Qu’est-ce qu’un pays ? (5)

Dans quelles conditions un pays se crée, disparaît et peut perdurer pacifiquement. Dernier épisode de la série : Rwanda et pays du Moyen-Orient.

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Qu’est-ce qu’un pays ? (5)

Publié le 6 septembre 2015
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Par Le Minarchiste

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wall of nations-Bernard Walker(CC BY-NC 2.0)

L’histoire de quelques pays nous apprend ce qu’est vraiment un pays, dans quelles conditions il se crée, disparaît et peut perdurer pacifiquement.

 

Le génocide du Rwanda

Le Rwanda a obtenu son indépendance coloniale de la Belgique en 1962.

Les Hutus prirent le contrôle du pays et imposèrent un régime autocratique centralisé. Le gouvernement a pris le contrôle de toutes les terres, et des mesures discriminatoires furent imposées au détriment des Tutsis.

Le contrôle gouvernemental des exportations de café a subsisté à la fin de l’ère coloniale. Les lois obligeaient les fermiers à cultiver le café et à le vendre au gouvernement à un prix bien inférieur au prix du marché international. Le gouvernement pouvait alors empocher le profit et le redistribuer aux fonctionnaires, politiciens et leurs « amis ». Ce système était inévitablement un foyer de corruption et d’appauvrissement pour les Rwandais. En fait, les revenus du café pillés par le gouvernement étaient utilisés pour acheter le maintien de la dictature.

Vers la fin des années 1980, le prix mondial du café s’écroula sur les marchés internationaux.

L’Accord International sur le café fut aboli, ce qui eut comme effet de réduire drastiquement les revenus du gouvernement rwandais. Cet accord n’était rien d’autre qu’un cartel entre les pays producteurs visant à coordonner un système de quotas, restreignant les exportations de manière à maintenir le prix plus élevé (même principe que l’OPEP). N’ayant plus accès à autant de revenus pour maintenir son hégémonie, le gouvernement diminua le prix payé aux fermiers de manière à maintenir ses profits, ce qui engendra beaucoup de ressentiment au sein de la population. Le gouvernement hutu jeta alors le blâme sur les Tutsis comme cause des problèmes économiques du pays, faisant appel à une forme de nationalisme ethnique.

En 1990, les rebelles Tutsis ont tenté de profiter des problèmes économiques pour prendre le contrôle du pays, mais sans succès. Cependant, le président de la dictature Hutu accepta de conclure un accord avec les Tutsis. Mais suite à son assassinat, les Hutus ne souhaitaient pas que cet accord soit ratifié. Ainsi, la guerre civile éclata en 1993, menant au génocide de 1994. Environ un million de personnes furent tuées et deux millions quittèrent le pays. La démocratie revint au pays en 2003, lors de l’élection de Paul Kagame, représentant du RPF (Tutsi).

Le Rwanda est un exemple du pire scénario qui puisse survenir lorsque deux nations occupent un même pays. L’une des causes fondamentales d’un tel cataclysme est attribuable aux différences de pouvoirs politiques et économiques des deux tribus concernées.

 

Israël et la Palestine

Le peuple Juif a certainement constitué un cas d’exception dans l’histoire du monde. Il y a une certaine hétérogénéité au sein de cette population, mais elle forme certainement une nation, qui était jadis éparpillée un peu partout dans le monde. Cette nation sans pays était de plus en plus persécutée au XIXe siècle et au début du XXe, surtout en Europe de l’Est, où avaient lieu des pogroms, des massacres collectifs de milliers de Juifs. Leurs biens étaient pillés, surtout par le gouvernement qui en profitait pour renflouer ses coffres. Puis survint l’Holocauste nazi et sa « solution finale ». Ainsi, vers le milieu du XXe siècle, les Juifs étaient coincés entre des pays où ils ne pouvaient pas vivre, et des pays où ils ne pouvaient pas entrer.

