Adrien de Montgolfier : l’homme aux trois carrières

Du papier à l’armement, en passant par la montgolfière, portrait de Adrien de Montgolfier, un entrepreneur aux multiples facettes.

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Adrien de Montgolfier, Dictionnaire biographique de la Loire, 1900.

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Adrien de Montgolfier : l’homme aux trois carrières

Publié le 17 avril 2016
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Pierre de Montgolfier, aussi connu comme Adrien de Montgolfier
Adrien de Montgolfier, Dictionnaire biographique de la Loire, 1900.

 

Adrien de Montgolfier portait un nom illustre mais difficile à porter. Il devait se faire un prénom, encore faut-il lui attribuer le bon. Né Pierre-Louis-Adrien, il devait se faire connaître sous le nom d’Adrien de Montgolfier (Les Ardillats, Rhône, 6 novembre 1831 – Saint-Chamond, Loire, 23 janvier 1913). Malheureusement, le Dictionnaire des parlementaires, et Wikipédia à sa suite, le désignent comme Pierre de Montgolfier, bien à tort.

Les origines de sa famille baignent dans une atmosphère de légende germanique. Les Montgolfier s’attribuaient des origines bavaroises sans doute plus prestigieuses que leurs véritables origines qui semblent auvergnates. Selon une belle histoire invérifiable, un ancêtre fait prisonnier pendant les croisades aurait travaillé dans une manufacture de papier à Damas avant de rentrer au pays natal. Ainsi aurait commencé la tradition papetière de la famille. De tout cela bien sûr, il n’existe aucun document digne de foi. Il faut attendre le XVe siècle pour attester de l’activité papetière des Montgolfier à Ambert puis à Beaujeu au siècle suivant. Le XVIIe siècle voit deux membres de la famille s’établir près d’Annonay. Les Montgolfier vont également créer des papeteries en Dauphiné.

Enrichis par le papier, ils vont s’élever grâce au ballon : la Montgolfière les rend célèbres dans tout le royaume. La famille est anoblie par Louis XVI en 1783 rendant hommage à l’invention des aérostats mais aussi à l’importance de la fabrique de papier d’Annonay. L’entreprise devenue manufacture royale devait ensuite passer, par mariage, à la famille Canson.

Le père d’Adrien de Montgolfier, Achille de Montgolfier, avait été directeur de la société qui avait réalisé la rue Impériale à Lyon (actuelle rue de la République) mais surtout, fidèle aux traditions de sa famille, il avait à son tour créé des usines de papeteries dans la Drôme, aux environs de Saint-Vallier. Son fils devait suivre une route radicalement différente.

Comme devait le souligner malicieusement le président de la société de Géographie économique de Saint-Étienne en 1905 :

« À la différence de ses illustres aïeux cependant, ce que M. Adrien de Montgolfier envoie dans l’espace, ce ne sont pas d’inoffensifs ballons de papier, ce sont de formidables projectiles semant sur leur passage la terreur et la mort. »

Adrien de Montgolfier devait exercer trois carrières successives : d’abord comme brillant ingénieur, ensuite comme élu politique et enfin comme directeur d’une des plus importantes entreprises sidérurgiques de France. Il devait également être décoré trois fois de la Légion d’honneur à trois titres différents : fait chevalier pour ses capacités d’ingénieur, officier à titre militaire pour son action pendant la guerre de 1870-1871, et enfin commandeur pour honorer un grand industriel bénéficiant de commandes publiques.

 

Un brillant ingénieur devenu un distingué politique

Après de brillantes études au lycée de Lyon et à l’école Polytechnique (1851-1853), dont il sort huitième, il fait les Ponts et Chaussées. Ingénieur dans la Drôme (1856) puis à Saint-Étienne en 1861, il dirige les travaux de l’aqueduc pour l’approvisionnement en eau de la ville et la construction du barrage du Gouffre d’Enfer, un des premiers barrage-poids réalisé en Europe, inauguré en 1866. Il réalise ensuite le barrage de la Rive à Saint-Chamond (1870) alors qu’il vient de passer ingénieur de première classe.

