Régionales : 3 questions sur le Front National

Un entretien avec le politologue Joël Gombin sur le Front national.

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Marine Le Pen à Sciences Po en 2012 (Crédits Rémi Noyon licence Creative Commons)

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Régionales : 3 questions sur le Front National

Publié le 11 décembre 2015
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Le Front national est devenu l’arbitre partout en France au soir du premier tour des élections régionales. Sa progression dans les urnes est-elle inéluctable ? Contrepoints a interrogé Joël Gombin pour nous éclairer sur la place de la formation de Marine Le Pen dans ces élections. Joël Gombin achève sa thèse portant sur le vote pour le Front National à l’université de Picardie-Jules Verne. Il a enseigné ou enseigne dans de nombreuses universités, de Lyon 2 à Villetaneuse, de la Sorbonne à Amiens en passant par Sciences Po Paris.

Contrepoints : Les résultats du premier tour des élections ne pointent pas seulement la progression du FN mais l’échec des différentes stratégies d’endiguement proposées par ses adversaires. Pourquoi celles-ci sont devenues inaudibles de nos concitoyens ? Peut-on voir ici un échec à saisir la nature et l’ampleur du phénomène ?

Joel Gombin
Joel Gombin (crédit : Magali Gouiran)

Joël Gombin : Je pense qu’à gauche il n’y a précisément pas de stratégie contre le Front National. Il n’y a qu’une tactique, le supposé Front républicain qui est en réalité un désistement unilatéral à géométrie variable. Mais une tactique ne fait pas une stratégie, elle peut même être contre-productive sur la moyenne durée. À droite, la stratégie adoptée contre le FN est celle de la droitisation, mais il me semble qu’il est démontré depuis 2011 qu’elle a échoué et qu’elle a même contribué à organiser l’exode des électeurs de LR vers le FN. Ces échecs stratégiques résultent sans doute d’une faiblesse de l’analyse du phénomène, mais aussi d’une incapacité, tant à gauche qu’à droite, à formuler une explication du monde et un projet propres et convaincants. Le tout n’est pas tant de lutter contre le FN que de rebâtir ses propres bases.

L’état-major du PS a décidé de se désister dans plusieurs régions et d’appeler à barrer la route à l’extrême droite en votant pour la droite modérée. Cette nouvelle stratégie ne risque-t-elle pas d’apporter de l’eau au moulin à Marine Le Pen, qui fustige les combines d’appareils de l’UMPS ?

C’est toute l’ambiguïté de cette tactique de désistement. C’est probablement la moins mauvaise tactique à court terme si on se donne comme objectif prioritaire d’empêcher l’accès du FN à la représentation élective, mais à moyen terme on risque d’accréditer l’idée, défendue par le FN à travers le terme d’UMPS, d’une cartellisation de la vie politique par le PS et le LR et leurs alliés. Or le refus d’une telle cartellisation par les électeurs est un moteur puissant du vote FN.

Culturellement, l’extrême-droite a-t-elle changé ? N’y a-t-il pas un écart grandissant entre un FN du sud culturellement conservateur et un FN du nord plus social et populiste ? Ou n’est-ce qu’une tactique ?

L’agrégat constitué par les électeurs du Front National est hétérogène. Les intérêts sociaux que le FN représente, ici ou là, ne sont pas convergents ; ils divergent même franchement à certains écarts, c’est le cas en particulier en ce qui concerne la redistribution. Pourtant, il faut noter que les différences géographiques dans la pénétration sociologique du vote FN tendent à s’estomper. Alors même que les médias reprennent l’antienne des deux Front National, la direction néolepéniste du parti parvient à homogénéiser le parti, en le prolétarisant, faisant ainsi son miel de la désaffection toujours croissante des ouvriers à l’égard des partis installés.

Cette unification passe également par un discours qui, quelles que puissent être les différences sur lesquelles on se livrera, légitimement, à de minutieuses exégèses, reste, plus peut-être que jamais, unifié et structuré par la question migratoire. Toutes les études montrent en effet que les électeurs du FN se distinguent de tous les autres par l’absolue priorité qu’ils accordent à cet enjeu dans leur vote. Le discours social-populiste du néo-FN doit ainsi être analysé pour ce qu’il est : un moyen de lever les obstacles au vote FN des groupes sociaux qui accordent encore une importance à la question sociale, abandonnée de la gauche.


