Quels principes de souveraineté budgétaire ?

Rendre aux États européens leur « souveraineté budgétaire » ne résoudra aucun problème économique.

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Quels principes de souveraineté budgétaire ?

Publié le 17 octobre 2015
- A +

Par Nathalie Janson.
Un article de l’Institut économique Molinari

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Le feuilleton grec des derniers mois a été l’occasion de débats passionnés sur l’opportunité de mener des politiques budgétaires d’austérité au sein des pays de la zone euro, et en France, en particulier, où elles sont très contestées. Pourtant, il est temps d’en finir une bonne fois pour toutes avec l’idée selon laquelle il suffirait à un pays surendetté membre de l’euro de reprendre pleine possession de sa souveraineté budgétaire pour s’en sortir. L’euro a seulement « bon dos » et constitue un bouc émissaire idéal !

La souveraineté budgétaire : un mythe ?

L’idée que les États sont souverains absolus en matière budgétaire est un mythe entretenu sans doute par les hommes politiques au pouvoir et sanctuarisé par la théorie Keynésienne pour leur plus grande satisfaction. En réalité, la souveraineté budgétaire est contrainte par la capacité de financement des États. Elle est elle-même dépendante du degré de souveraineté monétaire de l’État en question. Lorsqu’un gouvernement décide d’augmenter les dépenses publiques, il est confronté à deux situations. Soit les dépenses publiques « s’autofinancent » par l’augmentation des recettes fiscales. Dans ce cas, le problème disparaît. Soit les recettes fiscales sont insuffisantes et le déficit en résultant doit trouver un mode de financement. Plusieurs options sont alors possibles. Elles sont essentiellement fonction du système monétaire dans lequel l’État s’insère, du statut international de la monnaie qu’il émet et de la préférence des investisseurs nationaux. Deux cas de figure peuvent être identifiés.

1- Système de changes flottants : une souveraineté monétaire en soutien de la souveraineté budgétaire

Lorsque le pays appartient à un régime de changes flottants, sa souveraineté monétaire peut lui permettre d’accompagner dans une certaine mesure ses choix budgétaires. En effet, dans ce cas l’État peut « monétiser » sa dette grâce à l’intervention de la banque centrale.

Dans un passé assez récent, cette monétisation pouvait être directe. La banque centrale finançait directement les États à travers des lignes de prêts à des taux favorables voire à taux zéro dans certains cas. Ce fut le cas en France dès la création de la Banque de France jusqu’à la loi du 3 janvier 1973 surnommée la loi Pompidou-Giscard. Cette dernière précise les conditions autorisant l’État à emprunter à la Banque de France et limite de fait le financement direct à taux quasi nul.

À l’époque de la royauté où très peu de banques centrales existaient, les rois n’hésitaient pas à dévaloriser le contenu or de leur monnaie, substituant l’or par le cuivre.

Dans nos économies modernes, la monétisation est plus subtile. La banque centrale ne prête plus directement à l’État mais « indirectement » par l’intermédiaire des banques commerciales.

Dans le cadre de la politique monétaire, la banque centrale mène des opérations d’open market au cours desquelles les banques commerciales se refinancent auprès d’elle en mettant en pension ou en vendant des titres éligibles, en particulier les titres souverains. Aux États-Unis, à partir de 2008, la monétisation de la dette a trouvé une nouvelle expression à travers la politique de Quantitative Easing. En effet, dans un contexte de taux d’intérêt nul, la Fed a grandement facilité l’émission de bons du Trésor américain en achetant 80 milliards de dollars de titres souverains tous les mois pendant plusieurs années.

Cette apparente souveraineté budgétaire n’est pourtant pas sans limite. La première limite est posée par la capacité d’absorption des marchés. Si les États-Unis ont pu mener cette politique sans être inquiétés, c’est parce que les opérateurs sur les marchés financiers restent confiants dans la capacité de remboursement du pays. En outre, le dollar étant toujours la monnaie internationale dominante et les marchés financiers américains restant très attractifs, la demande de titres souverains américains demeure élevée. Dernière limite à la stratégie de monétisation de la dette : le risque d’inflation. L’inflation a souvent été le prix à payer dans le passé des épisodes de fort endettement de l’État. Aujourd’hui il semblerait que ce risque soit écarté, tout du moins en apparence. En effet, aux États-Unis comme en Europe, les indices d’inflation mesurés à la fois à la consommation comme à la production restent à des niveaux faibles, proches encore dans certaines zones de la déflation. Cette apparente disparition de l’inflation est sans doute liée aux canaux de transmission de la politique monétaire. Les politiques de Quantitative Easing ont comme premier effet de soutenir la liquidité des marchés monétaires et, par effet ricochet, des marchés financiers. Si l’inflation traditionnelle est absente, elle s’est sans doute transformée en bulle sur les marchés financiers.

