Bérénice de Racine, au Théâtre Interface, à Sion (Suisse)

Peut-on encore innover dans la représentation de Bérénice ? La réponse est oui.

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Bérénice de Racine, au Théâtre Interface, à Sion (Suisse)

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 13 septembre 2015
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Par Francis Richard, depuis la Suisse

ob_b44ada_berenice-sionIl y a trois jours avait lieu la première d’une création au Théâtre Interface, à Sion, celle de Bérénice de Jean Racine. Peut-on créer encore une telle pièce ? On peut. Parce que, justement, cette pièce appartient au répertoire classique et qui dit classique, au contraire de l’image d’ennui et de convenu que le terme semble recouvrir (en souvenir de sujets d’études scolaires), dit éternelle jeunesse, c’est-à-dire éternelle possibilité de créer.

La Bérénice de Jean Racine est en ce sens au plus haut point classique. Non seulement cette pièce parle d’amour entre trois personnes qui occupent un rang élevé dans la société, d’où naissent des obligations réciproques que le commun des mortels ne connaît pas, mais elle le fait avec des mots simples, éternels, toujours les mêmes, hormis quelques-uns, peut-être, qui n’appartiennent plus au vocabulaire d’aujourd’hui.

Titus (Raphaël Bilbeny) vient de perdre son père Vespasien, ce qui fait de lui le nouvel empereur de Rome. Depuis cinq ans, il aime Bérénice (Carole Epiney), reine de Palestine, qui le lui rend bien. Antiochus (Olivier Lambelet), roi de Comagène, est un ami de Titus, mais il aime en secret Bérénice, en feignant d’être seulement son ami. Il s’est tu pendant les cinq années qui viennent de s’écouler. La perspective du proche mariage de Titus et de Bérénice l’accable profondément.

Même si Titus le sait depuis longtemps, son amour pour Bérénice est tellement fort qu’il n’a pas voulu voir qu’il lui serait impossible d’épouser Bérénice une fois devenu empereur. En effet un empereur romain ne peut épouser une reine sans enfreindre une loi fondamentale qui l’interdit absolument. Cette loi, même des prédécesseurs sur le trône peu soucieux d’observer les lois de l’empire n’ont jamais osé l’outrepasser, parce qu’ils savaient que le peuple ne l’accepterait pas.

Quand la pièce commence, Antiochus s’entretient avec son confident Arsace (Pauline Epiney). Il lui demande d’aller voir Bérénice pour obtenir d’elle un dernier entretien. Il est en effet décidé à s’en aller de Rome, mais non pas sans l’avoir vue une dernière fois et lui avoir fait l’aveu des sentiments qu’il éprouve pour elle. Bérénice le reçoit donc avec sa confidente Phénice (Pauline Epiney) et, outragée par l’aveu d’Antiochus, ne le retient pas : il part « plus amoureux que jamais« .

Au début du deuxième acte, Titus demande à son confident Paulin (Damien Gauthier) ce que le peuple penserait s’il épousait Bérénice. Dans un premier temps, Paulin lui dit qu’il peut tout, aimer ou cesser d’être amoureux. Quand Titus exige qu’il soit honnête, il le détrompe : il ne pourra pas sans offenser les regards « faire entrer une reine au lit de nos césars« . À force de persuasion Paulin parvient à convaincre Titus de renoncer à son amour pour Bérénice, à faire triompher le devoir sur l’ardeur.

La suite de la pièce est une succession de retournements dus aux volte-face et à la lâcheté de Titus, qui n’arrive tout de même pas à trancher entre devoir et ardeur, et se lamente :

Je puis faire les rois, je puis les déposer.
Cependant de mon coeur je ne puis disposer.

Ces palinodies donnent par moments de faux espoirs à Antiochus et, à d’autres moments, le mettent en rage :

Tous mes moments ne sont qu’un éternel passage
De la crainte à l’espoir, de l’espoir à la rage.

Quant à Bérénice, elle pense tantôt qu’elle peut encore plaire à Titus, tantôt que tout est perdu et elle lui reproche alors son ingratitude et, surtout, sa cruauté :

Ne l’avez-vous reçu, cruel, que pour le rendre,
Quand de vos seules mains ce coeur voulait dépendre ?

Il est inutile de dire à ceux qui l’auraient oublié, ou ne l’auraient jamais su, comment se termine cette tragédie non sanglante, où tout le tragique se situe au sein de coeurs malmenés.

Bérénice est écrite en alexandrins, un peu plus de mille cinq cents vers. Or la mise en scène (Steve Riccard) et le jeu des acteurs font qu’ils ne sont pas dits comme des vers. Ils sont dits avec naturel ce qui leur donne cette fluidité qui résulte de la composition poétique singulière de Racine. Ce n’est qu’occasionnellement que le spectateur ressent qu’il s’agit bien d’alexandrins, quand, notamment, la métrique des phrases impose une disposition des mots inhabituelle.

Le décor scénographique (Stéphanie Lathion) est sobre : une toile de fond blanche, éclairée par derrière, des piliers rouges qui s’élèvent dans les cintres sans les toucher, des bancs aux arêtes droites, en dégradés, qui forment un cercle au milieu duquel les lettres T comme Titus et B comme Bérénice s’enlacent comme sur des festons. Les costumes (Marianne Braconnier) sont intemporels : robes longues et élégantes pour les femmes, manteaux longs et sans apparat pour les hommes.

Les trois protagonistes, par les voix et les attitudes qu’ils adoptent, qu’il s’agisse de Carole Epiney, de Raphaël Bilbeny ou d’Olivier Lambelet, transmettent l’émotion qui les étreint, comme si ce n’était pas un jeu, mais une vérité qui se déroulait devant le public, auquel les larmes montent aux yeux comme elles le font aux leurs. Les confidents, Pauline Epiney et Damien Gauthier, les aiguillonnent avec justesse et les poussent, comme il faut, dans leurs retranchements.

Hier soir, c’est ainsi que s’est opérée la magie d’un théâtre bien vivant, où l’espace d’une heure et demie, deux heures, la fiction et la réalité ont fini par se fondre et se confondre. Et le public, ravi, a été transporté hors du temps, tout en reconnaissant en ces amours éternelles, qui tourmentent le trio, ce qui pourrait très bien affecter aujourd’hui des trios semblables, pour peu qu’ils se conforment à la lettre de traditions qui ont perdu l’esprit.


Sur le web

Représentations à Sion et à la Tour de Peilz :

  • Il reste une représentation à Sion ce dimanche à 19h00, réservations : www.theatreinterface.ch ou tél. +41 (0) 27 203 55 50 – Adresse : Théâtre Interface, Route de Riddes 87 – Sion.
  • Autres représentations, à la Tour de Peilz, du 2 au 3 octobre 2015 à 20h00, réservations : www.theatre-du-chateau.ch ou Tél: 079 411 50 59 – Adresse : Théâtre du Château, Rte du Château 7 – La Tour de Peilz

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