Réforme du CSM : faut-il élire les juges ?

Dans le cadre de la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, l’élection des juges est la seule à même de garantir légitimité et indépendance des magistrats.

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Réforme du CSM : faut-il élire les juges ?

Publié le 11 avril 2016
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Par Aurane Reihanian(*).

Cour de Cassation de Paris
Cour de Cassation de Paris (Crédits : Outlandos [ym], CC-BY-NC-ND 2.0)
Le Président de la République a souhaité que mardi 5 avril, l’Assemblée nationale soit saisie du projet de loi réformant le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) à travers une révision constitutionnelle. Et ce après un certain nombre de renoncements -fort heureusement- en la matière : droit de vote des étrangers, statut pénal du chef de l’État, suppression de la Cour de Justice de la République ou encore suppression de la qualité de membre de droit des anciens présidents de la république au Conseil constitutionnel.

C’est pourquoi le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas a annoncé au Sénat le 9 mars dernier que le gouvernement souhaitait désormais que l’Assemblée nationale adopte, avec le Sénat, un texte commun portant réforme du CSM.

Ainsi, cette réforme permettrait d’inscrire dans la Constitution la garantie d’indépendance des juges en agissant sur deux points essentiels. D’une part, en prévoyant que les nominations des procureurs (magistrats du parquet) soient soumises à l’avis conforme et non plus consultatif du Conseil Supérieur de la Magistrature. D’autre part, en renforçant le régime disciplinaire du CSM à l’égard des membres du parquet, comme c’est déjà le cas pour les magistrats du siège.

Manque d’indépendance et déficit de légitimité des juges

Cette réforme pose une question essentielle autour de laquelle l’ensemble de la classe politique semble d’ailleurs se retrouver. Celle de l’indépendance et de la légitimité des juges. En effet, force est de constater que la défiance des citoyens à l’égard des juges n’a jamais été aussi importante. Or, le manque de confiance des Français envers leur propre justice est mortifère puisqu’il remet en cause les fondements de notre démocratie et de notre État de droit. En effet, chaque citoyen est en droit d’idéaliser la justice. Cette défiance est proportionnée à une attente légitime. Ce rejet est alors bien-fondé et ce à plusieurs titres.

D’abord, rappelons qu’aujourd’hui l’autorité judiciaire est sous la responsabilité du Président de la République. L’article 64 de la Constitution énonce que « le Président est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ». Malgré son élection au suffrage universel, la position du chef de l’État sème alors le doute sur de potentielles entraves et instrumentalisations du pouvoir judiciaire à sa convenance.

De plus, cette suspicion est cultivée par certains discours portés par l’ancien chef de l’État face à l’acharnement judiciaire qu’il a connu à travers d’incalculables mises en examen, qui se sont à chaque reprise soldées par des non-lieu.

Enfin, le syndicalisme politique est également en cause. Déjà en 1971, le Syndicat de la magistrature s’est permis de contester un projet de loi réprimant la toxicomanie, devant la fureur de René Pleven alors garde des Sceaux, dénonçant « un gouvernement des juges n’ayant pourtant pas reçu mandat du suffrage universel pour critiquer la loi ». Ce même Syndicat de la magistrature s’est également fait remarquer en accrochant dans son QG ce fameux « mur des cons » sur lequel figuraient un certain nombre de responsables politiques.

Une réforme en trompe-l’œil

Cette réforme entend défendre des principes essentiels mais elle ne répond en rien aux objectifs louables qu’elle semble se fixer. « Le chemin escarpé du compromis », comme l’affirme le ministre de la Justice, ne semble pas avoir abouti à une réforme ambitieuse ou audacieuse. Notre système judiciaire en a pourtant tellement besoin. Pour ce faire, une rupture idéologique de l’ensemble de la classe politique est souhaitable. Notamment une rupture dans l’idée qu’il y aurait « un sens de l’histoire » qui ne permettrait pas de rompre avec le modèle actuel. Celui d’un parquet sous l’autorité réelle et effective du garde des Sceaux. Mais la magistrature aspire à une légitimité originelle, celle du peuple français au nom duquel elle rend la justice. Ainsi, seule l’élection des juges permettra l’avènement d’une véritable justice contemporaine !

L’élection des juges, seul gage de l’indépendance totale et d’une légitimité retrouvée

Une réforme ayant l’ambition d’attribuer une véritable indépendance et légitimité à la magistrature ne doit pas tenter de mettre sous le tapis une réalité : elle doit la légitimer. Or, seule l’élection permet de légitimer les pouvoirs des juges et de les rendre indépendants.

En effet, comme le rappelle l’ancien procureur général de la Cour de cassation Jean-François Burgelin, « la conception gaullienne de la justice comme simple autorité, telle qu’elle figure dans la constitution de 1958, est aujourd’hui dépassée ». Particulièrement lorsque le pouvoir judiciaire joue un rôle de censeur des conduites collectives et individuelles en se fondant sur des considérations d' »opportunité » non juridiquement définies.

