Burkini : cadeau empoisonné pour Hollande

Une fois de plus, une polémique prend un mauvais tour pour le gouvernement : le burkini va diviser la gauche.

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Burkini : cadeau empoisonné pour Hollande

Publié le 28 août 2016
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Par Éric Verhaeghe.

Burkini : cadeau empoisonné pour Hollande- Sun tanning by JPC24M(CC BY-SA 2.0)
Burkini : cadeau empoisonné pour Hollande- Sun tanning by JPC24M(CC BY-SA 2.0)

Une fois de plus, une polémique – cette fois celle du burkini – prend un mauvais tour pour le gouvernement, avec un Manuel Valls très allant sur l’interdiction, en contradiction avec certains de ses ministres, et un Président de la République beaucoup moins sûr de son fait.

L’intervention du Conseil d’État, saisi en tant que juge des référés contre certains arrêtés municipaux proscrivant le burkini sur les plages, n’a pas dissipé les flous et a même ajouté de la confusion au débat. Il appartient désormais au gouvernement de définir sa ligne sur ce sujet sensible.

 

Une décision du Conseil d’État sans grande surprise

En réalité, le dossier était plié avant même d’avoir commencé.

En effet, chacun sait qu’un maire ne peut utiliser son pouvoir de police administrative en prononçant des interdictions générales et absolues qui restreignent les libertés, surtout lorsque aucune menace ne pèse sur l’ordre public. Et, dans le cas du burkini, il fallait se montrer très imaginatif pour justifier l’existence d’une telle menace. Donc… le juge ne pouvait pas ne pas annuler ces arrêtés sans s’exposer à un ridicule international que la Cour de Luxembourg ou de Strasbourg aurait sanctionné.

 

Des rédactions cataclysmiques

La tâche du Conseil d’État était d’autant plus incontournable que les maires incriminés avaient manifestement confié la rédaction des arrêtés litigieux à des fonctionnaires dont le droit n’est pas le métier.

En particulier, les phrases qui suivent :

« Sur l’ensemble des secteurs de plage de la commune, l’accès à la baignade est interdit, du 15 juin au 15 septembre inclus, à toute personne ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité, et respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime. Le port de vêtements, pendant la baignade, ayant une connotation contraire aux principes mentionnés ci-avant est strictement interdit sur les plages de la commune » condamnaient par principe la cause de tous les opposants au burkini.

On voit mal comment un juge démocratique pourrait valider l’interdiction du burkini au nom des bonnes mœurs, de l’hygiène, de la sécurité, et autres idées fantaisistes qui trouveraient à s’appliquer tout autant aux plages naturistes et autres vêtements minimalistes.

En outre, l’invocation du principe de laïcité sur l’espace public était vouée à insupporter les juges, puisqu’on imaginait mal que le voile soit autorisé dans la rue, mais le burkini interdit à la plage. Au passage, l’arrêté municipal interdit le burkini à la plage, mais pas dans les rues…

Bref, tout cela était très mal ficelé et ne laissait pas le choix aux juges du Palais-Royal.

 

Une jurisprudence conforme à la tradition

Les attendus du Conseil d’État sont donc tous extrêmement classiques :

Dans ces conditions, le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence. L’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle.

En lui-même, ce texte se passe de tout commentaire. Il répète de façon tout à fait prévisible des doctrines enracinées depuis de nombreuses années dans la jurisprudence du Conseil.

 

La balle dans le camp du gouvernement

Bref, un arrêté municipal n’est pas la riposte adaptée à la question du burkini.

Contrairement aux idées reçues ou qui ne tarderont pas à l’être, le Conseil d’État ne légitime pas le port du burkini sur les plages. Il indique juste qu’il n’appartient pas au maire de régler ce problème par le truchement de la police administrative1. Une interdiction du burkini suppose que ce ne soit pas les maires, mais bien le législateur qui prenne position.

Incidemment, le Conseil d’État suggère donc au gouvernement de prendre ses responsabilités en saisissant l’Assemblée nationale d’un projet de loi en bonne et due forme.

 

Un cadeau empoisonné pour Hollande

Pour le président de la République, le dilemme est grand. Soit le gouvernement propose un texte sur le sujet, et il est à peu près sûr que, à quelques mois des présidentielles, cette perspective est suicidaire puisqu’une majorité de la gauche n’en voudra pas. Soit il ne fait rien (choix instinctif de François Hollande) et les ennuis commencent face à un Nicolas Sarkozy tonitruant.

