« Admission Post-Bac », ce mystérieux outil d’orientation

Décryptage du fonctionnement d’APB, la plate-forme qui recueille les voeux d’orientation des lycéens. Mais à qui sert-elle vraiment ?

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Admission Post Bac By: Collin Anderson - CC BY 2.0

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« Admission Post-Bac », ce mystérieux outil d’orientation

Publié le 27 juin 2016
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Par Romain Pierronnet.1

Admission Post Bac By: Collin AndersonCC BY 2.0

Comme chaque année, le mois de juin est marqué par le marronnier que constitue l’organisation du baccalauréat. C’est aussi l’occasion de reparler d’orientation, et des premiers résultats et indicateurs issus de l’utilisation de la plate-forme Admission Post-Bac (APB).

Expérimentée en 2008 et généralisée en 2009, l’application APB procède de la logique dite d’orientation active mise en œuvre dans la foulée de la loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités (LRU).

Les trois étapes

En France, trois étapes précèdent donc l’accès aux études supérieures : le fait de suivre la procédure d’orientation active dans le cadre du portail APB, le fait de passer la barrière d’une éventuelle sélection (concours et/ou dossier : classes préparatoires, DUT, BTS, formations privées…), et l’obtention du baccalauréat.

Rappelons que toutes les formations du premier cycle des études supérieures sont sélectives, à l’exception des licences universitaires (et la Première Année des Études de Santé – PAES, qui sélectionne en fin d’année sur la base d’un numerus clausus).

Tout prétendant à des études supérieures doit donc, en amont du passage du bac, s’inscrire sur APB en signalant les filières et formations qu’il souhaite suivre, par ordre de préférence : les candidats ont intérêt à indiquer en première priorité les filières sélectives, puisque c’est le premier vœu accepté qui leur ouvrira la possibilité de s’inscrire dans la filière concernée.

Cette hiérarchie des vœux contribue en outre à rendre compte de la hiérarchie des filières. D’une certaine manière, APB y contribue puisqu’il invite chaque lycéen à la formaliser.

Désormais solidement installé dans le paysage, APB semble incontournable. En réalité, chaque année universitaire a été l’occasion de nouvelles annonces quant à des évolutions à venir (pour s’en convaincre, quelques exemples en 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015). Pourquoi APB fait-il donc l’objet de tant d’attentions et de critiques ?

APB, un outil de gestion de vœux ?

Pour analyser APB, on peut mobiliser une approche par les outils de gestion : la gestion de vœux d’orientation de lycéens.

Néanmoins, le contexte de saturation de certaines filières en principe non sélectives permet également de lire APB comme un outil de gestion de flux de futurs étudiants. En effet, la rentrée de septembre 2015 avait été marquée par des cas de néo-bacheliers sans affectation dans des formations supérieures, car ayant opté pour des filières déjà saturées, lorsqu’ils n’avaient pas été tirés au sort (à ce sujet, voir cette tribune de Jean-Loup Salzmann et Gilles Roussel). Les évolutions récentes d’APB visent d’ailleurs à répondre à cette difficulté.

Nous nous focaliserons cependant sur une approche d’APB comme étant d’abord un outil de gestion des vœux des lycéens.

Armand Hatchuel et Benoît Weil (1992) proposent un modèle, désormais classique, de description des innovations, qui peut être décliné pour analyser des outils de gestion. Il est fondé sur la distinction de trois dimensions :

  • un « substrat technique » : il s’agit de l’aspect matériel et concret de l’outil, de la manière dont il s’incarne. Le substrat technique d’APB renvoie au logiciel en lui-même, en tant que programme informatique et plate-forme web.
  • une « philosophie gestionnaire » : il s’agit des grands principes et idées à l’origine de la conception et des usages attendus de l’outil. Dans le cas d’APB, citons par exemple la configuration complexe de l’accès aux études supérieures, avec en particulier l’absence de sélection généralisée. APB gère donc des filières sélectives, et d’autres qui ne le sont pas. Il repose en outre sur une cible spécifique : le lycéen, qui doit remplir son dossier en ligne.
  • une « vision simplifiée du rôle des acteurs », qu’il s’agisse des concepteurs ou des utilisateurs : pour ABP, on y retrouve pêle-mêle le ministère de l’Éducation Nationale, les acteurs de l’orientation, les rectorats, les lycéens.

Trois familles de remarques

Une telle description en trois dimensions fait ainsi naître trois familles de remarques.

