Sécurité sociale : le passé résistant fantasmé

Associer la Sécurité sociale à l’héritage de la résistance est un mythe.

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Sécurité sociale : le passé résistant fantasmé

Publié le 28 décembre 2015
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Par Éric Verhaeghe.

vichy et socialisme rené le honzecC’est un lieu commun d’affirmer que le Conseil National de la Résistance a sorti la France de l’obscurantisme social en inventant la Sécurité sociale, et c’est peut-être le lieu commun le plus répandu aujourd’hui sur l’œuvre du Conseil. Dans l’historiographie courante, cette idée est assénée sans relâche au point qu’elle s’impose comme une évidence indiscutable, volontiers nourrie par un acteur du système comme Pierre Laroque fortement médiatisé et sollicité après 1945 sur cette question.

Cette assertion a permis de construire un storytelling (comme on dit aujourd’hui) empli de sous-entendus extrêmement pratiques et très bien rentabilisés par les idéologues de la Sécurité sociale. J’en veux pour exemple l’interview de Jean-Luc Mélenchon dans le film de Gilles Perret Les Jours Heureux où le spectateur assiste à un véritable feu d’artifice d’images complètement fabriquées sur la Libération.

Pour Mélenchon, les conquêtes du Conseil National de la Résistance sont d’essence révolutionnaire, réalisées « les armes à la main » face aux privilégiés, aux possédants, aux intérêts particuliers.

Lorsque le Conseil National de la Résistance impose la Sécurité sociale, il arrache donc aux suppôts de Vichy des gains obtenus par une Révolution menée dans la clandestinité au péril de nombreuses vies. L’exercice est habile : il permet de graver dans le marbre des risques (tout à fait réels) pris par les résistants les décisions politiques plus ou moins imposées en 1945 sur la base d’un programme que très peu de Français (et de résistants) avaient effectivement lu. Mais dans la geste qui est ainsi fabriquée, il devient évident et indiscutable que les jeunes Français qui recoururent aux armes pour libérer le territoire national ne combattaient pas (ou pas seulement) l’occupant allemand, mais plutôt défendaient l’idéal social qui fut défini par quelques idéologues et quelques technocrates chargés de préparer l’après-guerre et qu’une importante fraction des forces politiques d’aujourd’hui veut immortaliser.

On voit bien comment cette narration construite après coup permet de sanctuariser la Sécurité sociale. D’abord, personne ne peut admettre que de jeunes Français aient donné en vain leur sang pour une aussi grande conquête que la Sécurité sociale. Comment, dès lors, pourrait-on remettre en cause les fondements de la protection sociale telle qu’elle fut conçue en 1945, sauf à vouloir que ces jeunes gens partis dans le maquis et tombés au champ d’honneur soient morts pour rien ?

Ensuite, l’invocation de la résistance « les armes à la main » permet d’inférer quelques beaux sophismes qui écartent tout débat possible. C’est ce qu’on appelle couramment un point Godwin : le débat sur la Sécurité sociale et ses bienfaits ou ses inconvénients est d’emblée préempté par un soupçon qui s’impose naturellement à tous. D’un côté, ceux qui la défendent sont forcément du côté des résistants. De l’autre, ceux qui la combattent ou souhaitent en réexaminer les fondements sont des collaborateurs en puissance, des admirateurs cachés d’Adolf Hitler. Même si l’assertion n’est pas clairement amenée ou prononcée, elle rôde : s’interroger sur la Sécurité sociale, c’est un premier pas vers l’apologie d’Auschwitz, vers l’antisémitisme ou vers l’éloge de la race supérieure, voire pire, une main qui saisit un stylo pour rédiger en français une lettre de dénonciation anonyme qu’on enverra à la Kommandantur.

Ce soupçon fondateur a permis d’évacuer, en France, depuis soixante-dix ans, tout débat sérieux sur le sujet, ou alors a permis de décrédibiliser tous ceux qui ont voulu le tenir avant même qu’ils n’aient ouvert la bouche. L’efficacité du point Godwin se dément rarement lorsqu’elle est préparée avec autant de soin.

Je reprendrai ici les propos tenus par Pierre Laroque (sur le passage en cabinet ministériel sous Vichy de qui nous reviendrons), rédacteur de l’ordonnance de 1945 sur la Sécurité sociale, dans une allocution prononcée en 1985 pour commémorer le quarantième anniversaire de l’événement, et qui me paraissent bien illustrer la façon biaisée dont le débat a été étouffé :

« Le hasard a fait que, alors que je rentrais à Paris à la fin du mois d’août 1944 sous l’uniforme des Forces Françaises Libres, le ministre du Travail […] qui se trouvait être un de mes collègues et amis du Conseil d’État, m’a demandé de prendre la charge de la Direction Générale des Assurances Sociales. Je lui ai répondu que j’étais engagé pour la durée de la guerre, par conséquent je n’étais pas disponible pour le moment, à moins que l’armée accepte de me démobiliser. Mais qu’en tout cas, si je m’intéressais depuis fort longtemps au problème d’assurances sociales, je n’entendais pas assumer la gestion courante de l’Institution. Je ne pouvais accepter que s’il s’agissait d’élaborer un plan de Sécurité sociale pour la France. Le ministre m’a dit que c’était bien ainsi qu’il concevait la chose. » 

Si ces propos ont le mérite de montrer clairement que l’invention de la Sécurité sociale fut d’abord le fait d’une collusion entre nobles d’État qui se connaissaient avant la guerre et avaient peu de choses à voir avec le maquisard tombé au champ d’honneur, ils permettent de clore le débat sur le bien-fondé de la Sécurité sociale. Une rencontre au hasard des rues entre un soldat conseiller d’État et un ministre conseiller d’État décide du destin de la France au moment de la libération de Paris. Pour la France de 2015, cet héritage-là est difficile à discuter sauf à passer pour un partisan de Vichy.

