Philanthropie 2.0 : un nouveau souffle pour la générosité privée

Le web serait-il le nouveau creuset de la philanthropie du 21ème siècle ?

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Philanthropie 2.0 : un nouveau souffle pour la générosité privée

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 22 décembre 2015
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Par Farid Gueham
Un article de Trop Libre

Avoir le coeur dans la main credits Amandine FRANCOIS-ROUSSEAUX ((CC BY-NC-ND 2.0))
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À l’heure où Zuckerberg annonce qu’il s’engage à léguer 99% de sa fortune à des œuvres caritatives, la question des dons privés est plus que jamais au cœur de l’actualité. Par ses choix, le patron de Facebook s’inscrit dans la lignée des donateurs illustres du 21ème siècle, à l’image de Bill Gates, qui léguait 1,4 milliard de dollars aux œuvres caritatives par le biais de sa fondation en 2014.

Le web serait-il le nouveau creuset de la philanthropie du 21ème siècle ?

Il semblerait que oui, puisque les nouveaux visages de la générosité trouvent une concentration marquée parmi les GAFA. Un concentré de dons qui relève plus des chiffres d’affaires colossaux des géants de l’internet que de raisons culturelles. Cette générosité qui ne date pas d’hier outre- atlantique est avant tout l’apanage de la réussite sociale, « de manière traditionnelle, lorsque des fortunes considérables se créent, comme ce fut le cas à la fin du 19ème siècle avec RockefellerCarnegie ou Vanderbilt, les milliardaires pensent à leur postérité, à leur nom et à laisser une trace de leurs actions sur terre. Ils se lancent dans des projets de création de fondation philanthropiques », souligne Antoine Vaccaroprésident du Cerphi le centre de recherche et d’études spécialisé sur la philanthropie. Grand calme pendant un demi siècle : les lois fiscales n’encouragent plus vraiment la générosité, jusqu’à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Alors que les fortunes de l’internet se comptent en milliards de dollars, les nouveaux capitaines d’industries 2.0 se posent alors les mêmes questions que leurs aînés : quel sera mon héritage après tout cela ?

Une question d’égo, mais pas seulement : la philanthropie sert l’intérêt général

Une bienveillance pas tout à fait naïve. Les géants du net peuvent compter sur leurs armées de fiscalistes pour veiller au grain et concilier générosité et optimisation. Les fortunes de la Silicon Valley se sont construites très rapidement, presque aussi vite que se sont creusées les inégalités sociales. Ignorer ces fractures serait suicidaire, pour des groupes qui soignent autant leur image et leur communication que leurs investissements de recherche et développement. « Même les sommes en jeu sont plus considérables que celles du passé de la révolution industrielle américaine. Des sommes qui peuvent peser sur des choix stratégiques, de santé publique, d’éducation, de changement social. On voit intervenir les géants de l’internet sur des sujets comme la lutte contre la pauvreté et ils ont, en effet, une puissance d’action qui leur permet de changer le monde », ajoute Antoine Vaccaro.

Cette générosité est-elle vraiment un choix ?

Difficile de faire autrement pour les grandes fortunes du net. Du haut de ses 45 milliards de dollars, Mark Zuckerberg aurait eu beaucoup de difficultés à justifier son absence d’altruisme dans une Amérique où bienfaisance et richesse sont les deux faces d’une même médaille. Andrew Carnegie comptait parmi ses devises préférées « l’homme qui meurt riche, meurt disgracié ». Les linceuls n’ont pas de poche, mais pourquoi l’esprit de générosité des entreprises américaines a-t-il autant de mal à prendre sur les terres de la vieille Europe ? Les spécialistes de la philanthropie trouvent une explication culturelle dans un esprit de famille latin, plus proche du clan, où l’on préfère volontiers léguer à ses enfants, alors qu’aux États-Unis, il ne fut pas rare de voir des grandes fortunes déshériter leurs enfants au bénéfice de fondations. De la même façon, le champ sémantique de la philanthropie est un terrain sensible en France. On préfère volontiers parler de mécénat, de charité ou de responsabilité d’entreprise.

Jusqu’au tournant des années 2000, le terme « philanthropie » était totalement inaudible. Il faudra attendre Bill Gate, Warren Buffet et leur fondation, pour dépoussiérer et réhabiliter le terme. Ringardisée en France, la philanthropie incarnait les réminiscences de l’ancien régime, son système de dames patronesses veillant sur leurs pauvres. Mais les bienfaiteurs sont aujourd’hui pris au sérieux : les masses financières sont plus importantes et peuvent faire la différence. Selon des chiffres de l’Institut Pasteur, la fondation Gates aurait permis d’agir concrètement contre la mortalité infantile, grâce à une campagne mondiale de vaccination. La Fondation a de grandes ambitions : éradiquer les virus de la rougeole et de la polio. De quoi laisser une trace dans les manuels d’histoire. La notion d’héritage est donc toujours là, bien présente.