À titre illustratif, ce sont ces juges qui décident de la liberté de culte en autorisant une salariée à porter le voile au sein de son entreprise dans l’affaire de la crèche Babyloup. Ce sont ces juges qui décident des bonnes mœurs lorsqu’ils font droit à la publication d’une affiche publicitaire faisant la promotion de l’adultère dans l’affaire Gleeden. Ce sont les juges qui décident encore si un violeur ou un criminel doit réaliser la totalité de sa peine d’emprisonnement.

Cette situation est d’autant plus préoccupante quand on connaît le poids idéologique du militantisme politique des juges dans l’exercice de leur fonction, et dans lequel est empêtré le Conseil Supérieur de la Magistrature.

L’élection permettra également de décloisonner une caste trop souvent décriée. Cette caste qui se côtoie dès son entrée à l’ENM, issue du modèle bureaucratique, ancrée dans ses propres idéaux, « le deuxième ENA » selon Michel Debré, qui se retrouve déliée de la société civile et des autres professions du droit.

Il s’agit alors d’apporter une solution politique à un problème politique. Le principe démocratique veut qu’il n’y ait pas de pouvoir sans responsabilité élective. Sauf à se résoudre à l’avénement d’une technocratie juridictionnelle à la merci de l’exécutif.

L’exemple de l’élection des juges aux États-Unis et en Suisse

Le système de l’élection des juges n’est pas un vœu pieux. C’est un système réel et déjà pratiqué dans de grandes démocraties comme la Suisse ou les États-Unis. Ce système a même démontré ses vertus. En Suisse, on pratique l’élection tant pour les juges cantonaux que pour les juges fédéraux. Aux États-Unis, 39 États ont également recours à l’élection des juges. Ce mode de désignation des magistrats permet l’exercice d’une justice indépendante et en accord avec les préoccupations des citoyens qui les élisent.

Alors monsieur le garde des Sceaux, ne prenez pas le chemin du renoncement de votre prédécesseur Madame Christiane Taubira. De ceux qui ont décidé de juger les autres, nous sommes en droit d’exiger une légitimité équivalente à ceux qui ont décidé de faire la loi. Comme le disait Balzac, « le juge est l’homme le plus puissant du monde ». Il a donc besoin d’une légitimité originelle issue du suffrage populaire. Alors soyez audacieux ! La justice et la France en ont tant besoin.

(*) Aurane Reihanian est collaborateur parlementaire à l’Assemblée Nationale.

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  • Bonjour

    L’élection des juges n’est pas non plus la meilleur des solutions.
    L’élection entraine une politisation du candidat et une médiocrité des personnes élues.
    Une autre solution est de créer des cabinets de juges qui sont en concurrence et que les deux parties choisissent, ainsi les mauvais éléments (paresseux ou trop politisés) sont mis de coté par le marché.

    • Mouais il faudrait que les 2 parties soient d’accord… mais si elles sont en procès c’est justement qu’elles ne le sont pas.
      Vous allez donc tout droit vers l’arbitrage.

      • Dans les procès d’assise, il y a récusation des jurés par le ministère publique et la défense, avec une limite. De même, si on met une limite raisonnable au choix, la chose est possible. L’important c’est de pouvoir faire jouer la concurrence.

        • Il n’y a pas de concurrence possible pour un système judiciaire dans une zone géographique donnée. Dans le cas contraire, c’est la loi de celui qui a le plus de flingues et de bras pour les porter.

          Les juges doivent être élus mais sur un territoire donné leur autorité ne peut être remise en question. Notons qu’on devrait également élire les procureurs généraux et les chefs des services de police.

          • Bonjour Agua
            Je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas de concurrence possible?
            Imaginons des juges fonctionnaires, indépendants, mais avec la possibilité de le révoquer. L’appel est bien une révocation d’un jugement ex post, alors que là je propose une révocation ex ante.
            Les structures administratives peuvent être mise en concurrence, comme les assurances maladies des landers en Allemagne.

            • Imaginons la situation suivante.

              M. X et M. Y ont un différent. M. X est pour le Juge A. M. Y est pour le Juge B. Le Juge A est choisi le premier. M. Y refuse de traiter avec lui. Le Juge A refuse de se laisser faire et détermine que le M. X a raison. Le Juge B accepte l’avis de M. Y sur le Juge A et juge que M. Y a raison.
              Fort de leurs bons droits MM. X et Y viennent chez l’un l’autre pour faire appliquer le jugement ou se rejoignent en pleine rue. MM. X et Y étant des hommes éclairés (sans ironie aucune), ils viennent armés ainsi qu’accompagner de leurs familles et amis, eux-même armés. Fort de leurs titres exécutoires et conscients de que force doit rester à la loi, MM. X et Y utilisent la force pour obtenir leurs dus.
              Deux morts et cinq blessés graves plus tard, M. X, le plus armé des deux, obtient réparation de son différent sur M. Y.

              Comprenez-vous pourquoi deux systèmes légaux différents ne peuvent être mis en concurrence sur un territoire donné ?