On notera toutefois avec intérêt que les contemporains de Laroque et Parodi avaient un point de vue très différent sur la question.

L’opacité dans laquelle la Sécurité sociale est née souleva de nombreuses critiques, contre lesquelles le successeur d’Alexandre Parodi au ministère du Travail, Ambroise Croizat, ancien secrétaire de la fédération de la métallurgie de la CGT, s’éleva en 1946 :

« Ce qui est en cause, dans l’ensemble des textes qui sont intervenus pour définir le plan français de Sécurité sociale, c’est une ordonnance du 4 octobre 1945, prise par le gouvernement du général de Gaulle et qui porte la signature de ministres appartenant à tous les partis et dont certains appartiennent au gouvernement actuel. Cette ordonnance a fait l’objet d’un ample débat au cours de deux séances entières de l’Assemblée consultative provisoire, au mois de juillet 1945. Il faut donc, tout de suite, faire justice de cette allégation, trop souvent exprimée, d’après laquelle l’organisation de la Sécurité sociale aurait été le fruit d’une réforme hâtive, conçue par l’administration dans le silence du cabinet et sur laquelle l’opinion n’aurait pu se prononcer. »

L’ironie de l’histoire veut que cette réforme « conçue par l’administration dans le silence du cabinet » soit aujourd’hui farouchement défendue par ceux qui, encore et toujours, se félicitent plus ou moins secrètement d’un gouvernement technocratique omnipotent en France.

C’est à se demander si la Sécurité sociale de 1945 n’a pas marqué le début d’une logique politique où les réformes de structure étaient le fait d’une caste de fonctionnaires aspirant au contrôle de la Nation.

 

La Sécurité sociale avant Vichy ou le modèle girondin

Toutefois, quand on gratte la vérité officielle, on s’aperçoit rapidement qu’il existe un fossé colossal entre les images d’Épinal qui s’échangent sur l’invention de la Sécurité sociale et la réalité de la question sociale en France en 1945.

Il faut d’ailleurs reconnaître à Pierre Laroque le mérite d’avoir abondamment rappelé que la Sécurité sociale ne fut pas inventée ex nihilo, et qu’une bonne partie des problèmes pour lesquels elle fait l’objet d’un tir de barrage aujourd’hui avait été réglée dès les années 1930.

On relira ici avec intérêt sa contribution à la Revue Française des Affaires Sociales (juillet-septembre 1985), où il écrit notamment :

« Certes, depuis longtemps, divers aspects du problème avaient été abordés et plus ou moins complètement résolus, par la prévoyance libre à travers les caisses d’épargne et surtout la mutualité, par le jeu de la responsabilité patronale en matière d’accident du travail et de maladie professionnelle, enfin et surtout par les multiples régimes d’assurances sociales qui avaient été institués pour certaines catégories de salariés, d’abord, pour l’ensemble des travailleurs salariés aux revenus modestes depuis 1930. »

Cette réalité est généralement passée sous silence ou minimisée par l’historiographie officielle en matière de Sécurité sociale.

Pourtant, au terme d’un débat long et compliqué qui agita les forces politiques de l’époque, il est un fait que la France s’était dotée, par la loi du 30 avril 1930 (qui modifiait une première loi de 1928), d’un régime d’assurances maladie et vieillesse obligatoires pour tous les salariés dont la rémunération annuelle ne dépassait pas 15 000 francs. Pour les autres salariés, ceux qui percevaient une rémunération supérieure au plafond de 15 000 francs, chaque profession était libre de s’organiser pour mettre en place une prévoyance collective, sachant que des mécanismes d’épargne individuelle permettaient d’assurer à chacun son propre risque.

L’article 3 de la loi de 1930 prévoit :

« L’affiliation s’effectue obligatoirement et sous les sanctions prévues à l’article 64, à la diligence de l’employeur, dans le délai de la huitaine qui suit l’embauchage de tout salarié non encore immatriculé et rentrant dans les conditions du présent article. Elle est opérée dans le département du lieu de l’établissement dont dépend le salarié par les soins du service départemental ou exceptionnellement interdépartemental des assurances sociales qui immatricule l’assuré et lui délivre une carte individuelle d’assurances sociales. »

La France de 1930 avait posé les bases d’un modèle qui ressemble déjà curieusement à celui de 1945, avec une affiliation déclenchée par le recrutement dont l’employeur porte la responsabilité sous peine de sanction. Cette affiliation est effectuée auprès de la caisse territorialement compétente. On retrouve déjà posé le principe d’une organisation géographique et non professionnelle de la Sécurité sociale, qui sera au cœur de l’ordonnance de 1945.

