Primaires américaines : le populisme ou la politique du bouc émissaire

Le populisme domine les primaires américaines. Il consiste à chatouiller un instinct largement répandu : être persuadé que vos malheurs sont l’œuvre d’un autre et que vous n’en êtes nullement responsable.

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Primaires américaines : le populisme ou la politique du bouc émissaire

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 14 mai 2016
- A +

Par Guy Sorman.

By: DonkeyHoteyCC BY 2.0

L’Amérique est prise en tenaille entre deux populismes parallèles et ascendants, côté droit avec Donald Trump, côté gauche avec Bernie Sanders. Hillary Clinton par contraste se révèle extrêmement centriste et rationnelle. Ce qui illustre que nulle démocratie n’est à l’abri du populisme. Mais qu’entend-t-on par ce terme ? Le populisme consiste à chatouiller un instinct primitif et largement répandu : être persuadé que vos malheurs, déceptions, frustrations sont l’œuvre d’un tiers et que vous n’en êtes nullement responsable.

Il revient au candidat populiste de désigner ce tiers, le bouc émissaire, et de lui trancher la gorge pour que l’avenir devienne radieux, ou le re-devienne car le populisme se fonde aussi sur le mythe d’un Paradis perdu. Le populiste parvient à ses fins s’il est charismatique, notion indéfinissable mais repérable, et s’il désigne le bouc émissaire en résonance avec les frustrations du moment. Le Juif fut le bouc émissaire de prédilection des années 1930, mais c’est terminé, sauf dans le monde arabe.

Bernie Sanders contre Wall Street

Bernie Sanders lui a substitué Wall Street, une entité assez vague mais située dans la Babylone moderne qui est New York et que l’Amérique profonde abhorre : c’est parce que les gnomes de Wall Street deviennent des super riches que le salaire de l’Américain moyen stagnerait. La proposition de Bernie Sanders est indémontrable et absurde : bien au contraire, parce que l’épargne, bien ou mal acquise du monde entier, vient s’investir à Wall Street, tous les Américains ont accès à des crédits à taux bas qui leur permettent de consommer, de s’acheter des maisons et de créer des entreprises. Mais qu’importe la réalité puisque le populisme la nie et lui substitue des mythes infiniment plus mobilisateurs.

En commun avec Donald Trump, Bernie Sanders désigne l’étranger comme bouc émissaire accessoire : par le libre échange international, Mexicains et Chinois voleraient les emplois des Américains, en particulier dans la production d’objets manufacturés. Peu importe que les industries américaines produisent aujourd’hui deux fois plus qu’il y a vingt ans, que l’on assiste grâce à la robotisation à une ré-industrialisation du pays. Peu importe aussi que, grâce à la division internationale du travail, les consommateurs américains puissent acquérir des téléphones portables ou des ordinateurs qui, s’ils n’étaient pas assemblés en Asie, leur reviendraient quatre fois plus cher.

Bernie Sanders et Trump ne dispensent pas des leçons d’économie, mais bercent leur auditoire dans l’illusion d’une Amérique heureuse, repliée sur elle-même, où nul ne serait contraint de s’adapter à l’innovation. Bernie Sanders est d’autant plus dérangeant qu’il paraît sincère dans son rôle de vieux lion révolutionnaire : il ne semble rechercher ni l’argent ni le pouvoir, mais seulement la rédemption de l’Amérique ! C’est plus déstabilisant encore que Trump dont nul n’imagine qu’il est honnête et désintéressé.

L’étranger, voilà l’ennemi

Le bouc émissaire chez Trump est l’étranger : le Mexicain nécessairement voleur et violeur, le Musulman toujours terroriste en puissance, le Chinois fourbe et voleur d’emplois. Le Noir n’est pas désigné, mais il est en filigrane dans le discours de Trump qui, rappelons-le, laisse entendre que Barack Obama est kenyan et musulman, ce pourquoi le Président haïrait les États-Unis. Trump ignore la réalité mais plus encore, il la trouve sans intérêt : il a une âme de chef, la confiance dans le chef qui a forcément raison devant, selon lui, remplacer la connaissance des faits. Ce qui fait de Trump un fasciste en puissance, tandis que Bernie Sanders est une pâle caricature d’un Lénine qui aurait été menchevik.