Au début du XXe siècle, les Juifs avaient commencé à s’établir en Palestine. Ces premières communautés étaient très dépendantes de dons octroyés par la diaspora juive, surtout celle des États-Unis. En 1909, la première ville de culture hébraïque fut fondée, Ahuzat Bayit, qui allait être renommée Tel Aviv. En 1917, en vertu de la Déclaration de Balfour, le gouvernement britannique prit la région en charge et se déclara en faveur de l’établissement des Juifs en Palestine. Dès 1929, les tensions s’intensifièrent avec les Arabes, notamment en ce qui concerne le mur des lamentations. À l’époque, les décisions étaient prises par l’administration britannique, plutôt que par un principe démocratique qui aurait été en faveur de la majorité arabe.

Durant les années 1930, l’immigration juive en Palestine accéléra, ce qui augmenta le ressentiment de la population arabe et mena aux émeutes de 1933 et à la révolte de 1936-39. Lors de la Commission Peel, les Britanniques proposèrent une partition de la région en deux États, mais les Arabes rejetèrent ce plan. Par la suite, l’immigration juive en Palestine fut très rationnée par l’Angleterre, au point que la plupart des arrivants entraient clandestinement. À l’époque, le gouvernement britannique était moins sous l’influence des Rothschild et se souciait davantage de ne pas trop froisser les Arabes.

Le mandat britannique s’acheva en 1948, et les Anglais se retirèrent du pays.

C’est à ce moment que le Conseil des Juifs proclama l’État d’Israël. Cela déclencha un conflit avec les Arabes, que les forces israéliennes arrivèrent à repousser in extremis. En mai 1949, Israël fut admise membre des Nations unies. Entre 1948 et 1958, la population augmenta, passant de 800 000 à deux millions. Le conflit entre Juifs et Arabes perdura pendant plusieurs décennies, ponctué notamment de la Guerre des Six Jours (contre l’Égypte, la Jordanie et la Syrie), le Massacre de Munich (1972), la Guerre de Yom Kippur contre l’Égypte et la Syrie en 1973, les guerres contre le Liban (1982 et 2006), les deux Intifadas (1987 et 2001) et la guerre de Gaza de 2008 (et de 2014…).

En 1988, les membres de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), en exil à Alger, déclarèrent l’indépendance de cet État-nation.

Entre 1993 et 1996, des accords furent conclus (dont les Accords d’Oslo, Gaza-Jericho, la Déclaration de Washington et le Traité de Paix Israël-Jordanie).

Yasser Arafat devait prendre la tête d’un nouvel État Palestinien indépendant, mais tous ces accords étaient rejetés par le Hamas et le Hezbollah, qui continuèrent à perpétrer des actes terroristes contre Israël, auxquels les Juifs répliquent avec panache. Ces organisations terroristes/extrémistes nient à Israël le droit d’exister, rendant ainsi toute négociation impossible. Le côté juif est lui aussi divisé, et comporte des factions moins flexibles ne désirant pas négocier.

Aujourd’hui, Israël compte un plus de huit millions d’habitants, dont 75 % sont Juifs. Des murs ont été construits autour de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, au-dessus desquels les Palestiniens lancent des roquettes. Gaza est présentement sous le contrôle du Hamas, alors que la Cisjordanie demeure sous contrôle Fatah, ce qui rend la gouvernance actuelle de cet État disloquée et incohérente.

Combien de temps cette situation absurde durera-t-elle encore ?

 

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https://minarchiste.files.wordpress.com/2014/08/pays5.gif

 

L’Iraq et les pays Arabes

La plupart des conflits entre Arabes sont reliés au clivage entre Sunites et Shiites, deux variantes de l’Islam qui datent du schisme de 632. Ces deux orientations religieuses ont développé un antagonisme réciproque, une sorte d’ethnocentrisme religieux, qui induit une impossibilité de cohabiter au sein d’un même pays, surtout lorsque le gouvernement est une théocratie.

