Travail du dimanche : le débat en 1850 !

Le débat sur le travail et le repos dominical n’est pas nouveau.

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Van Gogh La Sieste-Wally Gobetz(CC BY-NC-ND 2.0)

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Travail du dimanche : le débat en 1850 !

Publié le 25 janvier 2016
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Par Benoît Malbranque

Van Gogh La Sieste-Wally Gobetz(CC BY-NC-ND 2.0)
Van Gogh La Sieste-Wally Gobetz(CC BY-NC-ND 2.0)

 

Institution centrale dans le débat des idées économiques au XIXe siècle, la Société d’économie politique comptait comme membres toute la fine fleur de l’école libérale française, dont elle permettait le renouvellement et à qui elle offrait des opportunités de discussions engagées. Dans la séance du 10 décembre 1850, la question du travail le dimanche fut portée à l’ordre du jour. Horace Say y fait valoir que, si la pratique d’un repos d’un jour par semaine est recommandable aux points de vue de la morale, de l’hygiène et même de la production, l’intervention de l’État pour interdire tout travail le dimanche serait une violation de la liberté religieuse, de la liberté de travailler, et n’aboutirait finalement à aucun résultat désirable. Louis Leclerc et Joseph Garnier parlent dans le même sens. Cette position libérale est toutefois critiquée par le député Morin et le membre de la Chambre de commerce de Paris, M. Rodet, qui font valoir l’importance d’imposer un progrès dont ils souffriraient d’attendre trop longtemps la réalisation.

 


Du travail dominical

Séance du 10 décembre 1850.

Dans cette séance, présidée par M. Ch. Dunoyer, membre de l’Institut, la Société d’économie politique s’est occupée de la question de la défense du travail du dimanche, soulevée par le rapport de M. de Montalembert, lequel a produit un certain émoi dans le pays. Inutile de dire que c’est surtout au point de vue économique que ce sujet a fait l’objet de la conversation de la réunion.

Rodet, membre de la Chambre de commerce de Paris, est partisan déterminé du repos du dimanche. Il trouve essentiellement morales et philanthropiques toutes les mesures capables de procurer un jour de repos et d’indépendance aux ouvriers et à la classe si nombreuse des employés du commerce et de l’industrie. M. Rodet ne reculerait pas devant des mesures prohibitives, la défense de l’étalage, par exemple, et même devant une certaine pénalité pour faire exécuter ces mesures. Selon lui, l’État doit venir au secours des classes de la population qu’un trop long travail accable afin qu’elles puissent s’améliorer.

Horace Say, membre du conseil d’État, trouve aussi que le repos d’un jour par semaine est essentiellement désirable, tant pour la satisfaction des besoins religieux que pour l’entretien des forces du corps et de celles de l’esprit ; mais il pense également que l’on n’obtiendra ce résultat que par le progrès des mœurs. Il ne croit pas qu’il soit possible de forcer au repos, et surtout de fixer un jour dans la semaine de préférence à tous les autres.

En France, outre que tous les cultes sont permis, il s’est établi dans l’industrie des usages qui ont complètement déplacé les anciennes habitudes. Ainsi, certains ouvriers travaillent la journée du dimanche pour achever les commandes qui leur sont faites, et ne peuvent se reposer que le lundi ou un autre jour de la semaine. Que l’État ne fasse pas travailler le dimanche, rien de mieux, mais qu’il n’aille pas plus loin, et qu’il laisse agir la religion, le bon sens et les conseils de l’hygiène. En dernière analyse, le travail moralise, et il y a longtemps qu’on a dit : « Qui travaille prie. »

Say déclare que le dimanche est pour lui le jour où il travaille réellement le plus, parce qu’il est le seul jour où il puisse avoir toute sa liberté. Il ajoute qu’il ne croit pas mal faire en agissant ainsi.

Louis Leclerc voudrait le repos du dimanche surtout au point de vue religieux, qu’il trouve d’accord avec les conseils de la morale, de l’hygiène et de l’économie politique. Mais lui aussi pense que c’est là une affaire de conscience et d’intelligence, dans laquelle l’État n’a pas qualité pour intervenir. Tout ce que l’État peut faire et doit faire, selon lui, c’est d’interdire que les travaux du gouvernement se fassent le dimanche.

Ternaux-Compans, ancien député, assistant pour la première fois à la réunion, s’attache à montrer les difficultés d’application d’une loi prohibitive du travail pendant le dimanche. Si le gros des affaires est suspendu à Paris le dimanche, c’est surtout ce jour-là qu’elles se nouent, se poursuivent et se concluent dans les quatre-vingt-six départements. Allez-vous en dans la haute Normandie, par exemple ; vous n’y trouvez pas de villages proprement dits, mais quelques boutiques groupées autour de l’église, avec l’habitation du curé, celle du notaire, de deux ou trois autres fonctionnaires. Tous les dimanches, les cultivateurs arrivent des environs, assistent d’abord à la messe, et ne sont pas plutôt sortis de l’office qu’ils se mettent à commencer leurs achats, à poursuivre leurs affaires, soit avec l’officier ministériel, soit avec leurs autres relations. Si on prohibait le travail du dimanche, il est très douteux que la religion et la morale s’en trouvassent mieux. Quant aux affaires, elles seraient très positivement entravées.

