La croissance se nourrit de changement, pas de perfusion monétaire

François Hollande, et plusieurs de ses homologues européens, demandent à la banque centrale européenne de faire des miracles.

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La croissance se nourrit de changement, pas de perfusion monétaire

Publié le 2 novembre 2015
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Par Yves Montenay

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Tout le monde dit souhaiter la croissance, mais on ne sait visiblement pas de quoi on parle. La Chine, par exemple, vante ses « 6,9% », qui seraient une belle réussite s’ils étaient réels. Et comme on ne sait pas de quoi on parle, François Hollande, et plusieurs de ses collègues européens, demandent à la banque centrale européenne de faire des miracles.

On ne sait pas de quoi on parle

Soyons basiques : la croissance c’est l’augmentation des biens et des services librement choisis par chacun pour améliorer sa vie. Librement est le mot important. Souvenons-nous que l’URSS, en remplaçant le marché par le plan, a croulé sous les stocks de produits non demandés, tandis que les biens et surtout les services souhaités n’existaient pas. Aucun pouvoir ne sait ce qui sera demandé demain et ne peut donc décréter ce qu’il faut produire. Il peut tout au plus le bloquer.

Par ailleurs il ne faut pas reprendre d’une main ce qu’on a donné de l’autre : une croissance chinoise qui se fait en empoisonnant, au sens propre, l’air et l’eau n’est pas une vraie croissance. Elle ne l’est pas non plus lorsque les gains de productivité venant du travail des ruraux en ville se font au prix de l’abandon des enfants (cf. l’étude très fouillée de The Economist) qui ne peuvent suivre leurs parents, les migrants n’ayant pas droit aux services urbains. On dope les statistiques de croissance sans comptabiliser les dégâts corrélatifs.

Enfin, la demande change sans arrêt : il faut des téléphones portables et l’accès à l’internet, y compris dans les pays pauvres, ce qui suppose une baisse du prix réel des autres dépenses puisqu’on ne peut pas travailler 30 heures par jour ; le prix « réel » est le nombre d’heures de travail nécessaire pour obtenir un produit. Et cette baisse des autres dépenses vient non seulement de la baisse de certains prix réels (moins de main-d’œuvre pour produire un litre de lait) mais aussi de la disparition partielle ou totale du produit ancien : pensez aux timbres-poste, aux journaux « papier » et autres produits ou services en partie remplacés par l’usage d’Internet. Et tout naturellement les producteurs de lait français et les ouvriers de l’imprimerie ont tout fait pour bloquer ce processus : le consommateur, ce n’est pas mon problème, mon emploi d’abord.

Or il n’y a pas de croissance sans baisse des prix réels, c’est-à-dire sans destruction d’emplois compensée par autant ailleurs. Encore faut-il bien comprendre ce qu’implique autant et ailleurs.

Autant d’emplois, mais ailleurs ?

Donc on parle de croissance, mais on s’oppose à la destruction d’emplois. Depuis le numérique de masse, la contradiction est patente. L’exemple de la SNCF face à BlaBlaCar et aux autobus, ou des hôtels face à Airbnb illustre que beaucoup de métiers actuels peuvent être faits autrement et par d’autres, soit par les géants du numérique (Amazon, Google…), soit par des « jeunes pousses » (startups) : « il y a peut-être dans un garage deux jeunes qui vont détruire mon métier ».

Mais ces destructions d’emplois sont compensées par autant de créations, car l’argent économisé par les consommateurs sur les « vieux » produits et services se traduira en demande de nouveaux produits pour le même montant, donc par autant d’emplois qui remplaceront les précédents s’ils sont créés sur place, voire davantage si le nouveau producteur est pauvre comme ce fut le cas dont plusieurs pays émergents.

Mais, justement où sont créés les nouveaux emplois ? Pas forcément dans la même ville, voire dans le même pays. Un salarié français en péril ne sera pas consolé si le nouveau producteur est polonais ou indonésien. Mais pour que ces nouveaux producteurs soient là où l’emploi est détruit, il faut être meilleur que les pays concurrents. Or nos complications administratives et notre Code du travail font fuir les jeunes entrepreneurs et les multiples taxations des cadres supérieurs et des entreprises, les font s’installer à l’étranger.

Vous pensez que je décris la situation française ? Certes, mais elle est analogue à la chinoise, à la russe, à l’indienne, à l’égyptienne… Là aussi, on bloque, et les cadres émigrent. Par exemple, le gouvernement chinois laisse les entreprises d’État gaspiller les surplus du commerce extérieur, oubliant qu’il avait fallu y sabrer 43 millions d’emplois de 1997 à 2014 pour faire place aux entreprises privées (« La voie chinoise », page 152).

Le gouvernement russe favorise, pour ses amis, la rente et le monopole non seulement pétrolier mais aussi de toutes sortes d’autres produits. Il en est réduit à faire oublier son échec économique par un tintamarre diplomatique et des aventures militaires. On pourrait ainsi faire le tour du monde des blocages. Même le nouveau gouvernement indien, élu pour en faire sauter certains, a échoué pour l’instant  !

Le point clé est que tout cela concerne des questions (des techniques, des hommes, des législations…) qui ne sont pas liées à la politique monétaire ou budgétaire. Et pourtant ce sont vers elles que se tournent les responsables publics, ce qui illustre leur ignorance des mécanismes de la croissance.

