Bourse : comme un lundi (noir)

Les illusions sur la santé de l’économie mondiale ne font plus guère de doutes.

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Bourse actions Asie (Crédits SimonQ錫濛譙, licence Creative Commons)

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Bourse : comme un lundi (noir)

Publié le 25 août 2015
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Par Stéphane Montabert.

Bourse actions Asie (Crédits SimonQ錫濛譙, licence Creative Commons)
Bourse actions Asie (Crédits SimonQ錫濛譙, licence Creative Commons)

 

Sale temps pour la finance : toutes les bourses mondiales ont passé la journée de lundi dans le rouge vif. Citant des « spécialistes » mentionnés par Le Temps, « tous les ingrédients étaient réunis pour assister (…) à la pire journée sur les marchés mondiaux ». Dommage que ces mêmes spécialistes n’aient rien vu de l’orage pas plus tard que la semaine dernière…

Voilà un petit aperçu du massacre :

  • Shanghai : -8,5%
  • Hong-Kong : -5,17%
  • Tokyo : -4,61%
  • Eurostoxx 50 (grandes entreprises de la zone euro) : -5.35%
  • New York : Dow Jones -3.53%, Nasdaq -3.73%…

Il y aura peut-être une reprise « technique », mais je ne parierai pas dessus. Le mouvement de baisse est trop global et de trop grande ampleur pour que les traders du monde entier reviennent sur les marchés en se disant que le plus gros de la tempête est derrière eux.

Le grand public est maintenu dans l’ignorance par un discours à la fois rassurant et hermétique liant les variations boursières à des interactions complexes entre différentes économies et des facteurs compliqués et lointains. Que la bourse reste un domaine vaguement mystérieux convient très bien à beaucoup de gens. Pourtant, ce n’est pas très compliqué.

La stratégie des Banques Centrales

Depuis plusieurs années, les plus grandes Banques Centrales de la planète (Fed américaine, BCE pour la zone euro, BoJ pour le Japon ou encore BNS pour la Suisse) se sont données pour mot de « juguler la crise » dans laquelle se débattent leurs économies depuis 2008 et les coups de boutoir qui ont ébranlé la planète financière. Bulle des subprimes, faillite de Lehman Brothers, crise de la dette publique… Il n’est pas facile de donner une date précise à l’origine de cette politique volontariste, mais au point où nous en sommes, cela n’a plus guère d’importance.

De même, il serait trop long de faire l’inventaire de tous les crimes et de tous les mensonges commis par des banquiers centraux sans foi ni loi dans la manipulation des monnaies dont ils ont la charge. Mais, pour simplifier, quels que soient les prétextes affichés par chaque Banque Centrale, toutes les manipulations ont eu peu ou prou le même effet :

  • Des taux d’intérêt réduits à zéro, voire négatifs ;
  • Une explosion de la quantité de monnaie inscrite au bilan.

En gros, l’argent créé à profusion par les Banques Centrales a inondé certains circuits économiques mais pas forcément ceux qui étaient annoncés. Et il a terminé dans les bourses du monde où il gonfle une bulle financière aux proportions homériques.

Pourquoi, demanderez-vous ? La question dépend sans doute de chaque Banque Centrale et de ses directeurs. Certains vous dirons qu’ils n’avaient pas prévu cela, d’autres que le « soutien » des cours de bourse donnerait l’illusion d’une bonne santé économique des sociétés et que de loin en loin cela pourrait déboucher sur une reprise économique réelle… Il est difficile de trancher nettement entre la malhonnêteté et l’incompétence, mais le fait est là : depuis des années et de façon de plus en plus criante, les cours des actions des entreprise sont totalement décorrélés de l’activité économique réelle ou même prévisionnelle. Et cela n’a rien d’un hasard.

Malheureusement, les illusions ne peuvent pas durer toujours. Les bulles financières sont invariablement condamnées à éclater.

Le moment crucial

Depuis longtemps, les analystes financiers de nombreuses institutions se rendent donc bien compte que les choses ne tournent pas rond. Les objectifs économiques des entreprises ne sont pas atteints, les conditions macroéconomiques se détériorent… Et pourtant, les cours tiennent bon, les indices boursiers continuent de monter, constamment, imperméables à toute réalité !

