Alcatel : des hautes rémunérations problématiques ?

Rémunérations importantes pour les grands patrons ? Oui, mais seulement au sein d’un marché libre.

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Alcatel : des hautes rémunérations problématiques ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 3 septembre 2015
- A +

Par Emmanuel Bourgerie.

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Je ne vais pas vous le cacher : je ne suis pas en admiration devant le patron d’Alcatel-Lucent. Ni de son salaire, ni de son bonus, ni de sa position. On accuse souvent les libéraux d’avancer main dans la main avec les patrons du CAC, et ça n’a jamais été plus faux qu’aujourd’hui. De nombreux libéraux tentent de se faire les avocats du diable, de jouer la corde contrariante, de prendre de la hauteur en rabâchant les principes économiques de base, de s’accrocher tant que possible aux droits de propriété et au principe de non-agression.

Le problème avec cette rhétorique est qu’elle part du principe que nous avons une économie de marché libre et non faussée de toute intervention de l’État. Et ce n’est pas une vaine tentative de jouer la carte du No True Scotsman de ma part, mais une différence cruciale dans le fonctionnement de la concurrence.

La justification des rémunérations faramineuses des patrons part du principe que nous sommes dans une économie concurrentielle et non faussée, dans laquelle les clients ont la possibilité de passer d’une offre à une autre, où les travailleurs peuvent passer d’une entreprise à une autre, et dans laquelle les revenus d’une entreprise ne proviennent pas de la dépense publique.

En règle générale, pour les ouvriers comme pour les cadres ou les patrons du CAC40, la rémunération est comprise entre deux bornes :

  1. Si vous vendez votre force de travail au plus offrant, l’inverse est aussi vrai, et votre employeur ne vous offre pas plus que ce qu’il pourrait obtenir du prochain disposé à faire votre travail. En d’autres termes, vous ne gagnerez pas plus si quelqu’un d’autre est prêt à vous remplacer pour moins cher.
  2. De l’autre côté, votre employeur n’est pas un arbre à billets, et ne peut pas se permettre de vous payer plus que votre productivité marginale. Si votre salaire dépasse le chiffre d’affaires additionnel que vous permettez à votre entreprise de récupérer, vous êtes une perte sèche pour l’entreprise, qui n’a aucune raison de vous garder (bonjour le salaire minimum).

Donc, oui, en théorie, un patron du CAC40 peut se voir rémunérer des millions d’euros pour son travail. Oui, cela représente des siècles de salaire au SMIC, je le sais bien. Mais là n’est pas la question. Un ouvrier dans une usine n’aura jamais les responsabilités d’un patron. Non pas que je sois en train de glorifier les patrons, mais un dirigeant peut prendre des décisions stratégiques qui doubleront la rentabilité d’une entreprise (alors qu’un simple salarié, difficilement).

Donc oui, encore une fois en théorie, quand un patron du CAC40 augmente la profitabilité de son entreprise de plusieurs dizaines de millions d’euros, il est tout à fait acceptable qu’il touche plusieurs millions de rémunérations. Son action a produit une valeur ajoutée titanesque, il n’est pas choquant qu’une partie lui revienne.

Le contexte compte

Alcatel rené le honzecSauf que non. Le contexte joue. L’astérisque et les notes en bas de page ne sauraient être ignorés. Quand on a plus de 1 200 milliards d’euros de dépense publique, on ne peut pas considérer que l’on vit dans une économie saine, où le succès des entreprises correspond à la demande réelle des consommateurs. Quand on totalise plus de 140 milliards de subventions & de crédits d’impôts, on ne peut fermer les yeux devant les distributions de faveurs accordées aux secteurs qui ont su avoir un lobbying suffisamment efficace. On ne peut pas ignorer le fait que les lobbies ont leur mot à dire sur les régulations qui sont censées les « brider », et qui finissent par les protéger de la concurrence.

La rémunération en dizaines de millions d’euros mensuels de Serge Dassault ne provient pas de ses ventes d’avions de chasse grand public. Philippe Varin (dirigeant d’Areva) ne vend certainement pas son équipement nucléaire en grande surface, et n’a jamais participé à un appel d’offres biaisé pour fournir l’eau dans une commune (n’est-ce pas ?).

La réalité des grosses entreprises aujourd’hui est que leur profitabilité ne dépend qu’en partie de la performance de leurs dirigeants. Elle dépend surtout de leur capacité à obtenir des privilèges de l’État pour protéger leurs rentes, et pour gonfler la valeur de leur fortune.

Et ce n’est qu’un aspect du problème. Les rémunérations vertigineuses ne sont pas un phénomène nouveau (il s’est accentué, certes). Vous n’entendiez que peu d’outrage à ce sujet auparavant, et j’aurais du mal à croire que ce soit dû à l’augmentation de ces rémunérations. La réalité est que nous sortons de 7 (!) années de crise, avec un chômage et une précarité en hausse, et beaucoup de travailleurs qui voient leurs salaires comprimés.

Encore une fois, le contexte compte, et dans ce contexte de telles rémunérations ne passent pas.

