L’antilibéralisme catholique : un triple malentendu (II)

Une tentative pour essayer de dissiper le malentendu à l’origine d’une tradition catholique antilibérale.

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Saint Pierre de Rome (Crédit : WolfgangStuck, Creative Commons)

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L’antilibéralisme catholique : un triple malentendu (II)

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 21 septembre 2015
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Par Florent Ly-Machabert

Saint Pierre de Rome (Crédit : WolfgangStuck, Creative Commons)
Saint Pierre de Rome (Crédit : WolfgangStuck, Creative Commons)

 

Lire la première partie de l’article ici.

 

Deuxième malentendu

Il a ensuite existé historiquement une forte critique authentiquement catholique, notamment papale, tout à fait justifiée, de pensées qu’on ne saurait toutefois qualifier que de pseudo-libérales tant elles reflètent pour la plupart une curieuse incursion du libéralisme, à vocation profane, dans le champ de la théologie.

Ainsi, ce que condamne en 1864 Pie IX, qui choisit par ailleurs le libéral Pellegrino Rossi comme Premier ministre, dans l’article 80 du Syllabus, c’est cette aberration d’un libéralisme théologique que combattra d’ailleurs le catholicisme social.

Pie IX déclarera ainsi à des pèlerins français du diocèse de Nevers le 27 juin 1871 :

« Il y a dans ce pays – la France – un mal plus redoutable encore que la Révolution, que la Commune : c’est le libéralisme catholique. »

Ce que combat l’Église c’est aussi ce que l’intellectuel catholique autrichien Erik von Kuehnelt-Leddihn appelle le vieux libéralisme, toxine née de l’échec du protestantisme, sorte de rationalisme religieux niant toute vérité transcendantale, de dangereux relativisme philosophique et de philosophisme licencieux vantant une liberté de conscience affranchie de la vérité, là où saint Jean-Paul II, dans Veritatis Splendor, rappelle que « la liberté de conscience est toujours et seulement dans la vérité ».

Aussi faut-il redire avec force que ce libéralisme théologique farouchement antichrétien et donc combattu à juste titre par l’Église, n’a rien à voir avec le libéralisme essentiellement politique défendu par les premiers libéraux, aristocrates et catholiques romains : Tocqueville, Lord Acton et de façon plus complexe Montalembert.

Mais il n’a rien à voir non plus avec le libéralisme économique, dont le même saint Jean-Paul II a dit qu’il était, en parlant de l’économie libre, un « système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l’entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu’elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique ».

Il insiste d’ailleurs aussi, toujours dans Centesimus Annus, sur la nécessité qu’un « contexte juridique ferme » encadre la liberté économique et la mette « au service de la liberté humaine intégrale ».

 

Troisième malentendu

Le troisième malentendu permettant d’aller aux sources de l’antilibéralisme catholique n’est hélas pas l’apanage des Chrétiens : il s’agit de l’ignorance généralisée des mécanismes de marché et d’une méconnaissance certaine des notions pourtant fondamentales de profit, de spéculation et de propriété privée.

Comme d’autres et pour paraphraser Frédéric Bastiat, les catholiques s’en tiennent à ce qu’ils voient et font l’économie de l’effort de compréhension de ce qui ne se voit pas, c’est-à-dire de l’harmonie et des lois sous-jacentes aux phénomènes économiques. De là tout un camaïeu catholique de positions intermédiaires, allant de l’économie de marché au planisme en passant par le corporatisme, le coopératisme ou le solidarisme : seule une bonne compréhension du libéralisme économique permet toutefois de comprendre qu’il n’y a rien entre le plan et l’économie libre et que toute critique adressée aux planistes constitue ipso facto un argument en faveur du libéralisme.

Aussi les catholiques, familiers de la vanité des choses humaines, pourraient-ils renouer avec cette découverte de Friedrich Hayek que le christianisme exige la liberté dont il est en même temps un facteur très puissant et devraient-ils redécouvrir les vertus du libéralisme.