Il s’enracine dans la région par son mariage, à Rive-de-Gier, en 1858, avec Louise-Elisabeth Verpilleux, la fille de Claude Verpilleux. Son beau-père, ouvrier illettré devenu millionnaire, constructeur-mécanicien et inventeur autodidacte, était l’image même du fils de ses œuvres.

Capitaine du troisième bataillon des mobiles de la Loire (1870), il est promu chef de bataillon. Il participe à la défense de Besançon, où ses talents d’ingénieur sont mis à contribution, et à la campagne de l’Est. En 1872, une délégation de son ancien bataillon devait lui offrir une épée d’honneur en signe d’admiration et de reconnaissance.

Il est élu à l’Assemblée nationale en février 1871, est nommé commissaire extraordinaire après l’assassinat du préfet lors de la Commune de Saint-Étienne (mars 1871). Défenseur des intérêts de la soierie lyonnaise, de la rubanerie stéphanoise et des lacets de Saint-Chamond, il lutte victorieusement contre les projets protectionnistes de Thiers qui voulait taxer l’importation des soies. Il avait été élu troisième (sur onze) sur une liste des Intérêts généraux qui groupait des grands propriétaires conservateurs et des industriels républicains (Dorian, Arbel). Il siège à droite avec les monarchistes, vote le renversement de Thiers (24 mai 1873), soutient le gouvernement du duc de Broglie et vote contre l’amendement Wallon qui établit définitivement la république.

Il siège également comme conservateur au Sénat de 1876 à 1879. Après la chute du gouvernement du 16 mai, il est question de lui donner le ministère des Travaux publics. Non réélu au renouvellement du premier tiers sortant, il renonce définitivement à la politique. Sa carrière avait suivi l’évolution déclinante du parti conservateur dont il était membre.

 

Le sauveur des Forges et Aciéries de la Marine

Il devait désormais se consacrer entièrement à son œuvre industrielle. Esprit libéral, il n’intervenait jamais dans les consultations électorales, « assurant la liberté d’opinion la plus large » au personnel de l’entreprise selon un journal local de gauche.

Les Hauts Fourneaux, Forges et Aciéries de la Marine, très importante société fondée par Petin et Gaudet sous le Second Empire se trouvait en difficulté : il en devient le directeur général en juin 1874 et devait rester à la tête de l’entreprise jusqu’en 1908. Il va réussir à sauver l’entreprise par la reconversion des sites historiques de la vallée du Gier et par la délocalisation d’une partie de la production sur de nouveaux sites.

La crise de l’entreprise s’inscrit dans une crise globale de la sidérurgie de la région stéphanoise. L’avantage qu’elle avait longtemps possédé par la précocité de la voie ferrée avait été perdu par la constitution de grands réseaux sous le Second Empire et le PLM imposait des tarifs très élevés qui renchérissait le coût de la production locale. Les établissements étaient obligés de faire venir le minerai de loin, d’Algérie, d’Espagne ou de Suède.

L’événement décisif va être la découverte du procédé Thomas-Gilchrist en 1878 : il permet d’obtenir des fontes destinées à la fabrication de l’acier avec des minerais de médiocre qualité, ce qui va donner un grand intérêt à la minette de Lorraine, très médiocre mais abondante et d’extraction facile. L’Est, avant tout la Meurthe-et-Moselle, va devenir le principal foyer sidérurgique aux dépens de la Loire. Mais là où la grande compagnie de Terrenoire, l’entreprise modèle de la première révolution industrielle, faute d’avoir su se reconvertir à temps, faisait une faillite retentissante en 1888, les Forges et Aciéries de la Marine sous l’habile direction de Montgolfier vont rebondir.