Sauf que cette crise a été indéniablement aggravée (certains vont jusqu’à dire créée de toute pièce) par l’intervention de l’État. Les salaires ont continué d’augmenter au même rythme depuis plusieurs décennies, la seule différence est l’explosion des cotisations pour payer la dette sociale (oui, des générations entières qui n’ont pas épargné et à qui l’on promet une retraite gratuite, c’est ce que l’on appelle une « dette »), et les récentes mesures d’austérité qui ont consisté à augmenter les impôts pour combler le déficit.

J’imagine que certains pourraient blâmer le libéralisme pour la dépense publique et la retraite par répartition, mais personnellement ce n’est pas mon approche.

Je ne suis pas en train de dire qu’avec une économie libérale il n’y aurait pas de « parachutes dorés ». Il y en aura, c’est une certitude. Mais le contexte joue. Dans une économie croissante, avec moins de chômage, et une performance qui correspond plus à leur contribution réelle à la réussite de leur entreprise, les dirigeants auraient une légitimité qu’ils n’ont pas aujourd’hui.


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  • Bon article, courageux, qui montre bien le fossé entre une logique libérale et la société française telle qu’elle existe aujourd’hui. Il semble donc difficile d’y adopter immédiatement les usages libéraux sans provoquer la colère d’une population (souvent secteur par secteur: l’agriculture, ce jour).

    Le schéma est souvent le même: des promesses électorales sont crues, alors qu’elles ne seront pas réalisées: on promet le « Grand Soir », sans jamais s’en approcher. Et pourtant, il est difficile de dire que les gens vivent moins bien qu’avant!

    Quant à la rémunération des patrons, il n’est pas étonnant qu’elle puisse révolter le bon peuple, quand on sait que « les riches » ont les moyens de payer moins d’impôts que prévu et que les plus grosses sociétés paient, en France, des impôts fort légers (comme Total): en aucun cas, Fr.Hollande ne pourra se vanter « d’avoir pris aux riches pour donner aux pauvres ».

    Il n’est pas rare qu’un patron soit généreusement récompensé pour avoir augmenté les bénéfices de la société en mettant en place un plan de rationalisation avec pré-retraites et licenciements en masse ou en délocalisant une entreprise pourtant viable, vers des cieux où la main d’oeuvre sera meilleur marché.

    Comment ne pas comprendre qu’alors, bien des Français s’attachent encore et toujours à « la lutte des classes », même si, en se tournant vers les pouvoirs publics de gauche, ils n’auront ni réparation ni satisfaction!

    Mais, comme souvent rappelé, ici aussi, le libéralisme associe dans la même idée la liberté et la responsabilité. Dans les pays anglo-saxons, on voit bien que la fortune s’accompagne d’une générosité socialement quasi obligatoire quand elle n’est pas naturelle. On sait qu’il faut être vu à des soirées huppées (et chères) d’oeuvres de charité et qu’il est bon pour l’image ou de façon discrète, de participer par des dons importants à telle université, de créer sa fondation, de financer telle recherche etc …

    En France, l’état a la prétention de gérer tout cela, même si il a la chance (impressionnante, pour moi, étranger) de pouvoir compter sur autant d’associations, loi 1901, pour régler le détail et les carences, grâce à des bénévoles, le plus souvent.

    En cela, de fait, ajouté à l’absence de parti clairement libéral, il semble difficile de concilier les idées libérales et le pays France, pour le moment!

  • Entièrement d’accord, le réel vs l’idéologie. On peut etre pour la liberté, si tout le monde est libre de la meme facon et non pas juste par le biais de capitalisme de connivence ou bien de privilège de lobbying dessous de table a des instances publiques.
    Exemple : Quand les 3 opérateurs de téléphonie mobile que sont Orange, SFR et Bouygues ont été pris la main dans le sac a faire de l’entente sur les prix… certains disaient « ba ils sont libres de faire les tarifs qu’ils veulent »… oui mais non… car le marché était limité par l’Etat a eux 3, et uniquement a eux 3, donc cette entente était une entente que nous devions forcément subir en tant que consommateur… et c’est ainsi pour tout.

  • D’accord avec l’aspect capitalisme de connivence.

    Mais quid des retraites des polytocards ❓ Une retraite mensuelle de 15000, cela fait 3600000 EUR. Pour avoir moins travaillé que le patron d’Alcatel. Voir même, avoir nui au pays…
    Qu’est-ce qui le justifie ❓

    • C’est bien ça qui pose question!
      Faire le « sale boulot » de liquider du personnel ou de fermer une usine pour délocaliser, ça vaut un certain montant: je ne dirais pas une récompense.
      Augmenter le chiffre d’affaire et les bénéfices, cela, ça mérite une gratification proportionnelle.
      Mais quitter une entreprise qui va moins bien depuis votre présidence-déléguée générale et partir avec un pactole, ça ne le mérite pas mais, comme on sait, le « parachute doré » fait partie des choses qu’on discute avant de signer!

  • Les commentaires sont fermés.

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Autant il y a matière à avoir de réelles discussions sur certains sujets, autant ceux-ci sont tout simplement à côté de la plaque, et montrent que la personne n’a pas pris cinq minutes, ne serait-ce que pour se renseigner sur ce qu’est ou ce que n’est pas le libéralisme.

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