              • Et pourquoi ne pas imaginer qu’à chaque procès soit proposé trois juges. Chaque partie les classant dans l’ordre de préférence : 1, 2 et 3.
                Celui qui est le mieux classé devient le juge de l’affaire. Ceci résous votre problème.

  • Selon, Christophe de Voogd la justice est non seulement un vrai pouvoir mais sans doute le plus redoutable car de lui dépend nos biens, notre liberté et, à l’époque de Montesquieu, notre vie même : c’est bien pourquoi elle est « si terrible parmi les hommes ». Elle doit donc faire l’objet d’une attention toute particulière. Retrouvez l’ensemble de cette analyse sur le blog « Trop libre » (http://urlz.fr/3nEh).

  • La légitimité du juge vient de sa compétence pas de sa capacité à gagner des élections.

  • « Comprenez-vous pourquoi deux systèmes légaux différents ne peuvent être mis en concurrence sur un territoire donné ? »

    Je n’ai jamais parler de deux systèmes légaux en concurrence.

  • Il me semble que les juges sont déjà élus en France pour les Prud’hommes. J’ai du mal à voir l’intérêt de généraliser la procédure à d’autres différents.

  • sur quels critères/informations, les électeurs votent ? Il faut un minimum d’éclairage pour s’exprimer, sinon, mieux vaut le tirage au sort .

  • Dans « the appeal » (titre français: « le contrat »), John Grisham décrit par le menu toutes les dérives liées au fait que les juges sont élus aux U.S.A. Propagande violente, clientélisme, financement occulte de campagne électorale, manipulations en tout genre de l’opinion pour discréditer un concurrent… Le système français a au moins le mérite d’éviter des scénarios aussi désastreux.

  • Il n’y a pas trente six solutions pour que le Pouvoir Judiciaire soit protégé et garanti:

    – être une monarchie

    Le Roi détient le pouvoir judiciaire (la « main de justice » dans les attributs du trône). Policiers et juges sont des « officiers de la Couronne » relevant du pouvoir royal et non du gouvernement national, provincial ou départemental.
    C’est le cas de la police et de la justice britannique et dans les pays considérant la Reine d’Angleterre comme leur Chef d’Etat.
    Ce n’est pas le drapeau ou les emblèmes nationaux que l’on voit dans les postes de police et les tribunaux mais les Armes Royales.
    Cela signifie que les policiers et les juges sont protégés par la Reine de toute pression sur leur travail qui est d’appliquer les lois votées par le Pouvoir Législatif
    Le ministre de l’intérieur n’a aucun pouvoir hiérarchique sur les chefs de police (55 polices britanniques autonomes) pas plus que le ministre de la Justice n’en a sur les juges. Ils ont leurs attributions qui est de veiller à la bonne administration et à l’efficacité de la police et de la justice royales

    – être une république et croire dans l’onction donnée par l’élection.

    Les chefs de police, les chefs des avocats publics et les juges principaux sont élus pour les territoires dans lesquels ils sont compétents. Ils doivent donc présenter leur programme aux électeurs de ces territoires en matière d’application de la loi (Law enforcement).
    L’élection des trois acteurs principaux du système judiciaire, le policier qui détecte le crime et qui accuse devant le juge, l’avocat public qui défend l’accusation de la police devant le tribunal et le juge qui décide de la sanction si les juges populaires du Jury ont déclaré l’accusé coupable a une fonction fondamentale:
    elle rend ces trois acteurs, le shérif, le public attorney et le judge égaux devant les autres élus locaux, territoriaux, d’Etat ou fédéraux.
    C’est le système américain.

  • L’élection des juges apporte souvant de sérieux problèmes aux USA comme une forte démagogie dans les décisions de justice ou des pressions fortes sur celle-ci.Ce n’est pas un modèle il suffit de regarder les entreprises ruinées par des proccès npour des motifs déraisonables.Sans compter que ce pays à la plus forte population carcérale dans le monde…Quelle solution trouver je n’ai pas d’idées a part peut-etre changer la formation des magistrats…

    • il y un très vieil adage, c’est celui qui dit « Vox populi, vox Dei ».
      Si le peuple d’un comté, district, Etat veut que les transgresseurs soient emprisonnés, c’est lui qui a raison et le pire pour les « belles âmes » tourmentées, c’est qu’il le dit à chaque fois qu’on lui pose la question, c’est à dire lors des élections de policiers, procureurs et juges

      Concernant les jugements qui nous semblent à nous européens déraisonnables quant au montant des indemnisations versées aux victimes, c’est ce que les américains, qui savent que le fric a de l’importance, veulent. Tant pis donc pour les entreprises qui ont cru pouvoir truander, pareil pour les entreprises étrangères qui se sont mises en marge de la loi, le Crazy Lyonnais en sait quelque chose.
      C’est aussi un pays où les entrepreneurs escrocs et les politiciens véreux vont réellement en prison.

      C’est cela la beauté de la démocratie comprise par le gouvernement du Peuple par le Peuple et pour le Peuple, selon notre formule constitutionnelle.
      Mais les anglais et les américains font beaucoup plus appel à la sagesse populaire que nous

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