Les Forges et Aciéries de la Marine à Saint-Chamond, collection particulière
Les Forges et Aciéries de la Marine à Saint-Chamond, collection particulière

Il fonde ainsi, en 1880-81, les forges du Boucau, près de Bayonne, à l’embouchure de l’Adour : elle reçoit par mer ses minerais espagnols et ses charbons de Newcastle. Il s’agissait d’utiliser les minerais des Pyrénées et de Bilbao pour fabriquer rails, bandages, profilés et produits de fabrication courante que ne pouvaient plus fabriquer de façon compétitive les usines de la Loire devant le développement du Nord et de l’Est. Les deux tiers de la production de fonte sont transformés en acier et le reste envoyé aux usines de la Loire ou vendu. La commune voit sa population doubler et l’entreprise construit une chapelle et des écoles. La direction de l’usine du Boucau est confiée à Claudius Magnin, qui sera le successeur de Montgolfier à la tête des Forges et Aciéries de la Marine.

Les usines de la Loire vont de leur côté renforcer leur spécialisation dans l’armement. Saint-Chamond conserve les produits de qualité : lingots de toute dimension, moulages en fonte ou en acier ; tôles en acier pour coques, chaudières, constructions métalliques ; canons et affûts de tout calibre, etc. L’usine d’Assailly fabrique plus spécialement les canons de fusils en acier, pièces et aciers spéciaux pour automobiles, les ressorts, les aciers pour outils.

En 1884, avec le concours du commandant Mongin, qui quitte l’armée pour entrer dans la compagnie, il introduit la construction des ouvrages cuirassés pour les fortifications de l’est (tourelles, casemates, batteries roulantes, etc.). La supériorité de la fabrication obtenue entraîne des commandes de gouvernements étrangers : Roumanie, Danemark, Belgique, Suisse, notamment. Ces succès lui donnent l’idée d’aborder la construction des tourelles marines en 1895. Un atelier spécial est monté à Saint-Chamond pour la construction de tourelles de navires employant un personnel d’élite.

Comme la compagnie possédait des concessions de minerais de fer à Chevillon et Tireux, Montgolfier décide de développer des unités de production dans l’Est, la Lorraine s’imposant décidément comme la nouvelle grande région sidérurgique de France. La société change de nom et devient Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt en 1903 avec l’acquisition de diverses usines en Meurthe-et-Moselle : Homécourt et Anderny. Elle prend aussi le contrôle d’autres établissements situés dans le Nord : les forges et laminoirs de Maubeuge et d’Haumont. Le capital est porté de 20 à 28 millions de francs. Si le siège social est maintenu à Saint-Chamond, le siège principal est à Paris avec la plus grande partie des bureaux.

En 1902, il avait été fait commandeur de la Légion d’honneur, dignité rarement accordée aux industriels. À cette occasion, son ami Charles Cholat, directeur des Aciéries de Saint-Étienne, devait rendre hommage à ses capacités, à l’occasion d’un banquet offert par la Chambre de commerce et le comité des forges de la Loire :

« En effet, en industrie vous avez marché au progrès comme on marche au canon, comme on monte à l’assaut, par bonds successifs, bonds quelquefois prodigieux comme celui qui vous a porté un jour des bords du Gier aux rives ensoleillées de l’Adour. Et cette marche en avant a été si vive et si rapide, que parfois vos actionnaires eux-mêmes, un peu essoufflés, n’eussent pas demandé mieux que de se reposer un moment sur les positions conquises. Vous avez tout entraîné avec vous et vous pouvez être fier aujourd’hui de diriger une des plus belles usines du monde.»

Un journal stéphanois le présente en 1908 comme « l’émule des Schneider, le rival heureux des Krupp et des Armstrong […] la grande personnalité, en un mot, de la métallurgie européenne ».

Lors de l’Exposition universelle de Liège en 1905, les canons des Forges et Aciéries de la Marine faisaient face à ceux de Krupp, séparés par un simple passage.

Sa réputation internationale lui faisait arborer les insignes « de tous les ordres à peu près des nations européennes ; de ceux de la Chine et du Japon » selon un journal lyonnais.

