Ne t’aide pas et l’État t’aidera, d’Éric Verhaeghe

Critique de Ne t’aide pas et l’État t’aidera, le dernier livre d’Éric Verhaeghe (Éditions du Rocher, 2016).

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Ne t’aide pas et l’État t’aidera, d’Éric Verhaeghe

Publié le 31 mai 2016
- A +

Par Francis Richard.

Éric Verhaeghe, dans Ne t’aide pas et l’État t’aidera, montre que la Sécurité sociale, surnommée affectueusement Sécu, n’est pas ce que croit (de moins en moins) le Français moyen, dindon sans le savoir de la farce de la protection sociale en France.

La Sécu n’est pas née de la Résistance

Ne t'aide pas et l'Etat t'aideraL’auteur rappelle opportunément que le concept de la Sécurité sociale n’est pas né de la dernière pluie de la Résistance, même si son caractère obligatoire et universel n’a été mis en œuvre que par les ordonnances de 1945, qui ont consacré cette construction de l’esprit de la technostructure, dont les insignes représentants originels sont les conseillers d’État Alexandre Parodi et Pierre Laroque.

Avant la guerre, une loi du 30 avril 1930, à l’instigation d’un certain Pierre Laval, a déjà rendu obligatoire les régimes d’assurance maladie et vieillesse pour tous les salariés dont la rémunération annuelle est inférieure à un certain montant, les autres salariés pouvant s’organiser librement dans le cadre de leur profession. L’âge de l’ouverture des droits à la retraite est alors fixé à 60 ans.

Pendant la guerre, la loi du 14 mars 1941 instaure l’allocation du vieux travailleur salarié, qui lui est accordée à 65 ans s’il n’a pas de ressources suffisantes. Cette allocation est financée « en piochant dans les réserves financières de la capitalisation »… La même loi, en son article 9, acte la naissance de la retraite par répartition… qui est donc une création de l’État français, ce que beaucoup de Français ignorent.

Les apports des ordonnances de 1945

Ce que les ordonnances de 1945 apportent (ce dont Vichy n’a pas voulu…), ce sont la nationalisation de la protection sociale, la mise en place du régime général et le tarif opposable en matière de santé. Autant d’apports auxquels s’opposeront les syndicats, CGT en tête, qui empêcheront notamment que le régime devienne général et qui, avec la retraite complémentaire, refuseront que les cadres y soient intégrés…

Sur quel principe repose la Sécurité sociale inventée dans les année 1940 ? « Le principe du transfert de risque vers un assureur collectif ».

Éric Verhaeghe explique :

Je paie une cotisation chaque mois et, en échange, l’assureur prend tout en charge. Il finance les hôpitaux, il rembourse les soins, il organise ma retraite, il paie même des allocations familiales.

Autrement dit, c’est « Ne t’aide pas et l’État t’aidera », qui est juste le contraire ici-bas de « Aide-toi et le Ciel t’aidera » des chrétiens.

Ce principe a pour conséquences la déresponsabilisation et l’inflation des soins, et l’individualisme :

Je n’ai plus besoin de m’occuper de mon vieux voisin impotent, puisque je paie chaque mois une cotisation qui finance l’intervention quotidienne chez lui d’une aide-ménagère ou d’une infirmière. S’il meurt de faim ou de soif pendant la canicule, s’il agonise après avoir chuté dans sa salle de bains, ce n’est plus mon problème, puisque je finance un système qui prend (ou devrait prendre) en charge tout cela.

Un régime général, sauf pour la noblesse d’État

Ne relève de toute façon pas du régime général et universel le régime de protection sociale des fonctionnaires. C’est cette exception qui a progressivement permis à la technostructure de se transformer en classe sociale « disposant de privilèges financés par l’ensemble de la communauté ». Car les retraites du secteur public se caractérisent par le fait qu’elles sont nettement plus avantageuses que dans le secteur privé et plus… déficitaires.

La technostructure, que l’auteur baptise noblesse d’État en raison de ses privilèges, a fait très fort : elle est parvenue à régenter un système qui la finance en dernier ressort. Pour que ses privilèges soient acceptables et acceptés elle organise, sous couvert de la Sécu, un transfert de richesses des classes moyennes vers les catégories les plus modestes, ce qui lui permet d’étendre sa sphère d’influence et de pouvoir, et de créer un sentiment de sécurité chez les exclus.

Mais, pour cela, la clé de voûte du système doit rester le salariat, inventé par la Révolution, et préféré au contrat de louage par les révolutionnaires :

Historiquement, l’attachement éternel à la terre a donc été remplacé par le contrat de travail à durée indéterminée, qui constitue une forme évoluée d’aliénation. Le salarié offre sa vie à son patron et celui-ci s’engage à lui fournir un revenu d’existence déconnecté de sa production en échange de ce sacerdoce.

La mort programmée de la Sécu

Seulement le salariat a pris un sérieux coup de vieux, avec, révolution numérique oblige, l‘ubérisation progressive (ou économie collaborative) de la société. Et comme la France a choisi de financer les prestations de la Sécurité sociale par les seules cotisations sur le salaire, il y a maintenant péril en la demeure pour la noblesse d’État et ses relais que sont les syndicats. Qui, du moins en apparence (c’est l’État qui prend les véritables décisions), gouvernent la Sécurité sociale. Ce qu’on appelle la gestion paritaire, un juteux fromage…

Pour s’en sortir :

Le Léviathan rassurant de la Sécurité sociale a donc multiplié, avec la crise, les réglementations favorables aux salariés et défavorables aux employeurs. D’année en année, le Code du travail a inventé de nouveaux droits pour les premiers et de nouvelles contraintes pour les seconds. D’un côté, les victimes de la lutte des classes qu’il faut toujours mieux servir, de l’autre les horribles bourreaux qu’on ne finit jamais de punir.