Tout d’abord, s’agissant du « substrat technique », nous avons vu qu’il a fait l’objet de refontes continues depuis le déploiement de l’outil, notamment quant à l’affichage perfectible de nouvelles informations. Le dispositif évolue chaque année : de nouveaux établissements en deviennent parties-prenantes, de nouvelles informations sont disponibles, de nouvelles interfaces avec d’autres services publics sont proposées (ex : avec le CROUS). Toujours dans le champ du « substrat technique », des lycéens ont demandé que l’algorithme de gestion des affectations soit rendu public : c’est en partie chose faite depuis début juin 2016, ce qui a suscité un article du Monde intitulé « Admission post-bac, l’algorithme révélateur des failles de l’université ». Nous y reviendrons par la suite, mais on peut interpréter une telle demande comme un signal de suspicion à l’égard du fonctionnement même du logiciel.

La philosophie gestionnaire d’APB résulte quant à elle de la configuration du paysage du premier cycle des études supérieures en France, au sein duquel coexistent des formations publiques ou privées, sélectives ou non. Lorsqu’elles sont sélectives, elles disposent de critères et de modalités d’accès. De ce fait, les règles de gestion d’APB sont en réalité les règles de gestion de l’accès aux études en premier cycle. En outre, APB repose sur une idée qui peut être résumée de la manière suivante : la pré-inscription des lycéens sur une plate-forme permet de les intégrer dans une démarche d’accès à des informations relatives aux filières dans lesquelles ils souhaitent s’inscrire.

On touche ici au troisième aspect : la vision simplifiée du rôle des acteurs. En effet, la mise en œuvre de règles ne présume pas de leur appropriation par celles et ceux à qui elles sont destinées, et donc en particulier aux lycéens.

Si APB ambitionne de donner davantage de visibilité ou de lisibilité à l’offre de formation du supérieur, qu’en font les lycéens ? Sont-ils réellement à égalité face à ces informations ? Des comportements d’autocensure et/ou l’influence des familles peuvent en effet contrarier l’idée selon laquelle disposer de « la bonne information » suffirait à « faire le bon choix ».

En outre, le sociologue François Sarfati (voir ici ou ici) nous rappelle que certains choix d’orientation peuvent être des non-choix : dès lors qu’une partie du supérieur est sélective, les lycéens non retenus par les filières sélectives se retrouvent alors, pas le biais de la hiérarchie de leurs vœux, inscrits par défaut dans des formations non sélectives.

Plus récemment, Leïla Frouillou, qui vient de remporter le premier prix du concours de l’Observatoire de la vie étudiante, montre à son tour comment APB peut contribuer à renforcer le caractère inégalitaire de l’accès au premier cycle des études supérieures.

Besoin de débattre

Décomposer ainsi APB en tant qu’outil de gestion permet donc de saisir quelques-uns des éléments à l’origine des débats qu’il suscite tous les ans. Si Le Monde a raison de dire qu’APB est un révélateur de « failles », il n’est pas juste de les imputer à la seule université dès lors que celle-ci s’intègre à un paysage plus vaste, à l’échelle de l’ensemble de l’Enseignement supérieur.

APB met en lumière la complexité, les paradoxes, les inégalités qui caractérisent l’enseignement supérieur français, mais peut également y contribuer.

Les débats récurrents autour d’APB traduisent donc bien en réalité le besoin de débattre au-delà de l’outil. Ainsi, lorsque un syndicat étudiant propose de transposer APB pour créer « Admission Post-Licence » dans le cadre du débat sur la sélection en Master, la discussion mériterait de s’arrêter d’abord sur l’expérience issue d’une analyse d’APB et de ses limites, celles-ci ne faisant que refléter la complexité et les paradoxes d’un paysage des formations supérieures qui profite d’abord à celles et ceux qui sont en mesure de les décoder et de les maîtriser.

Discuter des vertus et défauts d’APB ne dispense pas de discuter plus généralement d’orientation. Dans sa thèse, Nicolas Charles relie APB à la recherche d’une forme de justice procédurale dans l’accès aux études. L’auteur rappelle en outre que l’orientation pose également la question de l’utilité des études : on remarque ainsi que le Ministère développe l’ambition d’afficher davantage de statistiques d’insertion professionnelle pour les filières présentées sur APB. Je repense alors à une intervention de Cécile Van de Velde, faisant remarquer la singularité française consistant à « dramatiser l’entrée et la sortie des études supérieures ».


Sur le web-Article publié sous licence Creative Commons-CC BY-ND 4.0

  1. Doctorant en sciences de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

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