Il est donc urgent de réfléchir…

Sur le web

  1. La décision du Conseil d’État, considérant ce qui suit :

    1. En vertu de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, lorsque est constituée une situation d’urgence particulière, justifiant qu’il se prononce dans de brefs délais, le juge des référés peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale.

    2. Des arrêtés du maire de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) du 20 juin 2014 puis du 18 juillet 2016 ont réglementé l’usage des plages concédées à la commune par l’État. Ces arrêtés ont été abrogés et remplacés par un nouvel arrêté du 5 août 2016 qui comporte un nouvel article 4.3 aux termes duquel :

    « Sur l’ensemble des secteurs de plage de la commune, l’accès à la baignade est interdit, du 15 juin au 15 septembre inclus, à toute personne ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité, et respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime. Le port de vêtements, pendant la baignade, ayant une connotation contraire aux principes mentionnés ci-avant est strictement interdit sur les plages de la commune ».

    Ainsi que l’ont confirmé les débats qui ont eu lieu au cours de l’audience publique, ces dispositions ont entendu interdire le port de tenues qui manifestent de manière ostensible une appartenance religieuse lors de la baignade et, en conséquence, sur les plages qui donnent accès à celle-ci.

    3. Deux requêtes ont été présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice pour demander, sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, la suspension de l’exécution de ces dispositions de l’article 4.3 de l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet.

    La première de ces requêtes a été introduite par la Ligue des droits de l’Homme, M. Hervé Lavisse et M. Henri Rossi, la seconde par l’Association de défense des droits de l’Homme Collectif contre l’islamophobie en France. Par une ordonnance du 22 août 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant en formation collégiale de trois juges des référés, a rejeté ces deux requêtes. La Ligue des droits de l’Homme, M. Hervé Lavisse et M. Henri Rossi, d’une part, l’Association de défense des droits de l’homme Collectif contre l’islamophobie en France, d’autre part, font appel de cette ordonnance par deux requêtes qui présentent à juger les mêmes questions et qu’il y a lieu de joindre.

    4. En vertu de l’article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales, le maire est chargé, sous le contrôle administratif du préfet, de la police municipale qui, selon l’article L. 2212-2 de ce code, « a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».

    L’article L. 2213-23 dispose en outre que :

    « Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés… Le maire réglemente l’utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours. Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance… ».

    5. Si le maire est chargé par les dispositions citées au point 4 du maintien de l’ordre dans la commune, il doit concilier l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois. Il en résulte que les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public.

    6. Il ne résulte pas de l’instruction que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté, sur les plages de la commune de Villeneuve-Loubet, de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes. S’il a été fait état au cours de l’audience publique du port sur les plages de la commune de tenues de la nature de celles que l’article 4.3 de l’arrêté litigieux entend prohiber, aucun élément produit devant le juge des référés ne permet de retenir que de tels risques en auraient résulté.

    En l’absence de tels risques, l’émotion et les inquiétudes résultant des attentats terroristes, et notamment de celui commis à Nice le 14 juillet dernier, ne sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée. Dans ces conditions, le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence.

    L’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle. Les conséquences de l’application de telles dispositions sont en l’espèce constitutives d’une situation d’urgence qui justifie que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Il y a donc lieu d’annuler l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 22 août 2016 et d’ordonner la suspension de l’exécution de l’article 4.3 de l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet en date du 5 août 2016.

    7. Les dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la Ligue des droits de l’Homme, de M. Lavisse, de M. Rossi et de l’Association de défense des droits de l’Homme Collectif contre l’islamophobie en France. Il n’y pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Villeneuve-Loubet, en application de ces dispositions, les sommes que demandent, d’une part, la Ligue des droits de l’homme, M. Lavisse et M. Rossi, d’autre part l’Association de défense des droits de l’Homme Collectif contre l’islamophobie en France.

    O R D O N N E :

    Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice en date du 22 août 2016 est annulée.
    Article 2 : L’exécution de l’article 4.3 de l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet en date du 5 août 2016 est suspendue.
    Article 3 : Les conclusions de la commune de Villeneuve-Loubet et celles de la Ligue des droits de l’homme, de M. Lavisse, de M. Rossi, et de l’Association de défense des droits de l’homme Collectif contre l’islamophobie en France tendant à l’application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.
    Article 4. La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue des droits de l’homme, à M. Lavisse, à M. Rossi, à l’Association de défense des droits de l’homme Collectif contre l’islamophobie en France, à la commune de Villeneuve-Loubet et au ministre de l’intérieur.

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