Lire sur Contrepoints notre dossier Front National

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  • Vraiment ??.. les électeurs du Fn auraient plutôt en commun avec un Bartolone la même symétrie ethnique ,certes la couleur ethnique varie suivant le vote ,mais au final ces gens là partagent les mêmes valeurs d’incertitude .LOL

  • le FN parti d’extreme droite??? It’s a JOKE 🙂

  • la direction néolepéniste du parti parvient à homogénéiser le parti, en le prolétarisant, faisant ainsi son miel de la désaffection toujours croissante des ouvriers à l’égard des partis installés.

    Euh, là, avec toiut le respect que je dois aux ggens « qui savent », dans le milieu auquel j’appartiens , la bourgeoisie classique, le FN a toujours été considéré.

    J’estime, d’ailleurs, mais, là, c’est juste mon point de vue, de citoyenne ordinaire, qu’il est ridicule et méprisant d’insister ainsi sur l’origine sociale des électeurs du FN, mais il est vrai, que lorsqu’on souhaite influencer l’électorat sensible à ce type d’argument (Vous ne vous voulez pas de déchéance intellectuelle sociale? Ne votez pas FN, seuls les andouilles, sans emploi le font)

    Je ne vote pas FN, mais ce genre d’article, me met fort mal à l’aise pire il me donne envie, par solidarité sociale de voter fN! Attention à l’arroseur arrosé.

    • Je vous suis parfaitement étant issu de ce qu’on appelait la « bonne bourgeoisie » un peu « vielle France ».
      Stanislas Paris, Soreze (l’école du RP Lacordaire qui y est enterré) et cadre retraité.
      Il y a deux types de cadres, ceux qui vivent entre eux au énième étage d’une direction, bien au chaud dans leur petite bulle avec leurs inimitiés et leurs crocs en jambes, et ceux qui ont un commandement effectif sur un nombre important de gens de tous niveaux de formation dans une structure qu’un sociologue, dans son jargon nomme une « usine de production » – effectif important, structure hiérarchisée, foultitude de métiers au sein de l’entreprise, avec des postes de travail nécessitant des savoirs et savoirs faire bien répertoriés.

      Dans ce milieu, le cadre, depuis son premier poste de débutant sans grand commandement jusqu’à celui de directeur doit apprendre à connaître et à valoriser ceux qu’il commande, qu’ils soient manus, techniciens, spécialistes, administratifs et tous ces gens ont des niveaux d’instruction différents. Mais tous sont intelligents et certains le sont sans doute plus que certains cadres à qui ils doivent obéir hiérarchiquement.
      Ne jamais confondre instruction et intelligence, Il y a de fieffés imbéciles parmi les sur-diplômés, l’important étant alors qu’ils n’occupent pas des postes où ils seraient nuisibles, c’est à dire là où ils n’ont pas à commander.

      Une structure peut fonctionner très bien avec des gens peu instruits mais techniquement formés.
      La gestion de l’entreprise s’adapte à cette donnée et ses modalités de fonctionnement se sont adaptées à ce public.
      Je vais donner un exemple de ce que je dis, l’Armée.
      Quand on dissèque sa gestion, qu’est-ce que c’est ? c’est une structure entièrement gérée par des sous-officiers (baccalauréat et moins) supervisés et contrôlés par quelques officiers. La gestion s’est donc adaptée, ce qui ne l’empêche pas d’être moderne, les sous-officiers étant parfaitement capables de ma^triser les logiciels les plus complexes.
      Lors de l’informatisation des services dans les années 80, ils ont parfaitement compris l’intérêt de la chose et ont mordu dedans en devenant demandeurs des machines les plus performantes afin de gérer les stocks, les personnels, le mobilier et l’immobilier.
      C’est au cadre de rester à niveau afin de pouvoir contrôler des gens qui maîtrisent parfaitement l’outil mis à leur disposition.