Concernant le régime obligatoire, l’article 5 de la loi précise en outre :

« Les ressources des assurances sociales sont constituées, en dehors des contributions de l’État, par des versements pour moitié à la charge de l’assuré et retenus lors de sa paye au moins une fois par mois, et pour moitié à la charge de l’employeur. »

Les grandes caractéristiques de notre régime général actuel figurent donc déjà dans la loi de 1930 : financement par l’État (sous forme de contributions), par les salariés et par l’employeur. Cette logique dérivée du système bismarckien conserve son originalité « française » : elle ne concerne que les populations les plus défavorisées et fait donc œuvre de solidarité. Elle est une garantie minimum. Il ne faudrait toutefois pas imaginer que l’intervention de ce régime obligatoire soit marginale. Selon une étude de 1944, les ressources qui lui sont consacrées représentent 30 % de la masse salariale versée aux bénéficiaires.

Les autres populations sont libres de souscrire aux contrats qui leur conviennent le mieux, qu’il s’agisse d’un contrat collectif, c’est-à-dire souscrit pour l’ensemble d’une entreprise ou d’une branche professionnelle, ou d’un contrat individuel.

Dès cette époque, plusieurs professions organisent des systèmes de protection sociale qui leur sont propres : les mineurs, par exemple, qui sont environ 200 000 en 1930, mais aussi les cheminots, les fonctionnaires, les gaziers et les électriciens… toutes ces populations se battront ultérieurement pour conserver leur régime spécifique hors de la Sécurité sociale prétendument universelle inventée en 1945.

Dans le tableau qui peut être dressé de la protection sociale en 1944, il est en tout cas faux de prétendre que le Conseil National de la Résistance invente un modèle destiné à protéger les plus pauvres contre les intérêts des privilégiés. Cette légende forgée à gauche et véhiculée avec un lyrisme larmoyant par des Mélenchon et autres idéologues ne colle pas à la réalité. La question du prolétariat est réglée en France dès 1930, et s’il reste des « trous dans la raquette » pour les plus pauvres, la Sécurité sociale de 1945 ne parviendra guère à faire mieux que le législateur de 1930.

Les esprits malicieux noteront d’ailleurs que l’instigateur du système inventé en 1928 et peaufiné en 1930 fut le ministre du Travail du gouvernement Tardieu : Pierre Laval. C’est Laval qui pilote la mise en place d’un régime obligatoire dont il retrouvera les problématiques quelques années plus tard lorsqu’il deviendra la cheville ouvrière de la collaboration à Vichy. Dans le système de Laval, ce sont les classes moyennes qui sont plutôt les « oubliées », et c’est aux classes moyennes que le Conseil National de la Résistance s’adressera en priorité en créant une Sécurité sociale obligatoire pour tous les salariés.

 

La question de la retraite par capitalisation

Un aspect méconnu de la protection sociale avant 1940 concerne les techniques de gestion de la retraite. Le régime qui se met en place en 1930 fonctionne sur les principes exposés dans les articles 13 et 14 de la loi :

« L’assurance-vieillesse garantit une pension de retraite au salarié qui a atteint l’âge de soixante ans. »

« Les versements sont capitalisés à un compte individuel d’assurance à capital aliéné ou réservé au gré de l’assuré ».

L’objet de cette étude ne porte pas sur les détails actuariels du régime de l’époque, dont il est intéressant de noter la clarté avec laquelle la loi définit les règles du jeu. Le souci de simplicité du législateur en 1930 tranche curieusement avec la complexité du législateur contemporain, même lorsqu’il s’agit de la Sécurité sociale, pour le fonctionnement de laquelle il fallait pourtant « éduquer » le bénéficiaire.

Il nous était toutefois impossible de ne pas relever succinctement la question de l’âge de la retraite.

Le système de 1930 ouvre des droits à 60 ans et apparaît curieusement comme beaucoup plus favorable que le système… de 1945. Même si les rédacteurs des ordonnances de 1945 évitèrent soigneusement de s’attaquer frontalement à l’âge de la retraite, ils mirent toutefois en place un système complexe de bonification pour chaque année travaillée entre 60 et 65 ans, de telle sorte que l’incitation à rester au travail jusqu’à 65 ans fut très forte.

Nous reviendrons un peu plus loin sur ce flou artistique concernant la question cruciale de l’âge de la retraite. En tout cas, ce point rarement relevé et subtilement passé sous silence par Pierre Laroque dans ses écrits postérieurs à 1945 souligne bien la fragilité du dogme de l’optimum social acquis grâce à l’ordonnance de 1945 et à ses textes d’application. Sur la seule question des retraites, il est pourtant évident que le système bâti en 1945 ne fut pas plus favorable techniquement que le système inventé en 1930.

Cela ne signifie pas que le système de 1928-1930, hors circonstances exceptionnelles d’une guerre et d’une occupation ruineuses pour l’économie, eût pu survivre longtemps. Mais il constitue un coin majeur dans la doctrine selon laquelle la Sécurité sociale a amélioré la condition des bénéficiaires. En réalité, là aussi nous y reviendrons, le système concocté par les conseillers d’État Parodi et Laroque était à de nombreux égards moins favorable que les régimes existants, et c’est pour cette raison qu’en 1945 les régimes spéciaux seront confirmés : ceux qui étaient déjà couverts par un système de protection sociale ne voulaient pas dégrader leurs avantages acquis avant 1945.

L’un des autres intérêts du système de 1930 (initié, pour être précis, par la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, la fameuse loi ROP) porte sur la liberté de l’assuré face à sa retraite. L’affiliation et la cotisation sont obligatoires, celle-ci est précomptée par l’employeur, mais le compte de capitalisation est individuel et la gestion est réservée « au gré de l’assuré ». Le salarié disposait donc d’une grande liberté dans l’organisation de sa retraite, et il en contrôlait le déroulement.