Reste que cette forme moderne de monétisation de la dette n’est possible que parce que les opérateurs sur les marchés sont demandeurs de ces titres, qu’ils soient libellés en dollar, en euro ou bien encore en livre sterling. Il faut donc que les marchés de la dette souveraine soient attractifs et les titres émis libellés dans une monnaie elle-même attractive. Tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. Pour finir, il faut nuancer le propos dans le cas du Japon où la dette qui dépasse le niveau de celui de la Grèce par exemple, est essentiellement détenue par les résidents.

En résumé, la souveraineté budgétaire va de pair avec la souveraineté monétaire et ne vaut que parce que les acteurs économiques jugent crédible la soutenabilité de la dette.

2- Système de changes fixes : une souveraineté budgétaire contrainte par l’absence de souveraineté monétaire

Qu’en est-il dans un système de taux de changes fixes et a fortiori dans le cas d’une monnaie unique qui n’est qu’une forme de changes fixes irrévocables ? À partir du moment où des monnaies sont liées entre elles, soit de manière révocable, soit de manière irrévocable, les politiques monétaires des pays membres ne sont désormais plus indépendantes les unes des autres. Des divergences récurrentes de politique monétaire se traduisent par des crises de change régulières comme celles qu’on a pu connaître du temps du Système monétaire européen (SME). Il est illusoire de penser que dans un système de changes fixes la souveraineté monétaire continue d’exister. La souveraineté est, de fait, gérée au niveau collectif, et ceci est encore plus vrai dans le cadre d’une monnaie commune. La souveraineté monétaire de chaque pays membre de la zone euro a ainsi été transférée au niveau de l’euro-système qui prend les décisions de politique monétaire en accord avec le mandat qui lui a été confié. Dans une telle perspective, la marge de manœuvre de chaque État membre en matière budgétaire est réduite étant donné que l’arme ultime de financement des déficits, à savoir la monétisation de la dette n’est plus de son ressort. Aujourd’hui, même si le programme de Quantitative Easing de Mario Draghi et les opérations de refinancement à long terme qui ont précédé sont une forme de monétisation de la dette, aucun État membre ne peut directement contrôler cette décision. Dans le meilleur des cas, il peut l’influencer.

Pourquoi la dérive grecque ?

Compte tenu des principes énoncés, comment se fait-il que la Grèce ait pu dériver financièrement puisqu’en théorie, la souveraineté budgétaire n’est plus de mise dans le cadre d’une monnaie commune. C’était sans compter les externalités positives générées par la création d’une monnaie unique et le manque d’expérience des opérateurs de marché. La Grèce partage une monnaie commune dont la réputation a essentiellement reposé sur le rôle de leader joué par l’Allemagne qui n’a jamais failli à sa réputation en matière de rigueur monétaire. Les dérapages grecs ont été possibles car les investisseurs ont considéré que la zone euro était un tout homogène. Qu’on se le dise une fois pour toutes, la souveraineté budgétaire n’existe pas plus que la souveraineté monétaire au sein d’une monnaie commune. Les Grecs risquent de l’apprendre au prix fort. Il est urgent que les hommes politiques à la tête des pays de la zone euro expliquent clairement ces principes économiques à leurs électeurs. Cela évitera les confusions, les désillusions et peut-être les mesures malavisées.


Sur le web. Texte d’opinion publié dans La Revue Parlementaire – Octobre 2015.

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  • si il y a un intérêt à avoir sa propre monnaie; on récolte les bons ou mauvais résultats sans polluer les autres états; ni recevoir des pollutions des autres.
    on évite aussi de permettre des états de s’endetter plus qu’avec une monnaie unique.

  • Belle exemple de l’idéologie dominante véhiculée par les économistes néoclassiques. Elle repose sur une erreur mathématique fondamentale qui considère que la dette agrégée n’a pas d’impact macroéconomique.
    Or la dette privée + la dette publique équivaut à plus de deux fois la masse monétaire en circulation (M3) et la création où le remboursement de dettes impacte directement cette masse monétaire.