      Le cadre qui ne s’appuie pas sur ses subordonnés bac et bac-3 et -5 perd pied et est fichu. Pour s’appuyer sur eux, il doit bien les connaître, sympathiser et s’intéresser à leur vie et c’est là qu’il s’aperçoit qu’il a des gens intéressants, pas idiots du tout même s’ils ne connaissent pas la princesse de Clèves et qui sont capables de lui proposer des solutions astucieuses et efficaces.

  • Droitisation, vous dîtes? Je crois, au contraire, que le vote FN accueille de plus en plus d’électeurs déçus par ce qu’ils qualifient eux-mêmes de « droite molle », laquelle n’a cessé de « gauchiser » son discours, à l’instar d’un Chirac en son temps, et à l’exemple aujourd’hui d’un Juppé, d’un Bayrou, ou même d’un Sarkozy déboussolé. Je crois également que le vote FN est aujourd’hui grossi de plusieurs composantes: non seulement la composante historique, elle-même divisée entre nationalistes fascisants et royalistes, mais aussi une composante chrétienne ou néo-chrétienne, pratiquante ou non (surtout depuis la Manif pour Tous), et une composante plus libérale, bien que souverainiste au sens économique du terme. Enfin, peut-être faut-il en ajouter une dernière, que vous évoquez notamment, que l’on pourrait qualifier de prolétaire, pour ne pas dire néo-communiste.
    Deux grandes tendances émergent, me semble-t-il, de cette convergence de sensibilités: l’une, réactionnaire, se considérant comme la vraie droite (et non extrême); l’autre, révolutionnaire, non au sens historique, mais politique, à savoir que seule une révolution, par les urnes néanmoins, permettra de déboulonner ce fascisme rose qui sclérose notre société depuis quarante ans, lequel reste encore très actif par tous les pouvoirs qui lui sont acquis: fonction publique, administration, magistrature, éducation, culture, syndicats, et, bien sûr, les médias.

    • le Fn partage encore avec le Ps (fascisme rosâtre) le gout du néo paganisme ,donc le Fn ne peut rien déboulonner du tout!! Comment donc un pervers du Fn peut déboulonner un autre pervers fasciste Rose , puisque leurs tentatives homogénéisation est identitaire sur le fond .. ?°°)

  • Avec 13 % su PIB dans l’industrie, cela fait belle lurette que les ouvriers sont quantité négligeable d’un strict point de vue statistique. Il conviendrait de conduire les analyses sur d’autres critères, plus réalistes que la CSP. À titre d’exemple, intéressons-nous aux salariés du privé qui ont dans leur quartier des oisifs vivant d’allocations. Précisons que je n’ai jamais voté FN, puisque je hais le socialisme.

  • « celle de la droitisation, mais il me semble qu’il est démontré depuis 2011 qu’elle a échoué » la raison de cet échec c’est que la droite au pouvoir n’a jamais mis en oeuvre son discours « droitise « . Il faut pas prendre les électeurs pour des cons. Ils voient très bien qu’il y a un décalage entre un discours à droite et une politique qui n’a pas grand chose de droite.
    Ce que l’on appelle droitisation recourve en fait que la réalité s’est radicalise. Ce n’est pas la droite qui s’est radicalise mais la vérité. En plus, si vous prenez certains discours de la droite, d’ il y a plusieurs décennies, aujourd’hui, ces discours seraient considérés comme d’extrême droite alors je ne suis même pas sur que l’on peut dire qu’il y a une radicalisation de la droite.
    Je remarque qu’aujourd’hui, le gouvernement n’hésite pas à prendre dans le programme du Fn, cela illustre bien la radicalisation de la réalité. Avant, on pouvait nier la réalité comme le faisait la gauche ( et la droite). Aujourd’hui, ce n’est plus possible.