Le territoire irakien a été sous la domination de l’Empire Ottoman jusqu’à la Première Guerre mondiale, mais tomba sous contrôle britannique en 1917. Les Anglais définirent alors les frontières du pays de manière arbitraire, sans tenir compte des divisions ethniques et religieuses des habitants. Le pays est à 65 % shiite, mais c’est la minorité sunnite qui contrôlait le gouvernement jusqu’à l’invasion américaine de 2003. Saddam Hussein, le dictateur sunnite, a d’ailleurs commis plusieurs crimes de type génocidaire, qui servirent de prétexte à son exécution. Ainsi, occupée par deux nations très antagonistes, l’Iraq est une véritable poudrière.

Les Sunnites sont majoritaires au Moyen-Orient, notamment en Égypte, en Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis et en Jordanie. Le Pakistan est à 80 % sunnite, ce qui engendre une certaine instabilité. La Syrie est à 75 % sunnite, alors que l’élite gouvernementale est alawite (un sous-groupe shiite), ce qui explique en partie les conflits qui y sévissent. C’est l’inverse qui prévaut au Bahreïn, où la majorité de la population est shiite, mais où l’élite est sunnite. Le plus important pays shiite est bien entendu l’Iran. Au Liban, le Hezbollah est d’allégeance shiite. Les Talibans d’Afghanistan sont sunnites, tout comme Al-Qaeda et les Frères Musulmans.

L’autre nation importante du Moyen-Orient est la nation kurde, présente dans le nord de l’Iraq,en Iran, en Syrie et en Turquie. Le Kurdistan, dont le territoire empiète sur les quatre pays mentionnés, est une région géo-ethnique habitée par 25 millions de Kurdes, sans toutefois former un pays officiel.

Évidemment, les choses seraient bien plus simples si on pouvait bouger les jetons shiites vers l’Iran et l’Iraq, et répartir les jetons sunnites dans les autres pays, comme sur le plateau du jeu Risk. On pourrait aussi dessiner la frontière du Kurdistan au crayon autour des jetons kurdes. Le Moyen-Orient deviendrait alors du jour au lendemain une région beaucoup plus stable et pacifique. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Il faudra peut-être encore des centaines d’années de conflits et des centaines de milliers de morts avant de parvenir à une situation de stabilité, si une telle chose est possible.

 

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En rouge : le Kurdistan- https://minarchiste.files.wordpress.com/2014/08/pays7.jpg

 

Conclusion

Dans un monde libertarien/minarchiste dont les gouvernements n’interviendraient presque pas dans la vie des gens et dans l’économie, la notion de pays serait inutile.

La société mondiale serait constituée d’une multitude de gouvernements locaux assurant la protection des droits de propriété sur un territoire relativement restreint, probablement comparable à celui d’une ville.

Cependant, le monde n’est pas ainsi.

Les gouvernements interviennent dans la vie des individus à différents niveaux en fonction des valeurs, croyances et intérêts personnels de la population et des politiciens qui les dirigent. À partir du moment où les libertés individuelles sont atteintes, il sera inévitable qu’un ou plusieurs groupes de personnes au sein d’un pays seront en désaccord avec les politiques gouvernementales et se sentiront bafoués par ces politiques, celles-ci ne correspondant pas à leurs valeurs, croyances et/ou intérêts.

Étant donné le caractère ethnocentrique de la nature humaine, les valeurs, croyances et intérêts ont tendance à converger au sein de mêmes groupes ethniques. Autrement dit, les membres d’une même nation ont tendance à être davantage en accord avec les autres membres de leur nation au sujet de l’organisation de la société qu’avec les membres des autres nations.

Lorsque plus d’une nation est confinée au sein d’un même pays, et que les politiques gouvernementales adoptées entrent en opposition aux valeurs, croyances et intérêts de l’une ou l’autre de ces nations, des frictions émergent inévitablement et s’installe une forme d’antagonisme envers l’autre nation, et une attitude de confrontation. Les pays dans cette situation seront inévitablement instables, une guerre civile, coup d’État et/ou partition ne seront pas à exclure. Cette instabilité peut aussi survenir au sein d’une même nation, lorsqu’il n’existe pas de consensus au sein de celle-ci concernant les valeurs, croyances et intérêts, mais c’est beaucoup plus rare (pensez au Venezuela par exemple).