Cette formule avait l’avantage de le responsabiliser, dans la mesure où il utilisait durant sa retraite le capital épargné sur son compte individuel. Il est amusant de noter qu’à cette époque, c’est le patronat qui est le plus hostile à la capitalisation (au nom des sempiternelles charges que la protection sociale fait peser sur le coût du travail), et ce sont les partis de gauche qui la défendent. Léon Bourgeois, par exemple, l’une des gloires du radical socialisme sous la Troisième République, s’en fera l’ardent défenseur en 1910.

La clé de voûte du dispositif inventé en 1930 repose au fond (en retraite comme en santé, d’ailleurs) sur ce qu’on appellerait aujourd’hui l’affinitaire : en dehors du régime général dont les fonds sont confiés à la Caisse des dépôts et consignations, chacun choisit son régime, sa gestion, là où son compte est géré. Dans la pratique, ce sont les mutuelles et les compagnies d’assurance qui assurent la gestion des régimes selon des principes de libre concurrence qui ressemblent aux règles de la complémentaire santé actuelle. C’est un pilier majeur de la réaction française face à la protection sociale : il ne faut pas rentrer dans un système de gestion collective où les choix individuels seraient supprimés. Il faut préserver le libre choix des bénéficiaires.

Dans le domaine de la retraite, le développement de la capitalisation a toutefois posé un problème critique avec la guerre. Il a permis d’accumuler d’importantes réserves financières dans un temps de disette et de pénurie.

Il n’en fallait pas plus pour stimuler les envies.

 

Comment Vichy a mis en place la retraite par répartition

Entre la crise de 1929 et l’effondrement de 1940, la protection sociale a connu, en France, un essor chahuté par les circonstances. Comme le remarque utilement Philippe-Jean Hesse, les mouvements de population induits par la défaite, et les destructions matérielles dues à la guerre déstabilisent en profondeur la logique et l’organisation de la protection sociale. Les recettes sont pénalisées par les mouvements de main-d’œuvre dus à l’occupation. Les réfugiés, les exilés, les déplacés brouillent les cartes de l’organisation mise en place avant la guerre. Le personnel médical est fréquemment détourné de ses tâches par l’occupant.

Vichy hérite d’un système rendu déliquescent par les malheurs du temps, et doit répondre au désarroi de la population. Celui-ci est accru par l’explosion du chômage en 1940. Il devient urgent de limiter l’accès au marché du travail. L’instauration d’une retraite immédiate apparaît alors comme un moyen commode de « faire partir » les plus âgés pour faciliter l’emploi des plus jeunes.

Comme l’indique Mickaël Ciccotelli, ces circonstances poussèrent Vichy à faire le choix qui a constitué le système de retraite contemporain : celui de la retraite par répartition à la place de la capitalisation. L’idée était de permettre un départ à la retraite immédiat pour 1,5 million de travailleurs, dont un tiers à peine a cotisé au système de retraites ouvrières et paysannes. Près d’un million de Français vont, grâce à Vichy, bénéficier d’une rente viagère mensuelle sans avoir jamais cotisé pour y parvenir.

Ce petit cadeau explique pour partie et rétrospectivement la popularité relative du régime de Vichy en France. Il fut financé de façon très simple, en piochant dans les réserves financières accumulées par la capitalisation. La décision fut prise rapidement, dès l’instauration de l’État français, et fut concrétisée par la loi du 14 mars 1941 instaurant l’allocation du vieux travailleur salarié (l’AVTS), ferment de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés (CNAVTS) encore en fonction aujourd’hui sous l’acronyme CNAV, ce qui souligne, une fois de plus le lien direct entre Vichy et la Sécurité sociale actuelle.

Dans son article 1, la loi pose un principe simple :

« Il est accordé une allocation aux travailleurs français sans ressources suffisantes, âgés de soixante-cinq ans ou plus »

On trouve ici la solution au flou sur l’âge de départ à la retraite. Fixé à 60 ans pour l’ouverture des droits en 1930, Vichy le relève autoritairement à 65 ans, sauf pour certaines professions où la liquidation est maintenue à 60 ans sous condition de cotisations. Cette décision s’explique en partie pour des considérations financières. Les réserves de capitalisation, vite érodées par l’inflation, ne suffisent pas à financer durablement un régime qui profite à un million de salariés qui n’ont jamais cotisé.

Initialement, René Belin, le secrétaire d’État au Travail qui prépare la loi, escomptait pouvoir tenir 7 ans grâce à son « hold-up » sur les réserves financières.

Dans la pratique, les réserves sont quasiment épuisées dès 1944, et le gouvernement provisoire, qui reprend en main le système cette année-là, impose une cotisation de 4 % sur les entreprises pour combler le déficit. Contrairement aux idées reçues, la répartition à ses débuts n’est donc pas un régime financièrement équilibré, et il n’existe aucune rupture entre Vichy et le gouvernement provisoire dans la gestion du système. Les uns assurent sans état d’âme la pérennité financière d’un système inventé par les autres. Une fois de plus, la théorie des conquêtes arrachées les armes à la main s’effondre : le Conseil National de la Résistance a sagement géré un édifice bâti par Vichy et s’est bien gardé d’en modifier l’équilibre général.