Ces deux-là mettent-ils la démocratie américaine en danger ? Imaginons Trump Président. Il découvrirait dès les premiers jours que le Président américain est Gulliver ficelé par des nains, avec bien peu de pouvoirs réels. Les Pères fondateurs qui ont formulé la Constitution, immuable depuis plus de deux siècles, l’ont voulu ainsi : se méfiant de la tentation du pouvoir et de celle d’en abuser, ils ont conçu un système ingénieux d’équilibre des forces où nul, surtout pas le Président, ne peut imposer ses lubies.

Si le Président tentait de contourner la Constitution, il serait destitué par le Congrès, la Cour Suprême annulerait ses décisions : les Présidents, qui par le passé furent tentés d’outrepasser leurs pouvoirs, furent ramenés à la raison, Andrew Jackson, Theodore Roosevelt, Franklin D. Roosevelt. La Constitution l’emporte sur les hommes et les Américains vénèrent la Constitution bien plus que qu’ils ne se rallient aux politiciens.

Les États-Unis n’ont jamais eu leur Mussolini, Hitler, Franco, Salazar ou Pétain et on ne l’imagine pas autrement : la démocratie américaine n’est pas en danger. Le paradoxe du moment est que Trump et Sanders surgissent, alors qu’aucune circonstance objective ne le laissait prévoir. Le fascisme surgit d’ordinaire en temps de crise, alors qu’aux États-Unis, la crise est terminée. Sans doute faut-il chercher l’explication ailleurs : une grande partie de la Droite américaine n’a toujours pas digéré que le Président soit Noir et une grande partie de la Gauche est déçue par le manque d’audace d’Obama.

N’oublions pas, enfin, que les Américains n’aiment pas l’État et n’en attendent pas grand chose : nommer des clowns reflète le peu de considération que les électeurs – dont la moitié ne votera pas – ont envers Washington.

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  • « …Le paradoxe du moment est que Trump et Sanders surgissent, alors qu’aucune circonstance objective ne le laissait prévoir. Le fascisme surgit d’ordinaire en temps de crise, alors qu’aux États-Unis, la crise est terminée. »

    Trump et Sanders symboliseraient donc le fascisme…?
    De populisme en début d’article à fascisme à la fin, la boucle est bouclée…

    • Ne serait-ce pas plutôt Mrs Clinton la vraie fasciste : elle qui veut mettre au pas la Russie poutinienne, au risque d’une conflagration mondiale, elle qui s’est enrichi de plus de 200 millions de dollars en 40 années de mandats électifs avec son ex-POTUS de mari, elle qui se vautre dans la connivence avec Wall Street, elle qui a laissé les islamistes libyens assassiner l’Ambassadeur des USA à Benghazi, elle qui a fraudé lors des primaires pour barrer la route au gauchiste Sanders (ça ce n’est pas forcément un mal, mais quand même…) Elle une femme de pouvoir, sans aucun scrupule !

  • 4/5 des ménages américains ont vu leurs revenus baisser depuis 2000.

    Les emplois de GM ont disparu au profit des emplois McDos …

  • Oui, Mr Sorman. Mais il y a une barrière infranchissable entre les biens de consommation et les gens; c’est l’argent.
    Et vos belles idées n’y peuvent rien.
    Alors, on fait comment?

  • « Hillary Clinton par contraste se révèle extrêmement centriste et rationnelle. »

    Phrase parfaitement en raccord avec la démocratie selon Cambadélis : « Si tout le monde est mécontent, c’est que la loi du Travail est bonne ! »
    En réalité, Hillary Clinton est plus radicale et irrationnelle que les 2 autres candidats. Sorman fait une utilisation bien malhonnête du terrain politique pour cacher les défauts de sa candidate favorite.

    • Ben oui, quand Warren Buffet & Co inclinent vers Clinton,
      nombre d’autres « observateurs » pensent de même..

