Par Natasa Jevtovic.
Hanibal est un jeune artiste parisien dont le nom s’écrit avec un seul « n » à la différence de son illustre ancêtre carthaginois. Comme c’est souvent le cas au début d’une carrière, il n’est pas encore célèbre en dehors de son arrondissement, même s’il a enregistré un titre avec Dany Dan des Sages Poètes de la Rue quand il avait seulement dix-huit ans, un sacré exploit pour un débutant. Cet été, il s’est produit sur scène à la Place de la République et j’ai assisté à son concert. Il a enflammé le public avec un texte « Endroit de misère » qui dénonce la violence de l’État :
L’état est sournois et fait semblant de ne pas voir
Cette p***in de misère qui chaque jour nous consume
On traine tard le soir et on chope des rhumes
Et il n’y a pas de sécu donc mec y a pas de soins
On veut la révocation car les dirigeants nous ont zappés…1
J’étais étonnée d’apprendre que beaucoup de jeunes de notre quartier n’avaient pas la Sécurité sociale. Pourtant, notre pays offre l’aide médicale gratuite aux sans-papiers, sans doute pour éviter qu’ils propagent les maladies infectieuses au reste de la population.
Pas de sécu pour les plus jeunes ?
Comment se fait-il alors que certains jeunes Français ne bénéficient pas de la couverture maladie ? Ceux qui ne sont plus étudiants et qui n’ont jamais travaillé – « qui se font recaler car ils n’ont pas la gueule de l’emploi » selon Hanibal, mais qui ne peuvent plus être rattachés au foyer fiscal de leurs parents, ne peuvent donc plus bénéficier de la couverture maladie.
Hanibal m’a expliqué qu’il lui était impossible de trouver un accord avec la Sécurité sociale depuis plus de deux ans et que même les lettres recommandées qu’il envoyait n’étaient jamais prises en compte. Courant 2014, il a souhaité créer une entreprise en tant qu’auto-entrepreneur et a effectué quelques démarches sur l’internet sans jamais cotiser au Régime social des indépendants (RSI).
Entre le RSI et le régime général
Ces démarches non abouties ont entraîné une radiation du régime général de l’assurance maladie, sans qu’il soit admis au RSI. Il s’est retrouvé sans aucune couverture. L’Assurance maladie de Paris a refusé de l’affilier au régime général en le renvoyant au RSI auquel il n’a jamais été affilié ; pour sa part, le RSI lui a fourni une attestation de non affiliation.
Ses quatre déplacements s’étant avérés infructueux, j’ai décidé de l’accompagner à l’agence de notre arrondissement. Nous avons attendu dans une premier file d’attente puis nous nous sommes présentés à l’accueil où nous devions expliquer à l’hôtesse la raison de notre visite avant de prendre un numéro. Elle voulait s’assurer que nous étions venus au bon endroit, que notre demande concernait bien la Sécurité sociale et non la CAF ou un autre organisme de l’État. Ensuite, nous avons attendu dans une deuxième file d’attente jusqu’à ce que notre numéro s’affiche pour être reçus par une guichetière.
Le problème du cas particulier
Celle-ci a examiné le dossier pour s’assurer qu’il était complet et nous a orientés vers une dernière file d’attente, où nous devions être reçus par un agent de Sécurité sociale qui allait traiter le dossier. Pourquoi faire attendre les gens dans trois files distinctes au sein d’une même administration, si ce n’est pour justifier les emplois pléthoriques de ses agents ? Les citoyens ne sont-ils pas capables de discerner par eux-mêmes s’ils se déplacent au bon endroit ou si leurs dossiers sont complets ?
Seulement voilà, bien que le nôtre le fût, la dernière guichetière nous a dit sèchement qu’elle ne savait pas comment traiter ce cas particulier et nous a conseillé une lettre recommandée. Notons que Hanibal avait déjà tenté cette option, sans résultat. Le ton est monté ; furieuse, j’ai exigé de rencontrer le responsable de l’agence, en m’assurant que toutes les personnes présentes entendent l’échange. Il n’était pas question que nous repartions sans une attestation d’affiliation, après un cinquième déplacement.
Accompagnée de deux fonctionnaires de police
Une dame est venue nous voir, s’est présentée comme directrice de l’agence et nous a invités dans son bureau. Nous lui avons présenté un courrier de refus d’affiliation adressé en juin à Hanibal par la Sécurité sociale, ainsi que l’attestation de non affiliation au RSI.