Les puristes noteront avec délectation l’article 9 de la même loi :

« Les retraites et pensions de vieillesse des assurances sociales sont constituées sous le régime de la répartition. »

L’origine vichyste de la répartition est contenue noir sur blanc dans ces lignes. Celles-ci n’invalident pas la technique de gestion par répartition, mais il faut arrêter une bonne fois pour toutes d’inventer de toutes pièces le mythe d’une Sécurité sociale et d’une retraite par répartition forgées en 1945 par une Résistance ennemie des méchants capitalistes qui régnaient sous Vichy.

Il est beaucoup simple d’avouer que des pans entiers de notre Sécurité sociale sont un héritage direct d’un régime collaborationniste et, qu’au fond, le Conseil National de la Résistance a simplement assuré le marketing et la récupération politique d’un système qu’il fallait sauvegarder à la Libération.

 

La Sécurité sociale, une idée vichyste

Nous avons jusqu’ici seulement effleuré le rôle des acteurs qui ont « écrit » le dispositif de Sécurité sociale mis en œuvre sous une forme élargie en 1945.

Pourtant, un détour par les circonstances individuelles est indispensable pour comprendre ce qui s’est joué et passé entre 1940 et 1945 dans la protection sociale en France.

Lorsque Pétain reçoit les pleins pouvoirs, il s’entoure d’une équipe résolue à mener une « Révolution nationale » dont l’objectif affiché est le redressement du pays après une décennie de déclin contre lequel les élites qui tenaient le pays n’ont guère lutté. Il choisit un syndicaliste pour tenir le ministère du Travail, René Belin, l’un des dirigeants de l’aile de la CGT ayant refusé en 1922 d’entrer dans l’aventure communiste, la CGT-U, disparue depuis lors (et dont FO constituera une forme de résurgence en 1947). Belin est farouchement anticommuniste, mais il porte une « vision » sociale qui correspond bien aux ambitions du maréchal autoproclamé « bouclier » des Français.

Belin restera au service de Vichy pendant presque deux ans. Il devient ministre le 14 juillet 1940 et quitte le cabinet le 18 avril 1942, jour où Pierre Laval devient chef du gouvernement pour mener une politique ouverte de collaboration. Entretemps, il aura signé le statut des Juifs, rédigé la Charte du Travail qui instaure les corporations et instauré le 1er mai comme jour chômé et payé, à la fois Fête du Travail et célébration de la Saint-Philippe Pétain. L’engagement politique de Belin sous Vichy n’a donc rien à voir avec un simple concours technique, comme François Mitterrand a pu l’invoquer pour son propre parcours. C’est une véritable affiliation idéologique à un régime qui fonde une discrimination raciale et une restructuration de la société française autour d’une logique propre à l’Ancien Régime.

Dans le même temps, René Belin s’appuie sur des personnalités dont les noms illustrent avec la plus grande des évidences l’ambiguïté et la complexité de cette période.

Dans son cabinet, il recrute un certain Pierre Laroque, conseiller d’État, qui participe à la rédaction de la loi du 16 août 1940 sur la réorganisation économique. La cruelle ironie de l’histoire veut que cette loi crée des comités d’organisation par secteurs professionnels qui seront chargés, en 1942, de fournir de la main-d’oeuvre à l’occupant. Belin et Laroque s’arrangeront après la guerre pour occulter la participation du dernier au cabinet du premier. Là encore, le mensonge par omission permettra d’accréditer le mythe d’une Sécurité sociale conquise les armes à la main en 1945, alors que Vichy en porte la véritable paternité.

Au cabinet de René Belin, Laroque croise un autre personnage qu’il retrouvera au détour d’un trottoir en août 1944 : Alexandre Parodi, conseiller d’État comme lui. Jusqu’à l’automne 1940, Parodi est directeur du Travail au secrétariat d’État de René Belin. La mention de ces circonstances n’est pas neutre, ceux qui « inventent » la Sécurité sociale en 1945 sont à la manœuvre sous Vichy, durant les premiers mois du régime, dans le domaine des assurances sociales.

Le trio Belin-Laroque-Parodi ne perd pas de temps et rédige un projet de « réforme des législations sur les Assurances sociales, les Allocations familiales et les congés payés » présenté par René Belin le 1er septembre 1940. De ce projet ne sortira effectivement que l’allocation du vieux travailleur salarié, mais il comporte deux dispositions qui ne manquent pas d’intéresser.

Premièrement, le rapport Belin propose que soient « affiliés obligatoirement aux Assurances sociales, les personnes de l’un ou l’autre sexe, salariées ou assimilées, travaillant à quelque titre et en quelque lieu que ce soit pour un ou plusieurs employeurs, quelles que soient la forme et la nature du contrat qui les lie et quel que soit le montant de la rémunération ou gain annuel ».

Le principe de l’affiliation universelle est donc posé dès l’été 1940. Il devra attendre 1945 pour se réaliser officiellement, même si la loi du 6 janvier 1942 prévoit l’affiliation de tous les ouvriers sans plafond de rémunération. Incontestablement, la politique de protection sociale de Vichy est dictée par une intention d’universalité qui se retrouvera dans sa version « pure » et théorique dans l’ordonnance de 1945.

Deuxièmement, le rapport Belin propose une cotisation unique et un système de caisse unique pour l’ensemble des branches existantes dans la protection sociale collective : maladie, vieillesse, accident du travail, congés payés, famille. Là encore, les principes de 1945 sont posés dès l’été 1940, et ce n’est évidemment pas un hasard si l’on trouve dans l’entourage de Belin au moment où ce projet est rédigé ceux qui initieront la Sécurité sociale de 1945.