Dans les Pyrénées, que M. Ternaux-Compans connaît aussi particulièrement, c’est encore le dimanche que se font toutes les transactions, entre habitants accourus de 8, 10, 12 lieues et même 30 lieues à la ronde.

À Paris même, l’employé n’a que le dimanche pour faire ses emplettes et ses autres affaires ; si les magasins étaient complètement fermés ce jour-là, il serait fort gêné dans ses mouvements, et les marchands, d’autre part, seraient, en partie, privés de ce débouché.

Ternaux-Compans signale encore, avec beaucoup de verve et d’esprit, d’autres inconvénients de la prohibition à laquelle tend le rapport de M. de Montalembert, et notamment la difficulté d’arrêter les distractions et les plaisirs du dimanche, lesquels engendrent l’occupation et l’industrie d’une population nombreuse, le plaisir de l’un étant naturellement et nécessairement le travail et le profit de l’autre.

Joseph Garnier rappelle les conclusions de la commission dont M. de Montalembert a été le rapporteur, et montre qu’il n’y est pas question d’interdire le travail du dimanche, mais simplement de faire décider par la loi que le travail de l’État serait suspendu ce jour-là, et aussi que, dans les communes de 3 000 âmes et au-dessous, l’autorité municipale pourrait faire fermer les cabarets et autres lieux publics pendant la durée des offices. L’utilité du dimanche, au point de vue économique, ne fait pas plus de difficulté qu’au point de vue hygiénique, moral et religieux ; l’intervention de l’État lui semble suffisamment combattue ; enfin, la convenance pour l’État à ne pas laisser exécuter les travaux qui le concernent le dimanche, n’est pas contestée. Le point délicat gît donc uniquement dans le renouvellement de l’autorisation à donner aux maires de faire fermer, par mesure d’ordre, certains établissements pendant l’office.

Morin, représentant du peuple, n’accepte pas la question ainsi circonscrite ; il ne croit pas que les mœurs soient suffisantes pour généraliser un jour la pratique du dimanche, car il suffira toujours d’un seul marchand, par exemple, qui ne voudra pas fermer sa boutique, pour obliger les autres à laisser leurs magasins ouverts. Selon M. Morin, la loi doit intervenir pour fixer une règle commune et obligatoire.

L’honorable représentant ne pense pas qu’une pareille loi nuise à la production ; car il est démontré que des ouvriers, dans de bonnes conditions hygiéniques, produisent plus vite et davantage que ceux qui sont exténués de fatigue. Aucune objection ne peut être tirée non plus du commerce étranger et de la concurrence qu’il pourrait faire à la France, car en Angleterre, aux États-Unis, en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Suisse, le dimanche est fidèlement observé.

Sainte-Beuve, membre de l’Assemblée législative, pense qu’il ne faut pas voir la question soulevée par M. de Montalembert, dans le projet de loi de la Commission qui est bien restreint, comme l’a dit M. Joseph Garnier, mais bien dans l’esprit du rapport qui est un véritable manifeste, dont la tendance va beaucoup plus loin, et jusqu’à la prohibition absolue de tout travail, de toute occupation le dimanche.

Bien que ce rapport semble manquer de cette hardiesse qui est habituelle à son auteur, il sous-entend, en principe, la religion d’État, c’est-à-dire la suppression de la liberté des cultes ; il conduit logiquement à des dispositions tout à fait analogues à celles de la loi de 1814. Mais c’est en vain que M. de Montalembert aura fait son manifeste, assez mal accueilli d’ailleurs par l’Assemblée ; la liberté de penser et la liberté des cultes n’ont rien à craindre. La loi de 1814 n’est pas abrogée, puisque la Cour de cassation en a plus d’une fois rappelé l’existence, mais elle est tombée en désuétude. Or, cette loi donne précisément aux municipalités le droit de faire fermer les établissements publics pendant les offices. Comment une nouvelle loi, plus timide, pourrait-elle produire ce qu’on n’a pas obtenu avec une loi plus énergique ?

L’honorable membre ne croit pas à l’avenir de la proposition de M. Olivier, soutenue par M. de Montalembert ; il espère bien que la liberté du travail sera à l’abri de toute atteinte, comme la liberté de conscience.

Après M. Sainte-Beuve, la question a paru épuisée, et la séance a été levée. Le sentiment bien prononcé de la grande majorité des membres présents a été que si le repos d’un jour par semaine est essentiellement désirable dans l’intérêt des travailleurs et de la production, et que si l’économie politique, s’inspirant de l’hygiène, est en parfait accord avec la morale et la loi religieuse, c’est du progrès des lumières et des efforts de la religion et de l’action des mœurs qu’il faut attendre la pratique de ce repos. Quant à la loi, si elle intervenait de nouveau, elle produirait, comme celle de 1814, des effets diamétralement opposés à ceux qu’on veut obtenir.

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