Intrinsèquement naturaliste, le libéral laisse en effet agir, au moins en partie, les causes et jouer les rapports de force, ce qui entre en résonance avec l’invitation stoïcienne puis chrétienne (notamment franciscaine) à « se vaincre soi-même » et non à dominer l’autre ou la nature. Fondamentalement perpétualiste, le libéral se fie à la permanence des lois naturelles, il loue la Vie et son ordre spontané, ce qui invite à rejeter tout messianisme temporel, incompatible avec le catholicisme romain.

Enfin, l’individualisme libéral fait écho au caractère personnaliste de la théologie catholique qui est celle d’un salut personnel. De quoi largement dissiper ce long et regrettable malentendu à l’origine d’une tradition catholique antilibérale.

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  • Trés bon article. A lire « un libéral nommé Jesus  » de Gave pour compléter l’approche entre libéralisme et Christiannisme

  • « toxine née de l’échec du protestantisme, »
    C’est quoi cet échec du protestantisme ? Il me semble que ce surgeon du catholicisme est adopté par une part non négligeable de la population mondiale…

    « de dangereux relativisme philosophique et de philosophisme licencieux vantant une liberté de conscience affranchie de la vérité, là où saint Jean-Paul II, dans Veritatis Splendor, rappelle que « la liberté de conscience est toujours et seulement dans la vérité ».
    Et la Vérité c’est votre vérité, le catholicisme oméga de la pensée…

    • « C’est quoi cet échec du protestantisme ? »

      Je ne suis pas sûr de la pensée de l’auteur de l’article, mais peut-être s’agit-il de l’incapacité pour la Réforme de savoir à quoi elle croit, tant les sectes sont nombreuses et en plus ont variées dans leur croyance. Conséquence du libre examen, que Luther revendiqua pour lui et voulu dénier aux autres ensuite.

      Concernant votre paragraphe sur la vérité, je ne comprends pas ce qui vous voulez insinuer. Pensez-vous qu’il faille être libre de penser que 2+2=4 ?

      • Oui le but de la réforme était de purger le christianisme catholique des apports successifs pour revenir au texte.

        Le protestantisme est avant tout un mouvement intégriste visant à établir une théologie « pure », ce que la variété de ses variantes contredit complètement.

      • Mon intention n’est pas de défendre la (les?) foi protestante que je ne partage pas. Mais j’avoue que je suis fatigué de lire des mots comme « Dangereux relativisme philosophique et de philosophisme licencieux ». Dangereux ? licencieux ? les mots ont ils encore un sens ? une bombe c’est dangereux, les philosophes beaucoup moins.
        Le but de l’article est de réconcilier l’église catholique et le libéralisme mais l’auteur ne peut s’empêcher de décocher une flèche du parthe vers les protestants et à travers eux les rationalistes. Que l’auteur soit catholique et que sa foi soit profonde; fort bien il n’y a rien là de discutable mais je vois toujours derrière poindre un petit bout du visage de la haine envers les autres religions et ceux qui n’en ont pas. Bien sûr c’est plus facile quand on se pare de l’armure de la Vérité… Il est beau le doute !

        • Je suis d’accord, cela permet une lecture morale, voire moralisatrice de l’Eglise. Cette facette pharisienne transparaît trop souvent.

      • @Hildebrand

        Au sujet du 2+2=4 il n’y a pas de lien avec la liberté, un esprit tordu on peut toujours nier que 2+2=4 mais les mathématiques est rationalité ultime humaine et peut être universelle. Si je vais voir un juif, un musulman, un protestant, un chimpanzé via des expériences d’éthologie et qui sait un jour un extraterrestre je pourrai partager sur 2+2=4.

        Par contre si je refais la même expérience en disant qu’il n’y a de liberté uniquement dans la parole des évangiles tels que les lit l’église catholique je risque de ne pas pouvoir partager.

        • Merci Montaudran.

          Ma phrase avec le 2+2 avait simplement pour propos de dire que des vérités peuvent exister, et donc s’imposer à toute conscience de bonne fois. Je voulais savoir si vous admettez ou non qu’il y ait des vérités, à cause de votre « la Vérité c’est votre vérité ».

          Que dans certains domaines, métaphysique, économie, religion, etc., la vérité, si elle existe, peut n’être pas évidente, il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles pour le comprendre. Volney a bien illustré la chose dans ses « Ruines ». Mais cette difficulté à la découvrir, et donc à la faire partager, signifie-t-elle ou non qu’elle n’existe pas, pour vous ?