Elle a proposé d’appeler le RSI afin d’obtenir plus de renseignements, seulement pour revenir avec le même courrier de refus d’affiliation, fait à la même date mais cette fois-ci signé par un agent différent, auquel elle a ajouté l’annotation suivante : « Suite à la communication téléphonique de ce jour avec RSI, avons confirmation que la gestion du dossier incombe au dernier organisme connu, donc le RSI. Cachet, signature. »
Elle était accompagnée de deux fonctionnaires de police qui nous ont demandé de partir et d’adresser un courrier au médiateur. « Je ne pense pas que vous obtiendrez quoi que ce soit de leur part aujourd’hui, ils semblent braqués », nous a dit l’un des policiers.
Pas de concurrent face à la sécu
Après leur départ, nous sommes revenus et avons exigé de revoir la directrice, car nous voulions obtenir une attestation d’affiliation à tout prix. J’ai frappé à la porte de son bureau et haussé le ton une nouvelle fois, pour que toutes les personnes présentes dans les différentes files d’attente entendent mon argumentaire. « Je suis une citoyenne lourdement imposée et j’ai droit à une réponse venant d’un service public que je contribue à financer ! J’aurais aimé aller voir ailleurs, mais je ne peux m’adresser à un autre organisme puisque la concurrence n’existe pas et la Sécurité sociale est le seul interlocuteur possible ! D’ailleurs j’habite en face, je viendrai chaque jour si nécessaire et je ne PARTIRAI PAS sans l’attestation d’affiliation que vous nous devez ! »
La directrice s’est enfermée dans son bureau et a fait de nouveau appel à la police. Cette fois-ci, six fonctionnaires se sont déplacés, sans constater une contravention ou un délit quelconque. Ayant compris que nous avions raison, un policier a tenté de négocier avec la guichetière pour qu’elle nous reçoive, mais celle-ci lui a répondu : « Je ne souhaite pas parler avec vous concernant ce monsieur. » La directrice a dit aux personnes présentes : « Nous allons fermer l’agence. À cause de Madame, plus personne ne pourra déposer son dossier aujourd’hui. »
Pourquoi la police ?
Pour ma part, j’ai posé la question aux policiers s’il était justifié de déplacer autant de fonctionnaires pour raisonner avec moi, en plein état d’urgence – n’y avait-il pas des interventions plus importantes ? Je les ai même invités à bien vouloir m’embarquer, mais il n’y avait aucun motif.
Finalement, un policier a dit à Hanibal : « Fais-la sortir, sinon c’est toi qu’on va embarquer. » Face à une telle éventualité, il a cédé à leur demande et m’a convaincue de partir.
Furieuse, j’ai passé la nuit à rédiger un recours pour excès de pouvoir à l’attention du Tribunal administratif, relatant les faits et évoquant la Constitution qui édicte dans son préambule le droit de chaque Français à accéder à la Sécurité sociale.
Je ne suis pas avocate, mais étant donné que la justice administrative permet au citoyen de déposer une requête sans avocat, j’ai décidé de me lancer. J’ai prétendu que la Sécurité sociale avait détourné le pouvoir en faisant appel aux services de la police afin de refuser un droit à un citoyen et de l’éloigner alors qu’il n’avait commis aucune contravention ou délit et contre lequel les fonctionnaires n’ont établi aucun procès-verbal avant de repartir.
Réadmission au régime général de la sécu
J’ai évoqué le détournement de la procédure, la directrice ayant produit le même courrier deux fois, daté du même jour mais signé par deux personnes différentes. J’ai fini par évoquer l’absence de motif et l’erreur manifeste d’appréciation, avant de réclamer un dédommagement de 2.000 euros pour préjudice moral.
J’ai utilisé une procédure d’urgence dite en référé pour obtenir un jugement dans un délai de deux semaines. J’étais certaine d’obtenir gain de cause ; jusqu’à l’arrivée du courrier du tribunal qui nous informait qu’il n’était pas compétent pour juger notre affaire.
En réalité, il existe un tribunal spécial pour les litiges avec la Sécurité sociale qui statue auprès du TGI, ce que j’ignorais. Alors que je me préparais à présenter la même requête auprès du bon tribunal, Hanibal a appris qu’il était réadmis au régime général de la Sécurité sociale le même jour que celui où le tribunal administratif a renvoyé notre recours ; la caisse a dû recevoir un appel du juge, car aucun fait nouveau n’aurait pu motiver la réadmission depuis l’intervention de la police.