L’étude de l’histoire des pays susmentionnés conduit à constater qu’une nation peut survivre à bien des bouleversements géopolitiques.

La nation polonaise existe toujours, même si le pays a été rayé de la carte pendant plus de deux siècles. La nation ukrainienne a aussi survécu à l’invasion mongole, puis au règne des Jagellon Lituaniens, puis aux annexions russes et soviétiques.

La Catalogne a préservé sa langue distincte de l’espagnol malgré les pressions centralisatrices du royaume et la dictature franquiste.

La Norvège a conservé son identité nationale malgré l’annexion au Danemark, puis à la Suède, alors que la Finlande a été tantôt partie de la Suède, tantôt de la Russie.

La nation juive perdure depuis des siècles malgré la persécution et l’absence de pays pendant si longtemps. Le concept de nation montre donc une persistance forte grâce à l’ethnocentrisme.

Plusieurs États ont pratiqué une politique d’homogénéisation linguistique de manière à assurer l’unité d’un pays constitué de plusieurs nations, parfois avec succès comme en Ukraine (où le Russe est parlé), en France, au Royaume-Uni et en Italie, parfois sans succès comme au Canada, en Catalogne et en Belgique.

Ce genre de politique est une manière pour une nation d’en assimiler une autre, et ainsi assurer la pérennité d’un pays formé de plusieurs nations qui aurait autrement été instable.

Certains pays se sont formés à la suite d’accidents de l’histoire (alliances monarchiques, conquêtes coloniales, guerres mondiales). Les frontières de ces pays sont généralement arbitraires, générant de l’instabilité, voire même la partition subséquente du pays.

On pourrait ainsi parler de la Tchécoslovaquie, de l’Iraq, du Canada, de la Catalogne, de la Belgique et de la Norvège.

On se souviendra notamment que le droit d’autodétermination n’a pas été accordé aux peuples allemands sudètes, polonais et autrichiens, qui voulaient alors rejoindre l’Allemagne suite à la Première Guerre mondiale, alors que les alliés ont utilisé le Traité de Versailles pour affaiblir et amenuiser l’Allemagne. Ces Allemands se sont donc retrouvés cloisonnés au sein de pays où ils représentaient une minorité. L’instabilité ainsi engendrée allait évidemment contribuer à la Seconde Guerre mondiale (voir ceci).

Pour d’autres pays, la stabilité ne nécessite pas de nouvelles frontières, mais plutôt la disparition d’une frontière artificielle existante, comme en Allemagne, au Texas, en Crimée et en Italie. Quant aux pays assemblés pour des raisons économiques, certains peuvent durer lorsqu’existe une certaine unité nationale (Texas), alors que d’autres sont plus fragiles (Écosse).

Pour résumer, un pays en bonne et due forme est un territoire défini peuplé par des habitants appartenant à une même nation, c’est-à-dire un groupe d’individus démontrant une certaine cohérence ethnique. Évidemment, les importantes vagues d’immigrations observées ces dernières décennies apportent du flou au concept de nation. Cependant, la langue demeure un facteur unificateur, et les seconde et troisième génération d’immigrants finissent par s’intégrer à la nation-mère, comme ce fut le cas aux États-Unis (les Italiens de New York parlent anglais, et se considèrent Américains).

Lorsque j’observe les développements en Ukraine, en Espagne et même au Texas, j’ai un peu de difficulté avec la négation du droit à l’autodétermination par voie démocratique. Toute Constitution valable devrait inclure le droit d’un groupe d’individus à former son propre pays par voie démocratique.

En tant que libertarien/minarchiste, j’entrevois d’un bon œil les mouvements de sécession auxquels on a assisté (Écosse, Catalogne, Belgique,…), car plus la juridiction d’un gouvernement est petite, mieux c’est.

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