Derrière le modèle philanthropique anglo-saxon se trouve aussi un instrument de soft-power. La promotion d’une vision du monde à laquelle on reproche un anglo-centrisme puritain et moralisateur. Une dimension quasi prophétique, celle d’un empire fait d’influences, de valeurs et d’images. Rockefeller était très soucieux d’œuvrer pour la grandeur des États-Unis, de participer au grand chantier pour l’avènement du modèle américain, le « country building ». En somme, la philanthropie est aussi une arme culturelle pour la défense d’une Amérique, phare du monde libre et protectrice de la démocratie.

Peut-on parler aujourd’hui d’une philanthropie à la française ?

Une chose est sûre, les stars de l’innovation hexagonale s’inspirent de l’esprit de générosité d’entreprise anglo-saxon. En France, l’avènement de nouveaux fonds de dotation, d’instruments plus flexibles que les traditionnelles fondations, dynamise le secteur. Les nouveaux philanthropes, généralement des entrepreneurs, révolutionnent les pratiques. La philanthropie à la française est en pleine mutation, même si les échelles ne sont pas exactement les mêmes qu’outre-atlantique.  Aux États-Unis, les dons des particuliers (258,5 milliards de dollars en 2013) et les montants affectés aux fondations (54 milliards de dollars) représentent environ 2 % du PIB, contre dix fois moins en France, où les dons des particuliers atteignaient 2,225 milliards d’euros en 2013. La France se positionne donc à la quatrième place européenne, derrière l’Italie (2,6 milliards d’euros), l’Allemagne (4,2 milliards d’euros) et le Royaume-Uni (11,5 milliards d’euros). Pour ce qui est des fondations, on en comptait 3 677 en France, 12 400 au Royaume-Uni et 19 150 en Allemagne en 2013, contre 104 107 aux États-Unis. Des changements culturels dans la manière de donner peuvent également être attendus : Xavier Niel soutient plusieurs projets, sans s’imposer l’affichage et la publicité de rigueur aux États-Unis. Toutefois, la nouveauté de la générosité 2.0 réside aussi dans son audit plus précis des projets subventionnés. Contrairement aux dames patronesses d’antan, le nouveau philanthrope soutiendra un projet s’il s’inscrit dans une stratégie cohérente, une sorte de business plan social, pour changer le monde.

Une chose est certaine, les nouvelles structures philanthropiques sont de plus en plus professionnelles. Les entreprises sur lesquelles elles s’adossent veulent s’assurer que leur argent sera bien utilisé. Les causes soutenues ont aussi des répercussions en termes d’images. Mesurer l’impact social et humain des fondations : voilà le challenge qui attend les nouvelles fondations françaises, comptables de leurs actions auprès des financeurs, des décideurs et des prescripteurs d’opinion publics et privés.

Toujours plus d’argent, émanant d’entreprises aux dirigeants toujours plus jeunes depuis la Silicon Valley, où se constituent, à une vitesse fulgurante, les grandes fortunes de l’Internet : le charity business permet de redorer un blason, mais également de réaliser d’importantes déductions d’impôts. Le don passif a cédé la place à une philanthropie active, la « venture philanthropy » faite d’optimisation et de rentabilité. Les géants du net donnent, mais pas à l’aveugle. Ils sont prêts à redorer leur image, à marquer l’histoire, à œuvrer pour le bien commun, mais pas à n’importe quel prix.

Pour aller plus loin :

– « Philanthropie, la génération Facebook », L’opinion.

– « Mark Zuckerberg symbole d’une nouvelle génération de philanthropes », Le Monde.

– « Startup philanthropique », l’Express.

– « Les startups qui réinventent la générosité », les suricates.

– Rapport « Panorama de la philanthropie en Europe », Cerphi.

– « Le renouveau de la philanthropie à la française », l’Opinion.

– « Les bonnes affaires du charity business », Libération.

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  • J’ai cru comprendre que Jeff Bezos, le patron d’Amazon, refuse tout acte de philanthropie, non ?

    • Il a juste donné quelques dizaines de millions par ci ou par là, notamment je crois à un think tank libertarien, à des actions technologiques, pour le mariage gay, contre le cancer. C’est son argent, il en fait ce qu’il veut. L’espèce de sous-entendu franchouillard selon lequel l’argent serait forcément mal acquis et devrait être redistribué à titre de pénitence expiatoire est insupportable : qu’est-ce qu’un « cadeau » si le donateur est contraint à le faire, sinon un autre nom pour une taxe.

      • Le modèle français est plus subtil, peut-être l’esprit de famille latin selon l’auteur, il consiste à proposer des jeux – divertissements – aux uns pour donner du pain aux autres. Il semblerait que cela revient à être un enfoiré. 😉

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