrice et très attachée à son Éducation Nationale, ayant toujours combattu l’apparition d’écoles coraniques, se retrouve en meilleure posture que certains autres pays qui se sont laissés tenter (Canada notamment). A contrario (vers 40:16), ce sont ces mêmes penchants, cette même défense laïcarde forcenée qui auront empêché la création d’une université de théologie musulmane vers 2000 par Mohammed Arkoun, et qui aurait pourtant permis de former des imams en dehors de l’influence délétère de l’Arabie Saoudite.

En somme, avec cet entretien, Conesa nous offre une synthèse rapide mais globalement pertinente du tableau actuel des opérations, des forces en présence et des influences de pouvoir dans la géopolitique du Moyen-Orient et son impact sur la politique française. On s’étonnera cependant, sur la fin de l’interview (vers 1:00:00), d’un léger décalage entre ses positions vis-à-vis de l’Arabie Saoudite, assez lucides, et ses positions en faveur d’un renforcement de la capacité de l’État à agir, alors même que ce dernier peine à démontrer son efficacité ou sa pertinence, voire montre tous les jours que son envahissement dans notre vie privée se fait d’abord au détriment de nous tous.
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