Lazare Weiller : un esprit visionnaire

Le nom de Lazare Weiller est quelque peu oublié aujourd’hui. Il a pourtant joué un rôle important dans la diffusion du téléphone, le développement de l’aviation, les balbutiements de la télévision… et l’invention du taximètre !

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Lazare Weiller, l'abbé Nicolas Delsor, sénateurs du Bas-Rhin

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Lazare Weiller : un esprit visionnaire

Publié le 16 octobre 2016
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Lazare Weiller, l'abbé Nicolas Delsor, sénateurs du Bas-Rhin
Lazare Weiller, l’abbé Nicolas Delsor, sénateurs du Bas-Rhin

« Un de ces hommes d’action qui dépassent la limite de la poésie par l’action » selon les mots d’un disciple du maire de Champignac. Le nom de Lazare Weiller (Sélestat, Bas-Rhin, 20 juillet 1858 – Territet, Suisse, 12 août 1928) est quelque peu oublié aujourd’hui. Il a pourtant joué un rôle important dans la diffusion du téléphone, le développement de l’aviation et les balbutiements de la télévision. Il est aussi l’homme à qui nous devons cette perle du transport nommée taximètre.

À défaut de créer un empire industriel, Weiller s’est révélé un agitateur d’idées, un créateur, un esprit imaginatif dans des domaines d’une grande diversité. Il a ainsi incarné la modernité sous toutes ses formes.

Un juif alsacien

Lazare Weiller appartenait à l’importante communauté juive d’Alsace. En 1808, son grand-père, Bar Koschel, « chaudeur » à Seppois-le-Bas, avait demandé la citoyenneté française. Ayant adopté le nom de Bernhard Weiller, il s’était établi à Sélestat où il devint « instituteur judaïque ».

Lazare est le fils de Léopold, marchand colporteur, et d’une servante, Reine Duckes. Sa mère, ardente patriote, ne souhaite pas qu’il étudie dans une Alsace désormais allemande.

Envoyé auprès de son cousin Moïse Weiller, fabricant de tissus métalliques pour l’industrie du papier, il fait des études à Angoulême. Il continue au lycée Saint-Louis à Paris, se révélant un brillant élève.

Ne pouvant entrer à Polytechnique à cause de problèmes de santé, il part à Oxford (Trinity College), pour se perfectionner en anglais, grec, physique et chimie.

Après son service militaire, il travaille dans l’entreprise de son cousin. La fabrication de toiles métalliques, spécialité de Sélestat, avait été transporté à Angoulême, important centre de fabrication de papier. L’intérêt pour le fil de cuivre manifesté par Lazare Weiller s’inscrit donc dans une culture industrielle sélestadienne.

Il s’intéresse en effet aux problèmes de tréfilage des fils de cuivre, qui commençaient à prendre une importance grandissante au moment où le télégraphe, et bientôt le téléphone électrique prennent leur essor. Il adapte au tréfilage du cuivre une technique jusque-là réservée aux fils d’acier, qui consistait à laminer à chaud le fil machine.

Les deux mariages de Lazare Weiller

Lazare Weiller se convertit au catholicisme en 1882. Il épouse sa nièce Marie Marguerite Jeanne Weiller. À la mort prématurée de sa jeune épouse, il fait réaliser un audacieux tombeau dans la chapelle privée du cimetière de Bardines à Saint-Yiriex (Charente) par Raoul Verlet. Un couple de jeunes gens enlacés comme après l’amour dans des draps froissés. De quoi choquer les esprits pudibonds du temps. Notre industriel était donc un esprit romantique.

Le chagrin vaincu, il se remarie en 1889 avec Alice Javal, fille et petite-fille de députés de l’Yonne. Les Javal, en dépit de leur patronyme, étaient eux aussi une famille de juifs alsaciens issus de Seppois-le-Bas dans le Sundgau qui avaient prospéré dans l’industrie. Cette union donne notamment naissance à un fils Paul-Louis.

Lazare Weiller, entrepreneur et innovateur

Lazare Weiller crée enfin sa propre entreprise en 1881, à Angoulême, exploitant ses découvertes, notamment ce fil en alliage de bronze silicieux qui révolutionne le transport du courant électrique. Il donne en effet plus de résistance aux fils et câbles de cuivre.

Alliant la conductibilité du cuivre et la ténacité, cet alliage permet au fil de rester tendu entre deux poteaux distants de 50 mètres. Il offre ainsi des garanties importantes aux compagnies de télécommunications.