L’histoire a voulu que ce dernier aspect du projet de 1940 ne se réalise pas pour deux raisons circonstancielles.

D’un côté, il n’existait pas au sein du régime de Vichy une unanimité sur le principe même d’une Sécurité sociale confiée à la Nation, avec une affiliation obligatoire et une organisation centralisée. Comme le remarquent Hesse et Le Crom, le ministre des Finances Bouthillier (maire de Saint-Martin-de-Ré de 1958 à 1972, pour ceux qui imagineraient que les ministres de Pétain aient tous été « écartés » après la guerre) manifeste une opposition idéologique au projet :

« C’eût été organiser une immense bureaucratie autonome destinée à acheminer la société française vers le régime collectiviste […]. Le prélèvement unique sur le salaire devenait un impôt impersonnel. Le caractère le plus important de l’institution, son caractère éducatif disparaissait. »

On remarquera au passage que la préoccupation du « caractère éducatif », c’est-à-dire de la responsabilité personnelle, a parcouru l’ensemble du débat sur la Sécurité sociale dès son origine et s’est situé au cœur des préoccupations tant de ses adversaires que de ses partisans, de façon constante entre 1940 et 1945. La création d’un grand système bureaucratique paraissait le principal ennemi de la responsabilisation des bénéficiaires… et l’argument, on le verra ultérieurement, porte encore actuellement.

Surtout, le projet de caisse unique heurtait de front les intérêts des acteurs du système d’assurances sociales, qui voyaient brutalement leurs pouvoirs et leur activité transférés au profit d’un édifice étatique gigantesque. Pour le régime de Vichy, affronter ces groupes d’intérêts constituait un dangereux front à ouvrir avec la société française. Durant tout l’automne 1940, le Comité général d’entente de la Mutualité et des caisses d’assurances sociales (dont on pourrait trouver dans l’UNOCAM actuelle une forme de survivance), la Fédération Nationale de la Mutualité Française, certains adhérents de la CGTU, la Fédération nationale catholique, mais aussi la Caisse des Dépôts et Consignations, s’opposent à ce projet d’une caisse unique regroupant tous les risques.

Cette opposition interne ne fut pas la seule à avoir raison du projet d’unification des assurances sociales avancé par René Belin en 1940. Le dévoilement progressif de la véritable nature du régime vichyste a également éloigné de lui ceux qui désiraient réaliser la Sécurité sociale. Alexandre Parodi dut retourner au Conseil d’État au vu de ses désaccords avec l’orientation politique du régime. Pierre Laroque quitte le cabinet Belin en décembre 1940, deux mois après le statut des Juifs dont il est une victime. Il entre dans la Résistance à ce moment-là.

Ces parcours illustrent, au passage, l’ambiguïté et la complexité du positionnement des élites françaises durant les premiers mois de la Révolution Nationale. Dans la pratique, fin 1940, Pétain a levé le voile et la tentation d’une « réforme sociale » s’est évanouie. Elle se limitera à la mise en place d’un système de retraite par répartition, ce qui n’est pas rien.

 

La réalisation de la Sécurité sociale en 1945

Au regard de cette histoire, l’apport du Conseil National de la Résistance paraît donc à la fois beaucoup plus maigre qu’on ne l’imagine, et surtout beaucoup plus inscrit dans une continuité que dans une rupture avec les projets concoctés par Vichy. Non seulement les acteurs des principales réformes de l’État français reviennent aux manettes dès 1944, mais ils reprennent intégralement les conclusions qu’ils avaient écrites à l’été 1940.

Ainsi, la mise en place d’un système aux ambitions universelles et à l’organisation unifiée, qui est l’objet des ordonnances de 1945, ne constitue guère une nouveauté. Le fait que ce projet ait des antécédents vichyssois aidera d’ailleurs à sa rapide mise en place.

Comme le fit remarquer Pierre Laroque :

« C’est presque un tour de force que l’on ait réussi en un délai de quelques mois à mettre sur pied les institutions chargées d’appliquer toute cette législation. Les premières ordonnances ont été publiées en octobre 1945. Le 1er juillet 1946 toutes les caisses entraient en fonctionnement. À titre de comparaison, le plan Beveridge en Angleterre, avait été publié en 1942, la législation britannique sur l’assurance nationale et sur le Service National de Santé date de 1946 et n’est entrée en application qu’en 1948. Nous avons fait en quelques mois mieux et plus que n’avaient fait les Anglais en presque sept ans. »

Pierre Laroque oublie de préciser que la mise sur pied de caisses locales avait été assurée par Vichy dès 1941, et que l’essentiel du dispositif était déjà élaboré. Ce degré de préparation, habilement oublié, explique évidemment la grande rapidité avec laquelle la France a pu mettre en oeuvre « sa » Sécurité sociale. Au passage, on relève comment Pierre Laroque lui-même a totalement occulté l’apport de Vichy au système confirmé et élargi par les ordonnances de 1945.

Est-ce à dire que le Conseil National de la Résistance ait seulement plagié Vichy sans rien y apporter ?

Non, bien entendu, et l’on doit aux ordonnances de 1945 trois principes qui feront date, et qui seront d’ailleurs tous battus en brèche, nous allons le voir, dans les deux années qui vont suivre les ordonnances.