  • Comparer Sanders et Trump relève de l’exercice de haute voltige. Quand Sanders accuse Wall Street (le terme est générique certes) d’orchestrer une longue et patiente dérégulation des sytèmes de contrôle financiers pour mettre à genou l’économie américaine et par ricochet l’économie mondiale on ne peut pas l’accuser de populisme mais de réalisme. Quand B. Sanders accuse 1% des américains de capter 90% de la richesse marginale produite depuis des années, on ne peut pas l’accuser de démagogie mais de pédagogie. Voilà bien une analyse européenne d’un paradigme américain. Mais le dégoût du « petit peuple » pour ses « élites » qui s’imaginent être les seuls à avoir un cerveau ne s’exprime -pour le moment- qu’à travers les urnes. Il suffit d’ouvrir un manuel d’histoire pour savoir comment se termine ce genre de processus …

  • G. Sorman est un mondialiste bienheureux. Si la mondialisation a permis à des pays pauvres de s’en sortir, et c’est bien, elle a contribué aussi à des destructions massives d’emplois dans les pays développés. Fermer toutes les frontières est suicidaire. Laissez la mondialisation ouverte à tout vent, est grave de conséquences. Il va falloir trouver les compromis permettant aux pays sous développés de sortir de la misère,
    aux pays développés de garder leur croissance et d’avoir un taux d’emploi bon pour leurs populations. Faute de quoi nous courrons à de graves désordres.

    • Oui c’est un refrain bien connu que ce nécessaire « juste milieu ». Et pour l’atteindre il faut bien entendu une instance de régulation. Sauf que c’est impossible car les personnes compétentes pour une tâche aussi complexe n’existent pas. Nous ne sommes plus dans des problématiques simples d’échanges préhistoriques « toi donner moi viande et moi donner toi graines ». Le monde est mondial de fait avec des échanges si compliqués que prétendre les « réguler » est un non-sens. Et rappelez vous aussi que les personnes pressenties pour le job, les politiques, sont non seulement incompétentes mais aussi malhonnêtes. Leur donner un tel pouvoir relève de la folie.

  • « être persuadé que vos malheurs sont l’œuvre d’un autre et que vous n’en êtes nullement responsable. »

    Comme tout est de la faute de la politique socialiste des démocrates.

  • Il faut relire Aristote. Marguerite Yourcenar faisait dire à son empereur lettré des « mémoires d’Hadrien » que rien ne se disait de sensé dans le monde qu’un grec ancien n’avait déjà formulé il y a bien longtemps de cela.
    nota: Hadrien, troisième empereur de la dynastie espagnole dite aussi des « Antonins », successeur de Trajan, régna au second siècle après JC à l’époque de l’apogée de l’empire romain http://www.histoire-pour-tous.fr/dossiers/85-antiquite/4619-hadrien-lempereur-philhellene-76-138.html

    Qu’est-ce que le populisme ? mot de mépris de caste qu’il convient de prononcer avec la bouche en cul de poule.

    Lorsqu’une élite, arrivée au pouvoir sur des idées neuves à son époque a gouverné trop longtemps, elle a tendance à former une oligarchie qui se coupe progressivement du peuple et qui ressasse les mêmes idées qui deviennent ringardes avec le temps, étant de plus en plus décalées avec le réel. Une oligarchie confisque naturellement le pouvoir en tordant les lois fondamentales pour qu’elles lui soit favorables en toutes circonstances. Selon la composition et les buts de cette oligarchie, elle peut prendre le nom d’aristocratie ou aussi de ploutocratie. Quand ses membres vieillissent et deviennent âgés sans perdre leurs fonctions, on a aussi inventé le terme de « gérontocratie » qui était la caractéristique des élites dirigeantes des partis communistes soviétiques et chinois mais aussi des régimes « frères » qui les copiaient.

    Sont donc « populistes » tous ceux qui estiment que l’élite fatiguée ne mérite plus les privilèges qui lui avaient été consentis quand elle était utile et qu’il convient de la changer le plus vite possible, ce que bien évidemment l’élite mise en cause refuse catégoriquement, s’accrochant au pouvoir et pouvant utiliser tous les moyens légaux et illégaux pour conserver sa position.

    Si les institutions permettent encore aux « populistes » d’accéder au pouvoir, difficilement mais ils y arrivent quand même, l’oligarchie est balayée et une nouvelle élite avec des idées neuves s’installe à sa place.
    Sinon, si le système a été trop bien bloqué, seule la violence permet de mettre un terme à la domination d’une élite devenue parasite.
    http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/politique8.htm

  • Cette tendance n’est malheureusement pas réservée aux USA on la trouve partout en Europe. Si on est optimiste on peut penser que c’est la preuve de la fin d’un modèle qui s’écroule.

  • Cette tendance se retrouve aussi dans les pays européens. La preuve de la fin d’un monde.

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