Son entreprise, devenue une société en commandite par actions prospère au capital de 2 millions de francs, est trop à l’étroit à Angoulême. Il décide donc d’acheter, en 1896, un terrain de 18 hectares au Havre. Le Havre est alors le premier port d’importation du cuivre et la porte vers le Royaume-Uni et le nouveau monde. Devenue SA, les Tréfileries et Laminoirs du Havre qui produisent câbles marins et des câbles téléphoniques, voit le capital se monter à 8 millions de francs. En 1899, l’entreprise emploie 2000 ouvriers et réalise un CA de trente millions de francs. Une nouvelle augmentation de capital a lieu, portant ce dernier à 15 millions de francs.

Télévision ou télégraphie sans fil ?

Il travaille avec quelques uns des grands physiciens et électriciens de l’époque. Il ne s’intéresse pas seulement au téléphone et au télégraphe sans fil mais également au transport d’images à distance, autrement dit à la télévision,.

En octobre 1889, il publie un article majeur « Sur la vision à distance par l’électricité ». En proposant d’utiliser une roue de miroirs pour analyser l’image, il fournit, cinq ans après la définition du disque de Nipkow, une méthode alternative, plus coûteuse mais plus fine, qui sera utilisée dans les développements de la télévision mécanique (1905-1932) et sera incorporée par Baird dans le système mis en œuvre par la BBC en 1932 pour ses premiers services réguliers.

Mais finalement,  il ne cherche à mettre ses idées en application. II se tourne plutôt vers la TSF. Lié avec Guglielmo Marconi, Lazare Weiller collabore avec lui pour la mise en place de la première station transatlantique, établie par Telefunken à Hamburg en 1913.

L’invention du taximètre

Un jour, voyageant avec Waldeck-Rousseau, dont il était proche, il se dispute avec le cocher de fiacre sur le prix de la promenade. L’invention du taximètre s’apparente à l’oeuf de Colomb. C’était simple mais il fallait y penser.

Weiller lance la compagnie des compteurs de voitures en 1903. Il équipe ensuite de taximètres la Société des fiacres automobiles qu’il crée à Paris (1905) associé à des banques et des constructeurs automobiles. Le taximètre permet le contrôle automatique des temps et des distances. Mais il permet aussi d’utiliser l’automobile pour le transport de passagers. Les petites Renault rouges vont se multiplier. Le terme taximètre va servir à distinguer les fiacres automobiles, qui deviennent les taxis tout court, des fiacres hippomobiles.

Des compagnies analogues voient le jour à Londres, Genève, Mila, Berlin et New York.

À la demande de Waldeck-Rousseau, il effectue une mission diplomatique aux États-Unis. Il publie à son retour un ouvrage Les grandes idées d’un grand peuple qui célèbre la civilisation américaine. Cet ouvrage qui met l’accent sur les businessmen connait un succès considérable et fait l’objet d’une soixantaine de rééditions.

Lazare Weiller, pionnier de l’aviation

Lazare Weiller se passionne également pour l’aviation. En 1908, Il crée un prix de 10 000 dollars pour celui qui effectuera le premier vol en France. Il fonde la Compagnie Générale de navigation aérienne, associé à Henry Deutsch, qui exploite le brevet des Wright acheté « pour une bouchée de pain ». Les deux frères s’engagent à instruire trois pilotes : le Capitaine Lucas-Gérardville, Paul Tissandier et le Comte de Lambert. Ainsi nait l’école de pilotage de Pau. Le premier vol a lieu le 3 février 1909.

Mais la société ne connaitra pas de véritable développement. On touche ici un des points saillants de la carrière de notre entrepreneur.

Les échecs d’un touche à tout

Lazare Weiller s’est retrouvé administrateur de seize sociétés. Président de la société des tréfileries du Havre, président de la compagnie universelle de télégraphie sans fil, administrateur de la compagnie des automobiles de place et de diverses sociétés de mines ou d’électricité, etc. ses diverses fonctions ne peuvent tenir sur sa carte de visite.

Mais il subit des revers de fortune, les Tréfileries et laminoirs du Havre sont touchés par l’effondrement des cours du cuivre. Weiller perd le contrôle de l’entreprise en 1901. Il doit vendre son château d’Osny (Val d’Oise) et sa magnifique collection de tableaux : Boudin, Carrière, Monet, Puvis de Chavanne, Corot, etc.

Autre échec, la Compagnie universelle de TSF qui devait exploiter des brevets allemands de la société Goldschmidt. Une sainte indignation nationaliste face à cette association entre un Juif et des Allemands met fin à l’expérience. La Marconi Wireless Company, qui n’était pas étrangère à la campagne de calomnies, obtient finalement l’aval de l’administration française. Le rêve d’un réseau continental relié aux États-Unis s’évanouit.