Les fausses solutions : le soutien monétaire et budgétaire

Lors de la crise de 2008, les banques centrales ont été priées d’éviter le blocage général. Elles ont servi pendant quelques semaines de chambres de compensation, les banques n’osant plus se prêter entre elles. Bravo ! Puis elles ont créé d’énormes quantités de monnaie (13 000 milliards de dollars pour l’ensemble des banques centrales mondiales depuis 2007).

Du coup, la plupart des responsables se sont convaincus que cette création monétaire était nécessaire à la croissance. Et par ailleurs ils trouvent cela très commode car ça leur évite les décisions douloureuses. Mais quelques doutes apparaissent enfin : selon le rapport annuel de la Banque des règlements internationaux. « Loin de simplement refléter la faiblesse actuelle de l’économie, les taux d’intérêt bas pourraient y avoir en partie contribué en alimentant de coûteuses bulles et crises financières.[… ] les taux faibles génèrent des taux encore plus faibles. ». C’est un cercle vicieux qui pourrait nous mener de bulle en bulle. Et donc d’éclatement en éclatement, voire de crise en crise.

Et pourtant, les responsables s’obstinent. En Chine, les fameux 6,9% de croissance proclamée sont ressentis comme un échec, et ce pays a immédiatement décidé le 23 octobre une baisse des taux d’intérêt. La BCE avait promis « de nouvelles actions » le même jour. Or les causes de l’inévitable ralentissement chinois comme celles de la stagnation française sont ailleurs, tandis que les autres pays européens pâtissent de leur vieillissement démographique, à l’exception de la Suède, de l’Angleterre et de l’Allemagne qui puisent largement dans l’immigration.

On retrouve encore cette explication purement monétaire dans Les Échos du 22 octobre où Jeffrey D. Sachs accuse les États-Unis d’être la cause du ralentissement chinois, en ayant poussé ce pays à surévaluer sa monnaie, comme ils l’avaient fait naguère pour « casser » la croissance japonaise. Certes une monnaie forte freine les exportations, mais, parallèlement, elle rend moins coûteuse les importations, et surtout cela laisse de côté le fait que dans les deux cas il y a la fin du rattrapage et un vieillissement aussi accentué qu’en Europe (encore la démographie !), phénomènes beaucoup plus puissants. Remarquons au passage que si la France est relativement épargnée par ce déclin démographique, et par ailleurs favorisée depuis quelques années par des taux d’intérêt très bas sur sa dette et depuis quelques mois par la baisse des prix du pétrole (le président Hollande a vraiment beaucoup de chance), c’est que par ailleurs nos blocages sont plus importants que ceux des autres !

Remarquons aussi que, lorsque l’on dénonce « l’austérité » en arguant que les dépenses publiques soutiennent la consommation, on reste dans l’idée selon laquelle c’est le monétaire qui fait la croissance. Austérité qu’on se garde d’ailleurs bien de mettre en œuvre pour des raisons électorales. Voir la remarque de Jean-Marc Daniel : « Austérité ? Non, 40 ans de relance » en allusion au déficit budgétaire permanent, qui ne produit pas la moindre croissance, et pour cause !

Perseverare diabolicum

La croissance n’est pas une question d’argent. Elle ne passe pas par le maintien de l’existant, mais par le changement. Encore ne faut-il pas le bloquer, car le soutien à la vieille économie ne pourra que gérer le repli, les créations d’emplois se faisant ailleurs : ce n’est pas en semant de l’argent qu’on fera pousser des emplois, mais en innovant et en persuadant les innovateurs de rester chez nous.

Sur le web

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  • il ne saurait y avoir de croissance sans création monétaire ou alors vous êtes un magicien !
    pour l’instant on compense les pertes , d’ailleurs les monnaies ne chutent pas , l’inflation est… négative , donc la création monétaire n’est pas trop rapide mais trop lente !.

  • une perfusion monétaire que les futures générations vont devoir rembourser ….

  • La création monétaire est nécessaire à la croissance capitaliste, à l’existence du profit monétaire. La preuve est si triviale que je m’étonne qu’il existe encore des personnes qui le nient.

    Prenons une société dans laquelle il n’y a que deux entreprises, A fournissant du bois, B une autre travaillant le bois pour fabriquer des objets, des outils. Les consommateurs se fourniront aussi bien chez A (par exemple pour se chauffer) que chez B (pour obtenir des meubles), de même, l’entreprise A achètera des biens chez B (des outils par exemple) et B achètera du bois chez A.

    Appelons Ca, la consommation de biens A par les consommateurs, Ia la consommation de biens A par l’entreprise B, Cb la consommation de biens B par les consommateurs, Ib la consommation de biens B par l’entreprise A, Sa, les salaires versés par l’entreprise A, Sb les salaires versés par l’entreprise B.

    Définissons le profit comme la différence entre recettes et dépenses (définition certes grossière mais qui sera suffisante).

    Pa (profit de l’entreprise A) = Ca+Ia-Sa-Ib
    Pb (profit de l’entreprise B) = Cb+Ib-Sb-Ia

    Le profit global P=Pa+Pb=Ca+Cb-Sa-Sb

    Si on pose C=Ca+Cb et S=Sa+Sb, on a alors C=S (on suppose qu’il n’y a pas d’épargne, que tous le salaire est consommé). Et donc P=0. Pour que le profit monétaire soit positif, il est nécessaire d’injecter de la monnaie dans le circuit économique (que cette création soit le fait d’agents publics ou privés).

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