La « nationalisation » de la protection sociale

C’est-à-dire le principe général d’une affiliation obligatoire. Autrement dit, le système « affinitaire » est promis à la disparition, et l’idée qui prend le pouvoir est celle d’une sécurité obligatoire pour tous. À partir de 1945, la liberté de négociation et de création laissée jusqu’ici aux professions est mise sous contrôle et la Sécurité sociale est supposée ne plus laisser personne au bord du chemin.

La mise en place d’un régime général

C’est-à-dire unique, avec une branche par risque. Ce système balaie, ou a l’ambition de balayer les systèmes professionnels mis en place avant la guerre, et qui laissaient une forme d’indépendance très girondine par rapport à la grande unité jacobine imaginée par Laroque et Parodi.

Ces deux premiers principes sont toutefois contenus dans le projet Belin. À cet égard (et ce sont tout de même les principaux apports de l’ordonnance de 1945…), on peut dire que Laroque et Parodi ont profité des circonstances exceptionnelles de la Libération pour mettre en œuvre un projet formulé durant l’été 1940, mais dont Vichy n’a pas voulu.

Le tarif opposable dans le domaine de la santé

Il constitue la première limite posée à la liberté médicale. Ce point est important car il constitue la seule véritable innovation du Conseil National de la Résistance dans le domaine des prestations de Sécurité sociale. Les esprits malicieux y verront là encore la marque d’une inspiration étatiste du système, très éloignée des principes mutualistes qui existaient jusque-là.

En revanche, certains ont soutenu que les ordonnances de 1945 avaient également innové en confiant la gestion du système aux organisations syndicales.

Cette affirmation n’est pas conforme à l’histoire de la gouvernance de la Sécurité sociale. On a vu, en effet, que sous Vichy comme en 1945, « l’éducation » des bénéficiaires était au centre des préoccupations. Elle conduisit les rédacteurs des ordonnances à confier la gestion des caisses à des bénéficiaires élus. Dans la pratique, les candidats aux élections étaient généralement des militants syndicaux, ce qui conduisit ultérieurement les pouvoirs publics à valider le principe d’une gouvernance paritaire de la Sécurité sociale.

Dans l’hypothèse où le projet de Belin eût vu le jour sous Vichy, rien ne prouve qu’une formule équivalente n’aurait pas vu le jour, même si l’organisation d’élections libres paraissait difficile en temps d’occupation.

Bref, la rigueur historique oblige à souligner à la fois l’étroite parenté et la forte continuité entre les réalisations de Vichy dans le domaine de la protection sociale et l’œuvre de 1945.

 

Comment les résistants ont résisté à la Sécurité sociale

S’il fallait encore un argument pour démonter la thèse d’une Sécurité sociale comme conquête par les armes du Conseil National de la Résistance, on le trouverait dans l’histoire immédiate de la Sécurité sociale après la guerre qui est émaillée de combats acharnés contre la Sécurité sociale.

Dès 1945, les forces syndicales (CGT en tête), par exemple, entament une lutte sans merci pour que les professions déjà dotées d’un système de protection sociale conservent leur « régime spécial ». Pierre Laroque écrivit à ce sujet :

« Notre idée était que ces régimes spéciaux préexistants devaient disparaître, étant entendu qu’on ne porterait pas atteinte aux avantages acquis, lesquels seraient maintenus par des régimes complémentaires. Cela n’a pas été possible. La plupart des régimes ont été conservés. La puissance des organisations syndicales représentant ces professions a fait que la solidarité catégorielle l’a emporté sur la solidarité nationale. »

Pierre Laroque pense ici, évidemment, au poids de la CGT à la SNCF ou à EDF, qui a d’emblée rendu impossible le principe de l’universalité de la Sécurité sociale.

Là encore, le mythe de la grande conquête sociale de 1945 s’effondre : en réalité, les fers de lance de la résistance n’ont jamais eu l’intention d’adhérer à ce principe d’universalité, et la CGT s’est très bien accommodée d’un système qui conservait une logique professionnelle ou catégorielle.

Là encore, la théorie de la grande conquête ouvrière actée en 1945 ne repose que sur du vent ; les professions les plus mobilisées au nom du prolétariat révolutionnaire n’ont rien sacrifié de leurs certitudes acquises lorsque la Sécurité sociale s’est mise en place.

La même chose pourrait être dite des syndicats qui négocièrent et signèrent en 1947 la convention collective nationale fondatrice de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC), qui refusèrent l’intégration des cadres dans le système de Sécurité sociale. Face à l’affaiblissement des garanties offertes par la Sécurité sociale, l’importance d’un système complémentaire reposant sur des solidarités professionnelles ou catégorielles est apparue aux partenaires sociaux. C’est de cette façon qu’est née la fédération AGIRC puis la fédération ARRCO agrégeant des caisses de retraite propres à des branches ou des secteurs d’activité.

En l’espace de deux ans, les organisations syndicales eurent donc tôt fait de liquider les grandes ambitions universalistes et jacobines des conseillers d’État Laroque et Parodi.

Le même phénomène s’est produit avec les artisans qui refusèrent, en 1947, leur intégration dans le système de Sécurité sociale.

On remarquera d’ailleurs qu’encore aujourd’hui les principaux défenseurs de la Sécurité sociale ne sacrifieraient pour rien au monde les structures qui ont tué dans l’œuf cette ambition universaliste portée en 1945. Dans la défense sacro-sainte de l’héritage du CNR, de nombreux arrangements avec le Bon Dieu sont possibles, et c’est peut-être le principal qu’il y en ait à retenir.