Selon Emmanuel Chadeau, ces échecs n’ont rien d’étonnant. Lazare Weiller « n’était pas de taille à les gérer durablement et devait bientôt soit laisser la place à des firmes managériales conduites par des ingénieurs…, soit s’en remettre à la décision de l’État. » D’une certaine façon, il illustre le déclin de l’entrepreneur familial dans un monde moderne dominé par des « organismes plus forts, mieux organisés, moins dépendant d’un homme. » Au temps de l’entreprise familiale succède le temps des grandes firmes anonymes.

La cible d’Édouard Drumont

Mais les affaires ne suffisent visiblement pas à occuper son existence. II se lance dans la politique en 1888 et se présente sans succès à Angoulême. Administrateur de La République française, le journal de Gambetta, il participe ainsi à la défense républicaine face au péril boulangiste. Cet échec lui donne paradoxalement une certaine audience parmi les républicains de centre gauche.

Inversement, cela lui vaut d’être présenté comme le prototype de l’affairiste juif par Édouard Drumont, qui s’était, lui aussi, présenté à cette élection. Dans son pamphlet La fin d’un monde (1889), Drumont dessine ainsi « la jolie silhouette du juif moderne ». Le chantre de l’antisémitisme reproche à Lazare Weiller son rôle dans le krach du cuivre et de s’adonner aux plaisirs du théâtrophone !

Député puis sénateur

Antiboulangiste, Lazare Weiller cultive ainsi l’amitié de nombreux politiques. Se réclamant d’une « carrière industrielle et scientifique déjà longue », il est enfin élu en 1914 député de la Charente. Il reprend la devise de l’Alliance démocratique : ni réaction, ni révolution. Il se montre très attaché à la puissance militaire française et donc au service de trois ans. Weiller souhaite également la réforme fiscale devant la dérive des dépenses de l’État. Un impôt général progressif serait la panacée. Il affirme la nécessité de la liberté scolaire qui favorise une « concurrence féconde ».

Weiller se fait avant tout le défenseur des populations alsaciennes opprimées. En 1917, il propose même une loi pour faciliter la francisation des noms patronymiques des Alsaciens-Lorrains. Il souligne combien ceux-ci sont victimes de la xénophobie ambiante à l’égard des Boches.Siégeant à gauche, il est membre de la commission de législation fiscale et de la commission des postes et télégraphes.

Le 12 novembre 1918, au lendemain de l’armistice, la Chambre acclame Clemenceau. Lazare Weiller s’écrie : « Au nom des deux seuls Alsaciens et de mes chers collègues lorrains de cette Chambre, ma poitrine, gonflée de joie, a besoin de crier : Vive Clémenceau. » Ainsi, même aux yeux de l’Action française, il est désormais le « juif patriote »!

En 1920, ayant perdu son siège de député, il passe au sénat comme sénateur du Bas-Rhin. Élu dès le premier tour, il est réélu premier du département en 1927. Inscrit au groupe de la gauche démocratique, il siège à la commission des affaires étrangères qui lui confie d’importants rapports. Il soutient ainsi le rétablissement de relations diplomatiques avec le Vatican. Weiller dépose aussi, en 1925, une proposition de loi tendant à la capitalisation du revenu des monopoles des tabacs.

Les Weiller et le Gotha

Ce diffuseur de la modernité était néanmoins fasciné par les modèles aristocratiques du passé. Lazare Weiller fait construire en 1916 une « maison alsacienne » à Angoulême inspirée d’un monastère de Sélestat, maison qu’il n’habitera jamais. Il achète, en 1920, le château de Dampierre, superbe édifice du Grand Siècle de la vallée de Chevreuse. Il fait également construire une villa de luxe, dite Isola Celesta à Cannes, célèbre pour sa roseraie. Revenant dans le berceau de sa famille, à Sélestat, il achète l’hôtel de la lieutenance.

Lazare Weiller meurt cependant dans sa propriété du pays de Vaud.

Son fils Paul-Louis Weiller, ingénieur de centrale, avait été un héros de l’aviation pendant la Grande guerre. Industriel et mécène, il devait diriger avant-guerre Gnome & Rhône devenu plus tard la SNECMA. Après guerre, il constitue un groupe financier dans les domaines de l’exploitation pétrolière, la banque internationale, le tourisme et l’immobilier.

Les générations suivantes des Weiller entrent dans le gotha européen. Paul-Annick, son petit-fils, épouse la petite-fille d’Alphonse XIII, et son arrière-petite-fille, Sibilla, le prince Guillaume de Luxembourg.

Sources :

  • Michel Hau, Nicolas Stosksopf, Les dynasties alsaciennes, p. 284-287
  • notice de Pierre Lanthier in Dictionnaire historique des Patrons français, Flammarion 2010, p. 710-712

La semaine prochaine : Auguste Rateau

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