Entre temps, une voisine nous a appris que notre agence, d’habitude ouverte 31h par semaine, a été fermée « suite à une agression ». Imaginaire ou non, tout prétexte est bon pour exercer le « droit de retrait » des fonctionnaires du service public. Certes, dans le contexte actuel et le risque d’attentats, les gens sont sur les nerfs et chaque étincelle entraîne un débordement, mais on n’a pas à appeler la police pour une personne qui a haussé le ton.
Ce serait bien qu’existe un marché concurrentiel des assurances maladie où chacun serait libre de choisir celle qui lui convient le mieux. La France d’avant avait une seule compagnie aérienne nationale et une seule compagnie de télécommunications, mais depuis la libéralisation des marchés, les prix ont baissé et les compagnies concurrentes sont poussées à l’innovation et à l’excellence.
Avant, les Français payaient l’abonnement mensuel d’environ 13€ à France Télécom sans même passer un seul coup de fil ; désormais il existe des abonnements téléphoniques de 2 euros et des billets d’avion inférieurs à 10 euros. Une libéralisation du marché de la Sécurité sociale apporterait sans doute des résultats similaires.
En attendant, les meilleurs modes de communication avec la Sécurité sociale restent la lettre recommandée et le recours contentieux.
- Hanibal feat. Seres, Endroit de Misère, https://www.youtube.com/watch?v=kuDkoGFWExY ↩
Je peux vous dire que si une telle histoire m’arrivait, je n’irais pas faire la queue pour essayer de m’inscrire à la sécu et encore moins au RSI. Il ne connait pas son bonheur. -)))
Oui je ne comprends pas qu’il n’en ait pas profiyé pour s’assurer ailleurs.
Y en a qui sont masos !
Je me suis fais la même réflexion, quelle chance !
Cette directrice d’agence est la honte absolue du service public, qui n’a plus de « service » que le nom, et qui n’est plus destiné au public depuis longtemps.
Dans une Secu privatisée, cette personne aurait été licenciée pour faute, la police ne serait pas venue et il n’y aurait pas eu de fermeture, car il y a longtemps qu’elle aurait cessé de nuire.
Quand aux trois files d’attente, nous sommes bien en France soviétique, c’est clair !
C’est très inquiétant en effet, une seule personne « derrière un bureau » dotée d’un tel pouvoir de nuisance…
Je serais curieux de lire le point de vue « d’en face », de la directrice de cette secu par exemple. Ne serait-ce que pour voir quel moyen elle peut bien trouver pour justifier l’injustifiable.
Elle n’a pas à se justifier. Elle fait partie de la caste dominante des seigneurs fonctionnaires.
Oui, mais ce serait effectivement intéressant de comprendre sa logique (quitte à ce que sa réponse soit totalement ridicule).
Les employes de la securite sociale ne sont pas des fonctionnaires mais des employes de droit prive, les differentes caisses de securite sociale ayant en fait « delegation de service public ».
Cela n’enleve rien au fait que vous avez raison dans les faits. Cette situation de monopole public est absolument insupportable en ce sens qu’elle procure a cette institution un pouvoir clairement abusif sur ces « clients » qui ne peuvent pas obtenir justice sans depenser une energie et un temps dont ils ne ne disposent pas la plupart du temps.
D’où provient l’argent de leurs salaires?
ce jeune homme bénéficie au contraire d’une chance extraordinaire , il n’est pas affilié et il a tous les documents prouvant qu’il a essayé mais que la sécu ne veut pas de lui .. il est totalement libéré de la sécu !!
Ma foi, ça ressemble fort à l’histoire d’un parasite qui voudrait ne rien payer et avoir droit à tout… Qu’il en profite donc pour aller s’assurer chez Amariz, il verra si cela est gratuit…
Parce que la sécu est gratuite elle ?
Pour lui oui… Puisqu’il n’a jamais cotisé mais réclame des droits…
Belle histoire et belle persévérance, en tout cas. J’ai souvent remarqué qu’en France on parle toujours des droits mais que l’on oublie beaucoup trop souvent qu’il n’est pas si compliqué de les faire appliquer. D’ailleurs, on ne donne généralement qu’à ceux qui réclament ces droits, comme nous l’a montré l’auteure.