          • Bien sûr qu’il peut y avoir une vérité, mon inquiétude monte quand quelqu’un brandie la sienne car en général cela ne va pas sans mal pour ceux qui ne la partage pas.
            Admettre qu’il y a une vérité pose juste le problème de la cerner, de la partager sans l’imposer.

        • Heu, 2 + 2 = 4 n’est pas non plus une nécessité ou une vérité en mathématiques. C’est une définition de 4 (le sens du = ici c’est de définir). Après si je pose 2+2=T ou 2+2=7 ça peut marcher aussi. Simplement T ou 7 auront dans ce nouveau système la valeur que vous donnez habituellement à 4.

          Bref, la liberté rentre aussi en compte ici, la liberté de choisir les axiomes et les hypothèses sur lesquelles on va construire « les mathématiques » qui seront diverses selon ces choix. Mathématiques qui ne sont d’ailleurs absolument pas une science et qui ont comme plus proche matière la théologie, pas la physique ou la biologie.

    • La liberté de conscience est toujours et seulement dans la vérité : la liberté de conscience n’existe que si l’on est dans la vérité (et non dans l’erreur, la simulation ou le mensonge) et on ne trouve la vérité (le sens du monde) que si on est libre, on ne peut la trouver si on est contraint et forcé.

      Ce qui signifie que la seule foi (la seule chose auquel on peut avoir entière confiance) est le doute.

      • @Stéphane B , si seulement Pascal avait pu dire « je doute donc je suis » , mais non … 😉

        • Si vous doutez c’est que vous pensez.
          La pensée est la seule chose (pour Pascal) dont je ne peux douter puisque justement pour douter il faut déjà que je pense.

          • @Montaudran , bien sûr , bien sûr , mais je maintiens , penser et nécessaire mais non suffisant à être . Ah la la toujours le problème de la condition nécessaire et/ou suffisante , le si et seulement si , et on nous dit que la France est un pays de matheux , gros soupir .

            • La problématique de Pascal n’est pas définir ce qui est le minimum de l’être, dans son esprit penser n’est pas ce minimum dont il serait inutile d’aller plus loin. C’est juste le premier pas au contraire, si je pense je suis et je peux à partir de là douter, élaborer, ressentir etc… mais même si je doute de tout dans l’univers il y a une chose dont je ne peux douter c’est que je pense.

              • @Montaudran je vous entends bien , ainsi que le propos de ce bon Pascal (quoi que bon , ça se discute ..) je soulevais juste le fait que « je pense » est un peu juste à mon sens pour affirmer « être » , douter est suffisant pour dire que l’on pense , alors que penser pour moi est insuffisant à mon sens pour dire que l’on est . C’est un point de vue , tout à fait discutable , j’en conviens . 😉

                • Oui mais alors quel est selon vous le plus petit fait irréfutable qui pour vous même affirme que vous êtes, que vous existez ?

                  D’ailleurs ce n’est effectivement pas le fait de penser qui affirme le fait d’être c’est de penser ET d’en avoir conscience.

  • Bonjour.

    Je ne sais pas se je peux un link:

    https://www.lewrockwell.com/2015/09/thomas-sowell/pope-francis-the-question-is-not-why-poverty/

    Mais je penseé qu’il un grand article (en englais).

    Merci.

  • Que l’on soit de droite, de gauche, ou d’ailleurs… les hommes n’en sont pas moins des hommes, des êtres ambivalents capables du pire comme du meilleur.

    En privilégiant l’individu et sa liberté, les tenants du libéralisme seraient-ils donc meilleurs que les autres ?
    A chacun d’en juger.
    Le scandale Volkswagen me semble être tout autant le reflet du pragmatisme allemand que de la cupidité humaine, bref les deux faces d’une même pièce.
    Quelles leçons tirent donc nos chers libéraux de ce scandale ? Seraient-ils soudainement devenus muets ?

    Mais ne jetons la pierre à personne.

    Ils croient qu’ils savent, mais ils ne savent pas qu’ils croient :))

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