 

Papa Montgol

Pour des raisons d’âge et de santé, il quitte la direction et devient administrateur-délégué d’une société qui emploie dès lors 13 000 ouvriers.

Le même journal lyonnais précise :

« Nous pourrions ajouter qu’il était d’une simplicité telle que les ouvriers se présentaient directement à lui, quand, par hasard, ils avaient une revendication quelconque à exposer. Aussi dans l’intimité l’appelait-on simplement : le Papa Montgol. »

Il se voulait le « grand patron au cœur généreux, à la main ouverte. » Continuant à se rendre tous les mois à Paris aux réunions du conseil d’administration, il passe très régulièrement à l’usine de Saint-Chamond, qui était son établissement préféré, restant plusieurs heures dans un atelier pour assister aux opérations de fabrications et pour s’entretenir avec des contremaîtres et des ouvriers. Le jour même de son décès, il avait passé la matinée à Saint-Chamond et l’après-midi à Assailly, dans l’ancienne usine des frères Jackson.

Il est élu président de la Chambre de commerce de Saint-Étienne en 1888 et devait conserver cette fonction vingt années de suite. Il témoigne dans ses fonctions d’une large ouverture d’esprit, favorisant l’entrée à la Chambre des représentants des nouvelles activités comme les cycles ou la construction électrique. Il assainit les finances de la Chambre et mène une ambitieuse politique de constructions. Il décide de donner un plus grand prestige à l’institution en faisant agrandir et rénover l’hôtel de la chambre pour y organiser de grandes réceptions mais aussi en favorisant l’érection d’un superbe bâtiment pour abriter la condition des soies, une des plus importantes du monde, et de nouveaux locaux pour l’épreuve des armes, la seule existante en France.

Adrien de Montgolfier prononce un discours mémorable à l’occasion de la visite du président de la République, Félix Faure, à Saint-Étienne en 1898, véritable hymne à sa région d’adoption :

« Quelle région dans notre pays de France serait plus que la nôtre, digne de votre sollicitude ? Dans laquelle trouverait-on plus de forces vives accumulées, plus d’intelligence et d’imagination dépensées, plus de difficultés vaincues, plus de résultats obtenus ? C’est ici qu’a été construit le premier chemin de fer, qu’a été édifié le premier haut fourneau et fondu le premier lingot d’acier. C’est ici qu’ont été forgés les premiers blindages et les premiers canons à grande puissance, qu’ont été laminés les premiers bandages sans soudure et fabriqués les premiers obus capables de percer les cuirasses des navires. C’est ici que le premier four Siemens pour la verrerie a été édifié. Enfin, c’est la cité même où nous sommes qui a été le berceau de l’armurerie de guerre et de chasse. »

Deux ans plus tard, lors de la grande exposition industrielle de Saint-Etienne, au moment des toasts du grand banquet final, il revenait une dernière fois sur ce thème :

« Nous avons parfois l’écorce un peu rude, mais nous avons le cœur haut et bien placé; nous sommes de braves gens, souvent avec des goûts artistiques incontestables, et avant tout des travailleurs acharnés. Si la forme peut laisser à désirer, le fond est toujours excellent. Et quand vous serez de retour dans vos foyers, vous penserez peut-être quelquefois à ces braves mineurs toujours prêts à exposer leur vie, à ces rubaniers chercheurs du beau, à ces forgerons toujours penchés sur leur feu incandescent. Vous vous direz que ce pays noir, qui est malheureusement un peu délaissé et qui n’a jamais eu les encouragements qu’ils méritent (c’est peut-être notre faute, Messieurs, parce que nous sommes peu demandeurs et trop modestes), a du bon et qu’après tout il en vaut bien un autre.»

La semaine prochaine : Jules Siegfried

 

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  • Dans la famille Montgolfier, Emile de M et son cousin Léonce Verny, qui participèrent aux débuts de l’ère du Meiji en construisant l’arsenal de Yokosuka méritent le détour…

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