La protection sociale avant 1940 se distinguait par son atomisation, la multiplicité de ses acteurs, la complexité des dispositifs. Ceux qui montent sur leurs grands chevaux dès qu’il s’agit de réformer la Sécurité sociale sont aussi les meilleurs ennemis de son universalité, ambition pourtant affichée en 1945. Quelle organisation syndicale prône aujourd’hui la fusion des régimes complémentaires de retraites avec le régime général ? Quelle organisation syndicale propose de supprimer les caisses de prévoyance professionnelle au profit d’une prise en charge globale par l’assurance-maladie ?

Le génie français, une fois de plus, est parvenu à sacraliser un héritage historique tout en modifiant radicalement son sens. Lorsque les défenseurs de la Sécurité sociale prennent la parole, c’est généralement pour défendre un système à rebours de celui que les rédacteurs de l’ordonnance de 1945 prônaient. Ou, pour le dire autrement, les plus grands défenseurs du jacobinisme social sont des girondins convaincus.

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  • Excellent.
    Vous faites un boulot remarquable. Merci.

  • Trouvé ceci récemment sur le site du MLPS au sujet des origines :

    C’était à la fin juin de 1963, après la naissance de son quatrième et dernier petit-fils, Pierre. Il commençait à préparer à cette époque la conférence de presse qu’il devait donner à l’Elysée un mois plus tard sur l’Europe, l’Alliance atlantique et la situation économique et sociale. C’est ce dernier sujet qui l’a amené à la Sécurité sociale :  » Quand je l’ai créée, s’est-il souvenu, j’avais les syndicats contre moi. Fidèles à leur tactique de lutte des classes, ils refusaient ce qui était octroyé et non pas arraché. Ils craignaient en outre de perdre le monopole des assurances sociales et des mutuelles catégorielles. Le système ne devait être qu’un premier pas en faveur d’une population trop fruste économiquement pour comprendre que chacun doit cotiser contre la maladie et le chômage et pour sa retraite. Aussi ai-je d’abord obligé les patrons à assurer les inscriptions et la plus grande partie des cotisations. Puis les modalités auraient dû basculer progressivement au cours des décennies jusqu’à ce que chacun assume en totalité ses responsabilités. L’employeur couvrant de toute façon ce qui est de la sienne c’est-à-dire les assurances contre les accidents professionnels. Pour les retraites, c’est à chacun touchant la totalité de ses gains ou salaires de cotiser ce qu’il peut, quand il veut à une caisse centrale d’Etat par exemple.  » Ainsi, pensait mon père, n’aurait-on plus à discuter indéfiniment de la nature des activités de chacun ni de l’inclusion des primes ou indemnités dans la retraite. Naturellement, les chômeurs devraient être toujours secourus par l’Etat et les sommes versées par chacun pour sa sécurité seraient intégralement défiscalisées puisqu’elles ne sont pas des revenus disponibles. Je lui ai alors fait remarquer qu’avec ce système de responsabilité personnelle du citoyen il aurait eu un million de pauvres types qui n’auraient pas voulu, pas su ou pas pu cotiser par eux-mêmes. Il m’a répondu en laissant tomber ses grandes mains sur ses genoux d’un air las : « De toute façon, quel que soit le système, nous aurons toujours un million de pauvres types sur les bras mais on ne peut quand même pas ramener tout le monde à la minorité à la traîne. Pour celle-là, il faut, bien entendu, prendre des mesures de solidarité par répartition.  » Quand il est parti, les syndicats se sont approprié la Sécurité sociale et l’ont noyautée. Il n’était plus là pour rappeler aux Français qu’ils la lui devaient.
    Extrait de  » De Gaulle mon père « , de Philippe de Gaulle

    • De Gaulle, sans s’en apercevoir, a fait beaucoup de mal à la France, puisqu’à deux reprises il a soutenu un système centralisé, socialiste, piétinant les libertés individuelles. C’est toujours une infinie calamité lorsque les hommes au pouvoir agissent dans l’intérêt supposé des citoyens, mais contre la volonté de ces mêmes citoyens.

  • A l’ Auteur :
    Quelles sont les mises à jour par rapport à l’ article initial?
    Elles ne sautent pas aux yeux.

  • Je voudrais faire une remarque concernant le système mis en place en 1930. C’était un système qui fonctionnait en apparence très bien, et qui était géré en apparence selon le principe de la capitalisation. Mais dans la réalité, ce système tout entier n’était rien d’autre qu’une vaste escroquerie destinée à s’effondrer. C’était une escroquerie à l’insu même de ceux qui l’ont créé.
    En effet, c’était un système obligatoire. Et, comme pour tout système obligatoire, il était géré sous la supervision du gouvernement. Le gouvernement avait donc la faculté de choisir sous quelle forme les fonds gérés par le système devaient être investis. Le gouvernement a donc décidé que les fonds seraient investis sous la forme d’emprunts d’État. Ces emprunts d’État avaient pour but de financer le train de vie de l’État. Ainsi les fonds étaient dilapidés. Ces emprunts n’étaient pas vraiment destinés à être remboursés. C’est précisément pour cette raison que les fonds sur lesquels le gouvernement de Pétain a fait main basse se sont révélés bien plus faibles que prévu.

    Il est important de savoir pour l’avenir qu’un système de retraite par capitalisation obligatoire ne peut pas être viable, car les fonds seront très vite détournés.

  • Les commentaires sont fermés.

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