Les résultats sont là, c’est ce qu’on voit :

Depuis 1970, la France compte 7 millions de salariés de plus, de 17 à 24 millions, et 2 millions d’indépendants en moins, de 4,5 à 2,5 millions.

Ce qu’on ne voit pas, c’est que l’ubérisation devrait étouffer le salariat lentement, mais sûrement. Un exemple est celui du covoiturage « autorisé dès lors que son prix n’est pas suffisamment élevé pour assurer un revenu régulier à son bénéficiaire » (voir la décision du Conseil constitutionnel du 22 septembre 2015). Cette autorisation limitée au low cost pour ce qui concerne les systèmes payants de covoiturage conduira la SNCF à une perte de compétitivité mortelle… Et l’ubérisation s’étendra tôt ou tard à tous les secteurs de l’économie, sapant le modèle français de Sécurité sociale.

Concilier protection et responsabilité

L’auteur veut sauver la protection sociale, mais pas n’importe comment. Pour lui, il faut « concilier de façon simple et lisible le besoin fort et légitime de protection dans la société française d’une part, et le besoin de liberté et de responsabilité conforme à notre tradition d’autre part », et pour ce faire il énonce les choix qu’il faudrait prendre selon lui :

  • fiscalisation complète de l’Assurance maladie,
  • développement du big data en santé,
  • création d’une épargne retraite collective obligatoire d’entreprise avec des incitations fiscales fortes,
  • mise en place d’un compte notionnel pour le régime général, permettant à chacun de partir à la retraite à l’âge de son choix moyennant un arbitrage personnel entre le montant de la retraite et durée de son versement.

Il voit ainsi dans le revenu universel «l’alternative respectueuse de la liberté et de la responsabilité individuelle » à la Sécurité sociale.

Partant des chiffres de la comptabilité nationale, il plafonne à 30 % du PIB l’enveloppe annuelle acceptable de la protection sociale, soit 600 milliards d’euros en 2015 (contre 34 % avec la Sécurité sociale actuelle) :

En admettant que nous excluions de ce dispositif les 100 milliards que coûtent annuellement les affections de longue durée (les cancers, les accidents cardio-vasculaires, etc.), l’État disposerait donc d’une somme de 500 milliards à distribuer annuellement à chaque Français, tout en gardant un dispositif gratuit capable de soigner les maladies inévitables. (Page 56)

Il n’est pas question ici, pas plus que ne le fait d’ailleurs l’auteur, de décrire minutieusement ce que serait la transformation du système actuel en ce qu’il appelle un système responsable grâce au revenu universel. Le lecteur intéressé lira avec profit les grandes orientations qu’il donne. Aussi faut-il se contenter de faire quelques observations :

  • d’abord l’auteur n’emploie pas les mêmes chiffres page 56 de son livre et page 233, où, par commodité, il fixe le poids de la Sécurité sociale à 25 % du PIB : ce qui montre bien que le niveau de la protection sociale souhaitable est tout simplement arbitraire ;
  • ensuite il ne remet pas complètement en cause le rôle de l’État dans la protection sociale, puisqu’il lui laisse le soin de prélever l’impôt qui la finance, alors qu’il serait certainement plus simple de laisser son argent au contribuable, c’est-à-dire, dans le cas du salarié, de lui verser son salaire complet ;
  • enfin il est bien naïf de croire que le revenu universel ne sera pas un prétexte pour donner de l’argent sans travail…

Le grand intérêt du revenu universel repose sur son extrême simplicité et sur l’infinité de combinaisons libres qu’il permet pour chaque citoyen.

Certes le revenu universel peut diminuer fortement la peur de la précarité, mais il est douteux qu’il renforce l’encouragement au travail. C’est là où le bât blesse… Car « la baisse du niveau de vie du fait du travail pour les plus bas salaires » provient essentiellement de l’absence de liberté économique en France qui seule est à même d’apporter à tous la prospérité.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Dans une tribune publiée dans Le Monde à l'occasion de l'annonce, par le gouvernement, d'un projet de loi visant à conditionner le versement du revenu de solidarité active (RSA) à un accompagnement intensif de ses bénéficiaires en entreprise, Rafaël Amselem et Lucien Guyon défendent une intéressante conception du droit à la dignité, qui puise sa source dans l'idée, issue de la pensée de Paul Ricœur, que « quelque chose est dû à l'être humain du seul fait qu'il est humain », et qui impose donc de garantir à chacun la reconnaissance de son huma... Poursuivre la lecture

L’interview d’un invité de l’émission « C’est arrivé demain » du dimanche 13 mai 2018 sur Europe 1 ne pouvait me laisser indifférent. C’est pourquoi je prends la plume (ou le clavier d’ordinateur) pour réagir aussitôt.

Dans un livre à paraître, intitulé Libérons-nous des chaînes du travail et de la consommation, Abdennour Bidar imagine une société libérée du travail et de la consommation. Une proposition qui ne pouvait pas me laisser indifférent, tant ce genre de proposition me semble immédiatement et instinctivement non seulement absu... Poursuivre la lecture

Le concept de décroissance est de plus en plus présent en France : au cœur des débats politiques, dans les médias, les corps intermédiaires, le tissu associatif, les milieux des arts et de la culture, la recherche, les universités et les grandes écoles.

On ne compte plus les conférences, colloques, salons, séminaires sur la décroissance présentée sous toutes ses formes et vertus : les décroissances carbone, verte, radicale, partielle, anticapitaliste, imposée, choisie, sectorielle, industrielle, numérique, technologique, globale, unila... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles