En 2016, osons nommer la réalité

Penser en retard, c’est penser dans ses illusions et refuser de voir la réalité, dût-elle nous déplaire.

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Charlie Hebdo Place de la République le 7 janvier 2015 (Crédits : Guillaume Vigier, licence Creative Commons)

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En 2016, osons nommer la réalité

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 26 janvier 2016
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Par Jean-Baptiste Noé.

Charlie Hebdo Place de la République le 7 janvier 2015 (Crédits : Guillaume Vigier, licence Creative Commons)
Charlie Hebdo Place de la République le 7 janvier 2015 (Crédits : Guillaume Vigier, licence Creative Commons)

Les événements connus par la France en 2015 ont permis au pays et à sa population de se confronter à la réalité, mais pas encore de la nommer. Or, pour résoudre un problème et pour surmonter une épreuve, il est indispensable d’identifier clairement ce que l’on perçoit, et d’oser voir ce que l’on voit. Mais que ce soit les attentats ou les soubresauts politiques, il est encore difficile, pour l’instant, de nommer les choses. Tentons donc ici de mettre des noms sur quelques réalités.

Non, nous ne sommes pas en guerre contre le terrorisme

Il y a une constante du discours politique : c’est que la réalité est l’inverse des anaphores répétées. Quand, durant l’épreuve algérienne, les gouvernements se refusaient à parler de guerre pour parler seulement des événements, c’est que nous étions bien en guerre. A contrario, le fait que le Président de la République ait, dès après les attentats, parlé de guerre contre le terrorisme, est suspect. S’il faut sans cesse répéter que nous sommes en guerre contre le terrorisme, c’est que nous ne le sommes pas. Le terrorisme est une arme. Un pays n’est pas en guerre contre une arme, mais contre ceux qui se servent de cette arme contre lui. Pendant la guerre de Cent Ans, les rois de France n’étaient pas en guerre contre les arcs, ni même contre les archers, mais contre le roi d’Angleterre. Aujourd’hui, nous ne sommes en guerre ni contre le terrorisme, ni contre les terroristes, mais contre ceux qui les utilisent contre nous.

Du reste, nous ne sommes pas en guerre

L’appel à la guerre était peut-être joli, mais il était faux. Nous ne sommes pas en guerre, ni après les attaques contre Charlie Hebdo, ni après les attentats de novembre. Dans le concert des nations, la guerre est codifiée et structurée. Elle suppose déclaration, mobilisation de la population, objectifs définis. Rien de tout cela ici. Il est vrai que nous avons pris pour habitude d’utiliser la force en d’autres occasions qu’en état de guerre : pour bombarder la Libye de Kadhafi par exemple, pour intervenir au Mali, ou bien pour pilonner des positions de Daesh. Mais si l’armée est mobilisée, tout cela ne fait pas une guerre. En novembre, nous n’avons pas connu des actes de guerre, même si des armes de guerre ont été utilisées.
Nous sommes en conflictualité, et nous subissons des violences exercées par des groupes que nous n’avons pas encore définis.

Les terroristes ne sont ni innocents, ni incultes

On s’est rassuré à bon frais en novembre en répétant que les terroristes avaient commis des actes barbares, et qu’ils étaient lâches. On se rassure aussi en se disant que ces attaques sont le fruit de l’inculture, et qu’il suffira d’un peu plus de morale laïque à l’école et d’inculturation aux valeurs républicaines pour échapper à de nouvelles tueries. Là encore, nous accumulons les erreurs de vue.
Ceux qui ont commis les attaques ne sont pas simplement des rejetons rebelles de notre société, dont l’éducation aurait échoué. Ils ont manifesté la volonté de quitter leur milieu et de partir s’entraîner en Syrie. Ils ont pris la décision de revenir en France, d’y préparer des attaques, de s’armer, et de passer à l’action. Ils ont mis en œuvre leurs desseins et ils se sont armés pour abattre des spectateurs et des personnes aux terrasses des cafés. Même s’ils ont commis cela en étant drogués, il faut du sang froid, de l’abnégation et de la volonté pour mener à bien toutes ces opérations qui nécessitent plusieurs mois de préparation. Nous avons tort de sous-estimer l’adversaire. Cela nous rassure, mais cela ne nous assure pas la victoire.

De même, l’inculture n’est pas à l’origine de ces attaques. Il n’y a qu’à lire le communiqué de Daesh revendiquant les attaques du 13 novembre pour se rendre compte que ceux qui l’ont écrit sont instruits. Il est écrit dans un français parfait, que ne maîtrisent pas la plupart des enfants issus de l’immigration nord-africaine. Il fait des références très précises à l’histoire et à la civilisation française. Enfin, jusqu’à présent, les terroristes ayant agi en Europe avaient fait des études et étaient bien diplômés. On pense souvent que l’adhésion à l’islamisme ne peut être que le fait de demeurés et de faibles d’esprit. C’est exactement l’inverse. L’islamisme de Daech est pensé et conceptualisé. Ceux qui y adhèrent, dans les pays musulmans comme en Europe, sont des personnes appartenant à des groupes sociaux éduqués. Ce ne sont pas des incultes. Croire cela, se persuader de cela, c’est brouiller la réalité de ce qu’est l’adversaire, et donc courir le risque d’être vaincu.

Nécessité de penser en avance

« Nos soldats ont été vaincus, ils se sont, en quelque mesure, beaucoup trop facilement laissé vaincre, avant tout parce que nous pensions en retard » nous dit Marc Bloch dans son Étrange défaite. Penser en retard, c’est penser dans ses illusions et refuser de voir la réalité, dût-elle nous déplaire. Gagne le conflit celui qui est avance sur son adversaire, avec la maîtrise de la technique et avec la maîtrise du discours. Pour l’instant, nous pensons encore en retard. Pour penser en avance de l’adversaire que nous combattons, il va falloir accepter de voir ce que nous sommes : accepter de reconnaître notre identité et notre être. C’est donc un combat ontologique que nous menons sur nous-mêmes. Il nécessite de la lucidité, et de mettre au placard les gesticulations farfelues. C’est ce que nous pouvons souhaiter de mieux pour 2016.

Sur le web

Lire sur Contrepoints notre dossier spécial terrorisme

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  • « Nous sommes en conflictualité, et nous subissons des violences exercées par des groupes que nous n’avons pas encore définis. »

    Nous avons bien saisi les précautions sémantiques – et juridiques sousjacentes – de l’auteur. Qui a rappelé que la guerre traditionnelle est différente.

    Toutefois, il faudra bien désigner « nos adversaires ». Est-ce une guerre asymétrique contre des « bandes armées de musulmans » qui se fondent dans les populations mondiales?

    Nommer précisément son adversaire est le début du combat. Tomber dans des querelles franchouillardes métaphysiques comme on les aime dans ce pays est stérile.

  • L’auteur a tort dans son second paragraphe, il a une très mauvaise perception de la guerre ou état de belligérance.
    – Pour lui c’est un état ne pouvant exister que entre État ce qui est faux, par exemple nos guerres de décolonisation d’Indochine et d’Algérie qui nous ont vu nous battre contre des mouvements de libération.
    – Pour lui la guerre doit être déclarée ce qui est un vieil usage qui a disparu car il fait perdre l’avantage de la surprise. Si lors de la guerre froide les russes avaient déferlé ils ne nous auraient pas faxé la déclaration avant…
    – Quant à la mobilisation de la population; il faut se souvenir que nous sommes depuis 1996 doté d’une armée de métier qui est le modèle idoine pour les opérations de guerres extérieures. La mobilisation c’est quand le sol national est en danger; heureusement nos voisins proches sont assez calmes 🙂
    La mobilisation ce peut être aussi l’industrie de guerre comme durant la seconde guerre mondiale où toute la nation est bandée dans un unique effort industriel, l’économie de guerre.

    En fait l’auteur est resté dans une conception de la guerre qui date de la guerre 14-18. La guerre c’est une dialectique, la guerre du moyen âge n’est pas la guerre napoléonienne qui n’est pas la guerre industrielle; et aujourd’hui la guerre prend encore d’autres visage. La guerre c’est tout sauf codifiée ad vitam.

    Donc en fait l’auteur dans un article affirmant que l’on dont regarder les choses en face et les nommer courageusement donne une définition étroite et minimaliste de la guerre pour affirmer que nous ne sommes pas en guerre.

    Comme quoi ce n’est pas si facile de « voir et dire les choses comme elles sont », ceux qui affirment le faire sont bien souvent ceux qui le font le moins.

    • Excellent commentaire! Clair et argumenté. Merci.

      En fait, je crois que la 3ième guerre mondiale est déjà en cours depuis quelques années si on accepte de la qualifier d’économique et financière: il y a une sorte d’évidente course à la suprématie sur l’adversaire, sur ce plan, les « services secrets » étant chargés, par exemple non exhaustif, de l’espionnage industriel en utilisant des « armes » informatiques (avec, clairement, des possibilités de paralysie ciblée.

      La diplomatie se bat à coup de « blocus » économique décidé par des « alliances de pays ». Il en va de même du TTIP, traité qui devrait ouvrir une « saine concurrence », non critiquable d’un point de vue libéral mais dont les textes sont déjà truffés d’anomalies de « détail » inacceptables, particulièrement dans le règlement des litiges! Voir:

      http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/10/22/traite-transatlantique-un-systeme-d-arbitrage-toujours-aussi-anti-democratique_4795136_3232.html

      Difficile de douter que le « jeu » des « banques centrales » fasse partie de la bagarre.

      Et les conflits vraiment armés dans cette bande entre « Europe » et Asie avec ce « Proche Orient », entre Ukraine, au nord et Yémen, au sud avec en plus, Djibouti et la Somalie, sans compter l’Afrique du nord, et particulièrement la Libye: partout, on retrouve le bras plus ou moins armé de « l’Occident »! Et les objectifs économiques sont mal cachés par des prétextes « vertueux » qui ne doivent plus tromper grand monde!

      Faire semblant qu’il n’y a aucun lien entre les « événements » terroristes « barbares » de Paris et la revendication proclamée haut et fort des bombardements par des Rafales en Syrie, c’est évidemment une illusion (cela ne justifie pas les attentats, évidemment, seulement le fait qu’ils n’ont pas eu lieu à Paris, par hasard! Il y en a beaucoup ailleurs aussi!).

      Je n’ai évidemment aucun titre pour donner des leçons. Ce ne sont que les observations d’un quidam parmi d’autres qui ne veut, en aucun cas, arbitrer mais, plus simplement, tendre un miroir et regarder les choses froidement, avec recul!.

  • un peu comme avec la ligne Maginot en fait… l’histoire se répète. un gaspillage monstrueux de ressources à la pointe du progrès mais totalement à coté de la plaque et au final inutile.
    La dernière fois ça s’est terminé avec Vichy et l’occupation.
    Aujourd’hui on n’a même plus besoin d’un envahisseur.
    La question n’est donc pas si on finira avec un régime type Vichy? MAIS Depuis combien de temps sommes nous déjà sous Vichy????

  • C’est bien joli tout ça mais après, concrètement, on fait quoi?

    • Faute d’avoir le courage politique d’envoyer des troupes – il n’y a que des conseillers – sur place, on laissera les Russes, le régime syrien (Realpolitik), les milices chiites irano-irakiennes et les Kurdes dans une moindre mesure procéder à l’anéantissement de ces islamistes, soutenus par les sunnites turcs et arabes de la région.

    • Vous pensez sérieusement que nous avons toutes les informations pour en décider?

      • Il y a quantité d’informations et de stratégies élaborer par des « experts » sur tel ou tel pays, les cultures, l’histoire, la criminalité, le terrorisme…Au bout d’un moment faudra bien agir/ou pas.
        Perso, je ne suis pas contre que la France soit enfin neutre politiquement, rapplique les militaires pour protéger nos frontières et laisse la population s’armer et se défendre toute seule.
        Après s’il y a meilleure solution (même complexe), je suis pas contre. Mais il me semble que la Suisse n’a pas autant d’emmerde que nous…

  • Tout l’article est , je pense , tout à fait exact !

    • Il est évidemment trop court pour tout dire, mais le message est clair et, j’en suis d’accord, il nous interroge différemment que le mainstream, et plus lucidement.

  • Les têtes pensantes et les « communicants » sont clairement instruits. Mais les masses fanatisées ne le sont clairement pas…

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