    Vous dites que la souveraineté n’a pas d’impacts, or que devons-nous penser de la Suisse qui fonctionne avec deux monnaies depuis plus de 80 ans. Une monnaie, le Franc WIR, appartient entièrement aux clients de la banque WIR, intervient pour 10% du PIB Suisse. D’après-vous, la Suisse devrait donc connaître un désordre monétaire ingérable. Cette idée d’une monnaie qui appartient à ses utilisateurs est séduisante et efficace, car les utilisateurs peuvent influencer le fonctionnement de la monnaie.

    La théorie néoclassique dit que les crises sont impossibles avec le système actuel, or comment expliquer les crises financières à répétition depuis 2000. D’autres ont expliqué la relation directe entre la variation du rapport Dette/PIB et l’évolution du chômage. Vous devriez lire Steve Keen, il avait prévu les crises de 2000, 2008 et celle qui vient maintenant à partir des travaux théoriques de Minsky.

    Vous parlez des monnaies-troc utilisant l’or comme référence, mais vous oubliez d’expliquer en quoi notre système monétaire est complètement différent. Il est devenu quasi-exclusivement scriptural et sa contrepartie n’est plus un métal, mais la confiance dans le remboursement des dettes… Nous nageons dans l’immatériel.

    Avant 1973, il n’était pas habituel pour l’Etat de rembourser ses dettes, mais au moins une bonne partie de la monnaie émise avait une vraie contrepartie industrielle : Les centrales nucléaires, Airbus, le TGV. Ce n’était déjà plus de l’or, mais cela valait infiniment plus que la confiance dans le remboursement des dettes. D’autant plus que si nous remboursons toutes les dettes, ce qui n’est techniquement plus possible par manque de monnaie disponible, il ne resterait plus de monnaie en circulation et l’économie s’arrêterait. Les Etats n’ont pas le choix de ne pas s’endetter. Les Grecs ont été les moins efficaces et sont les premiers, mais les autres Etats suivront de la même manière. Il n’y a pas d’inflation parce qu’il y a de moins en moins de monnaie disponible pour l’économie alors que les masses monétaires augmentent. Curieux paradoxe en effet, mais en fait la vitesse de circulation de la monnaie diminue à la vitesse où la masse monétaire augmente (PIB=masse*vitesse de circulation).

    Pour sortir des crises, le principal axe possible est le changement des règles de création et de destruction de la monnaie. Si nous voulons que la dette ne dépasse pas 30 à 40% du PIB (60 dans les accords européens), il faut une autre contrepartie que la dette à la création. Pourquoi pas monétiser notre avenir ? Finançons nos projets de demain en leur attribuant une valeur aujourd’hui. Je sais que c’est contraire à la théorie néoclassique, car cela suppose que nous nous trouvons dans un système dynamique en déséquilibre permanent. Et pourtant, c’est bien comme ça que fonctionne l’économie.
    Les projets réellement créateur d’emploi ont des cycles de remboursement qui commence bien après la 10ème année pour beaucoup. Si nous faisons le calcul de la somme supplémentaire qu’il faut emprunter pour payer les premiers remboursements, nous voyons que la création de richesse est totalement ruineuse dans le système actuel et c’est pour cela que nous ne faisons plus de création de richesse. L’autofinancement par l’impôt est totalement impossible et nous nous enfonçons inexorablement dans la crise.

    • Le WIR représente 1% de la masse monétaire suisse pas 10 %…

      • Oui, je n’ai pas pu recouper cette information qui m’a été donné par une personne qui est allé en Suissse étudier le système WIR et je suppose que la vérité est sans doute entre les deux. Le PIB et la masse monétaire sont liés par la vitesse de circulation de la monnaie. Les paiments en Wir sont presque toujours partiels et une partie du paiement se fait donc en Franc Suisse. D’autre part la vitesse de circulation est sans doute bien supérieure pour le Franc WIR (je n’ai pas le chiffre mais je suppose une vitesse 2 à 3 fois supérieure comme pour les monnaies locales). L ‘effet sur le PIB en est d’autant plus important. J’aurais probablement du écrire que 10% du PIB suisse implique l’utilisation de Francs WIR.

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