Je ne comprends pas très bien le problème d’Hanibal.. A-t-il des revenus ?
Pour avoir droit à la sécu, il faut cotiser. Ou avoir un statut qui permet d’être pris en charge comme ayant droit d’une personne qui cotise (parent, conjoint).
Pour avoir droit à la sécu, il faut cotiser.
Pas forcément: CMU, AME…
Ma vie, mon oeuvre…
En 2004, je suis passé du régime général à ce qui s’appellera le RSI. Le logiciel informatique de ce machin ne connaît qu’une seule adresse et personne n’a jamais compris qu’ayant une adresse de correspondance en région parisienne et un siège social à quelques kilomètres mais pour l’administration en province, je devais dépendre du RSI-PL Provinces. Après quelques aller et retours entre le RSI PL PARIS et le RSI PL Province, j’ai été déclaré… décédé sans que jamais on n’arrête de me prélever des cotisations à un niveau délirant. Mais en 2007, je récupère tout de même une carte vitale.
En 2014, je décide de repasser au régime général en ayant marre des dysfonctionnements du bidule. Depuis, le RSI continue à m’appeler des cotisation (l’URSSAF et la CIPAV aussi, j’en ai pout 60k€ par an pour une activité _arrêté_ P4PL à l’appui !). Depuis, je file sur mon salaire pas loin de 4k€ à l’URSSAF, aux caisses de retraites et à tous les autres organismes par _mois_, et je n’ai plus aucune couverture en France. Mais le RSI refuse toujours le transfert de mon dossier, transfert effectué par trois fois, le lendemain de chaque transfert, le RSI reprenait mon dossier car on ne peut rester à la CPAM que si toutes les autres caisses vous refusent. J’ai été contraint de prendre une assurance hospitalisation au Luxembourg EN PLUS DE CE QUE JE PAIE DÉJÀ INVOLONTAIREMENT. À ce jour, je ne sais toujours pas pourquoi le machin s’oppose à ma réintégration au régime général. J’ai eu des soins l’année passée, j’ai tout payé de ma poche. Je paie même une complémentaire maintenant obligatoire alors que je n’y ait pas droit, n’étant pas à la CPAM.
En ayant eu assez, j’ai traîné tout ce beau monde devant un tribunal. Et je sais déjà que je vais perdre (délibéré rendu demain) et qu’il me faudra au moins aller en appel pour avoir une décision correcte. Pourquoi ? Parce que les tribunaux de la sécu sont payés par la sécu et ne sont que des chambres d’enregistrement des doléances des caisses. Dans un dossier, j’ai même un faux en écriture manifeste, il paraîtrait que je n’ai commencé mon activité qu’en 2011, P0PL à l’appui (pas signé, ils ne sont pas allé jusque là. C’est dommage, le RSI m’appelle des cotisations PL depuis 2004 !…). Les caisses n’ont peur de rien, les juges des TASS leur donnent systématiquement raison (sauf si vraiment ils n’arrivent pas à tordre le droit assez fort, mais c’est très très rare !…).
Bonjour, votre histoire est choquante, j’espère que vous obtiendrez gain de cause demain… Tenez nous au courant de la suite je croise les doigts pour vous!
Transférz votre activité au Luxembourg également, si cela est faisable…
Désolé de vous contredire mais les personnes travaillant à la ss ne sont nullement des fonctionnaires
… ce sont des oxymores.
Ah ouais ? tout comme les fonctionnaires on est obligé de les payer.
C’est le rêve ! Obtenir ces 2 refus d’affiliation, j’en ai rêvé depuis 15-16 ans, nous sommes des millions à vouloir cela ! Et cet Hanibal veut se faire passer la corde au cou et insiste pour se faire émasculer, va pleurer devant les Tribunaux ! Quel CON !
Pas tant que ça… l’article ne dis rien sur ses revenus et son activité, mais il doit surement ne verser aucune cotisation, avec n’importe quel assureur privé il devrait les payer pour bénéficier des droits, ici il veut en bénéficier sans rien payer. Il est au contraire parfaitement rationnel.
Je me dis aussi que ce n’est pas plus mal vu que d’après ses chansons si il choppe un rhume monsieur a besoin de soins gratuits.
Pas très solide le garçon.
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