Pourquoi il ne faut pas subventionner le bois canadien

Le conflit du bois d’œuvre au Québec met en lumière un aspect fondamental du protectionnisme : il concentre les bénéfices au sein d’un groupe restreint, alors que les coûts sont disséminés sur un grand nombre d’acteurs économiques.

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Pourquoi il ne faut pas subventionner le bois canadien

Publié le 16 septembre 2016
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Par Alexandre Moreau.
Un article de l’Institut économique de Montréal

Pourquoi il ne faut pas subventionner le bois canadien
By: storebukkebruseCC BY 2.0

Malgré de multiples revers juridiques devant les tribunaux de l’OMC et de l’ALENA, les producteurs de bois d’œuvre résineux américains réclament toujours l’imposition de limites et de tarifs sur les importations canadiennes, qui leur feraient une concurrence déloyale en étant subventionnées1. Si aucune entente n’est ratifiée avant le 12 d’octobre 2016, les importations en provenance du Canada pourraient être assujetties à des tarifs allant jusqu’à 25 %2. Le cas du bois d’œuvre illustre bien comment le protectionnisme procure des avantages à un groupe restreint, tout en nuisant à une majorité.

Le bois canadien subventionné ou pas ?

L’absence d’un mécanisme de marché jugé approprié permettant de déterminer le niveau des redevances exigées par les provinces est l’un des principaux éléments du conflit sur le bois d’œuvre, qui perdure depuis plus de 30 ans3. Au Canada, la quasi-totalité des récoltes forestières est issue des forêts publiques, alors que 90 % du bois d’œuvre américain provient des forêts privées. Un jugement en vertu de l’ALENA a effectivement confirmé l’existence d’une subvention à l’égard du bois d’œuvre canadien. Elle était cependant inférieure au seuil nécessaire pour justifier des sanctions selon les lois américaines4. L’existence d’un dommage ou d’une menace de dommage causé à l’industrie n’a donc jamais été démontrée hors de tout doute par le gouvernement américain.

Compte tenu de cette situation, des négociations avaient mené à la ratification du dernier Accord entre les deux pays s’étalant de 2006 à 2015, qui proposait deux options aux provinces concernées5. La première reposait sur des tarifs à l’exportation allant de 5 à 15 % alors que la seconde prévoyait des tarifs inférieurs, mais assortis d’une limitation de volume. Les deux s’enclenchaient dès que le prix du bois d’œuvre résineux était égal ou inférieur à 355 $ US pour un millier de pied-planches6. Sur la période couverte par l’Accord, les tarifs ont été appliqués 77 % du temps7.

Le secteur de la fabrication de produits en bois canadien est très dépendant du marché américain. Les ventes manufacturières pour ce secteur totalisaient 26 milliards de dollars et soutenaient 91 781 emplois en 2015. Si l’on prend le cas spécifique du bois d’œuvre résineux visé par l’Accord canado-américain, la valeur des exportations est passée de 7,1 milliards en 2006 à 5,6 milliards en 2015. C’est donc 23 % des ventes totales de ce secteur et plus de 21 400 emplois qui étaient directement liés aux conditions du marché américain et aux modalités de la dernière entente sur le bois d’œuvre canadien8.

Les gagnants et les perdants

En isolant les différents facteurs qui peuvent influencer la demande pour le bois d’œuvre canadien sur le marché américain, il est possible d’estimer l’impact des tarifs imposés par l’Accord lorsque les prix étaient inférieurs au seuil déterminé. Ces tarifs ont ainsi fait diminuer les exportations canadiennes de 7,78 %9, ce qui a coûté plus de 2 milliards de dollars au secteur forestier canadien (voir Figure 1).

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Bien que l’on mentionne rarement leur point de vue dans ce dossier, les consommateurs américains de bois d’œuvre sont aussi victimes des mesures protectionnistes mises en place par l’Accord. En effet, le bois ciblé est principalement utilisé pour la construction résidentielle sur le marché américain. Les consommateurs américains ont donc dû s’approvisionner à partir d’une source alternative et plus coûteuse lorsque les barrières tarifaires ont fait diminuer les importations canadiennes10. Entre 2006 et 2015, ils ont ainsi dû débourser 6,36 milliards de dollars canadiens de plus.

Les producteurs américains, quant à eux, encaissent d’importants bénéfices grâce aux barrières tarifaires. La part de marché occupée par les importations canadiennes de bois d’œuvre résineux fluctuait aux alentours de 33 % vers la fin des années 1990, alors qu’elle n’était plus en moyenne que de 28 % entre 2006 et 2013. En parallèle, la part occupée par la production américaine a considérablement augmenté pour combler la quasi-totalité de la baisse des importations canadiennes11. Les producteurs américains ont ainsi enregistré un bénéfice net supplémentaire de 4,63 milliards de dollars canadiens en raison des restrictions imposées en vertu de l’Accord 2006-2015.

Conclusion

Le conflit du bois d’œuvre met en lumière un aspect fondamental du protectionnisme : il concentre les bénéfices au sein d’un groupe restreint, alors que les coûts sont disséminés sur un grand nombre d’acteurs économiques. Dans le dossier du bois d’œuvre, les producteurs américains se sont enrichis depuis le début du conflit, alors que les entreprises canadiennes et les consommateurs américains continuent d’en payer le prix.

Sur le web

  1. Troy Brynelson « Timber execs, Wyden call for new deal as lumber prices nosedive and industry frets »The News-Review, 3 août 2016.
  2. Christian Noël, « Vers une 5e guerre commerciale sur le bois d’œuvre ? », Radio-Canada, 6 juin 2016.
  3. La Colombie-Britannique et le Québec plus récemment ont instauré des mécanismes de mise aux enchères des bois permettant de déterminer le niveau des redevances. BC Timber Sales, Welcome to BC Timber Sales ; Bureau de mise en marché des bois, À propos du bureau de mise en marché des bois ; Peter Berg, « Le différend Canado-Américain sur le bois d’œuvre », Capsule d’information pour les parlementaires, Bibliothèque du Parlement du Canada, 10 juin 2004.
  4. Décision du tribunal de l’ALENA, novembre 2005. Voir U.S. Lumber Coalition, « U.S. – Canada Lumber Trade Dispute: A Brief History », octobre 2015, p. 3.
  5. Exclut les provinces de l’Atlantique et quelques scieries. Voir l’Annexe technique sur le site de l’IEDM.
  6. Affaires mondiales Canada, Accord sur le bois d’œuvre résineux entre le Canada et les États-Unis, 26 juillet 2013.
  7. Rajan Parajuli et Daowei Zhang, « Welfare Impacts of the 2006 United States – Canada Softwood Lumber Agreement », Canadian Journal of Forest Research, vol. 46, no 7, mai 2016, p. 956.
  8. Il s’agit d’une moyenne pour la période 2006-2015 qui exclut les emplois liés à la récolte. Voir l’Annexe technique sur le site de l’IEDM.
  9. Rajan Parajuli et Daowei Zhang, op. cit., note 7, p. 952.
  10. Katie Hoover et Ian F. Fergusson, Softwood Lumber Imports from Canada : Current Issues, Congressional Research Service, 27 août 2015, p. 4.
  11. Ibid., p. 4 et 19.

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