  •  » le refus d’une telle cartellisation par les électeurs est un moteur puissant du vote FN »

    La cartellisation est au contraire un fort moteur pour une bonne partie de l’électorat qui vote autour du centre. Les exemples à l’étranger sont nombreux : l’Allemagne, la Suède, …

    • Pas le même système électorale. Vous citez deux pays qui sont des régimes parlementaires avec proportionnelle ( en Allemagne, c’est à à la fois proportionnelle et majoritaire). Donc il faut changer les choses passer à une proportionnelle et à un régime parlementaire. La proportionnelle oblige les coalitions

      • On peut penser que la cohabitation est exceptionnelle ou nécessaire. Mais ce n’est pas une situation normale.
        Quant au cartel, on va bien au-delà d’une coalition. C’est une entente négociée qui passe par dessus le vote !

        La proportionnelle au Parlement, c’est bien mais le pouvoir est dans l’exécutif. Avoir une capacité de blocage est une impasse.

        Le cartel voulu par nos élites françaises ou mis en oeuvre en Allemagne ou en Suède a pour objectif de garder le pouvoir.
        Proportionnelle ou pas, le FN et ses électeurs en seront exclu par leur pure volonté, pas par la voie démocratique.

  • La France n’a jamais été de gauche ou de centre mou. Si on regarde les siècles passés, cela a souvent été de la royauté absolue, de l’empire ou des militaires. Toutes les actions dites de « gauche » ou « sociales » n’ont été que des formes de mouvement extrême lié à des exagérations de pouvoir ou plus banalement des surcharges de taxes ou pas assez à bouffer. Puis après stabilisation, repassage de témoin. Donc, face aux sensations actuelles d’être de nouveau les dindons de la farce, les français retrouvent leur comportement classique donc à droite. Et comme ceux qui sont à cette place depuis un paquet de temps ne se comportent pas comme tels, hé ben cela passe à droite de la droite. Donc que le FN fasse de bons résultats qui semblent perdurer, rien que de très normal. Et si les autres partis ne veulent pas que cela continue, il ne leur reste qu’à se bouger le cul…

    • Comparée à aujourd’hui, la monarchie « absolue » essayait de mettre un peu de cohérence dans un pays ultra-décentralisé avec des provinces aux lois différentes (les us et coutumes), des « Communes » s’autogérant et de groupes professionnels jouissant de privilèges anciens et vénérables accordés au fil des siècles par les ancêtres du monarque.
      Louis XIV, qui avait connu enfant la Fronde des grands seigneurs appuyés sur leurs armées privées institua « l’absolutisme royal » pour liquider la féodalité en privant les grands féodaux et les provinces de leurs capacités à lever une armée de guerre civile (les dernières ayant été la Fronde et les guerres de religion)
      Le roi n’était absolu que grâce aux « édits » qu’il promulguait, édits peu nombreux qui étaient supérieurs aux lois provinciales, un peu comme l’est le président des EUA face aux Etats fédérés qui conservent la plupart de leurs prérogatives hormis la diplomatie, la défense, et certains pouvoirs en matière économique.

      La Révolution mis a bas l’Ancien Régime qui était un peu beaucoup anarchique et bloqué du fait de la stratification au fil des siècles des privilèges accordés aux collectivités, aux métiers et aux individus. Elle détrusit mais fut incapable de construire qui que ce soit.

      Il revint à un empereur-soldat qui était également un organisateur hors pair de reconstruire la France à partir des éléments épars laissés par l’Ancien Régime et la révolution.
      Il le fit comme un soldat, tout doit remonter au Maître dans n’importe quel bivouac où il se trouve et tout descend de lui.

      Les régimes qui lui succédèrent s’accommodèrent très bien de l’organisation centralisée laissée par l’Empereur.
      A l’époque, cela avait encore peu d’importance, l’Etat ne s’occupait encore pas de tout et, l’aurait-il voulu, cela lui était impossible du fait des communications, par courrier à cheval d’abord, puis ensuite par le télégraphe sans fil.
      C’est la complexification de la société moderne et l’amélioration des moyens de communiquer et de comptabiliser qui ont permis à un Etat centralisé de devenir un Etat ultra-centralisé.

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Auteur : Catherine de Vries, Professor of Political Science, Fellow and member of the Management Council of the Institute for European Policymaking, Bocconi University

 

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