Mais une fois qu’on a réalisé que les Banques Centrales achètent directement des actions en bourse avec l’argent qu’elles impriment, tout devient plus clair. Si vous jouez vos économies en bourse, vous ne combattez pas à armes égales avec un banquier créant de la monnaie à volonté…

Ne croyez pas d’ailleurs que je vous révèle un grand secret : les traders, pas nés de la dernière pluie, ont bien compris que depuis un certain temps les variations du marché sont artificielles. Les cours sont devenus quasiment imperméables aux mauvaises nouvelles, un fait rare qui ne survient normalement que dans les plus grandes périodes d’euphorie. Nous en sommes aux antipodes. Conclusion, il y a une autre main invisible que celle du marché à l’œuvre… Alors, autant en profiter ! Mais jusqu’à quand ?

La correction subie lundi reste mineure. Le pire est largement devant nous. Certains se demanderont pourquoi la crise a éclaté un lundi en août plutôt que n’importe quel autre jour – en prenant l’hypothèse qu’elle a vraiment éclaté hier, ce que nous ne pourrons vérifier que les prochains jours. Reste à comprendre ce qui s’est passé ce lundi.

En fait, nous avons la diffusion de deux nouvelles survenues la semaine passée. Deux nouvelles qui ont modifié la perception de la situation économique mondiale hors du discours convenu que tout-va-bien-parce-que-la-bourse-va-bien.

La première a trait aux matières premières. Les grandes sociétés d’extraction de matières premières ont fait état de chiffres très décevants, par exemple Glencore admettant une diminution de 25% des revenus et avouant que la Chine subit un ralentissement économique imprévu et de grande ampleur. La Chine est l’usine du monde ; les usines emploient des matières premières. Il n’y a pas d’indice plus limpide sur la santé de l’activité économique globale.

La seconde, remontant à ce week-end, est liée au commerce international. Le Baltic Dry index, l’indice des affrètements maritimes (c’est-à-dire le principal transport de marchandises) s’est effondré. En particulier, la route entre l’Asie et l’Europe du Nord a vu une réduction de 23% de son activité en juste une semaine.

Le principal problème avec les programmes « non-conventionnels » des Banques Centrales est que vous pouvez imprimer des billets et simuler une bonne santé financière en manipulant les cours de la bourse, mais vous ne pouvez pas simuler une consommation de matières premières ou le transport de marchandises inexistantes.

La réalité est revenue avec pertes et fracas, au moins pour un temps, sur les places financières.

Demain, cet inconnu

Il est évidemment impossible de savoir si les bourses du monde viennent seulement de trébucher sur un caillou ou si nous vivons les premières heures d’une véritable correction des cours, et leur retour à un reflet réaliste d’une activité économique mondiale malheureusement moribonde.

Toutefois, l’ampleur de la baisse et son caractère mondial tendent à montrer que tous les traders sont sur le qui-vive pour juger du dernier moment où quitter le navire – et nous pourrions bien être arrivé à ce point. Il faudrait être très naïf pour s’engager demain en bourse en pensant faire fructifier sa mise. Les interventions des Banques Centrales sont de plus en plus visibles. Si le « Père de Tous les Krashs Boursiers » n’attend peut-être pas sur le pas de la porte, la confiance n’est plus là.

bourse,crise
Les interventions massives – de la Fed ? – pour juguler les pertes sur le marché américain.

Image Zerohedge (cliquez pour agrandir)

Avec son départ, les atermoiements sur une éventuelle remontée des taux d’intérêts américains viennent eux aussi de se dissiper ; pas un directeur de la Fed n’osera prendre la responsabilité de l’inévitable crise boursière qui surviendra si la Banque Centrale américaine relève ses taux.

Les illusions sur la santé de l’économie mondiale ne font plus guère de doutes. Il faudra bien que les cours des bourses finissent par refléter cette douloureuse réalité.


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  • Bonjour,
    J’ai une question pour les spécialistes.
    Sachant que la Suisse imprime du CHF pour acheter de l’euro et en possède pas loin de 500 milliards, pourquoi la confédération (et les cantons si ils ont des dettes à l’étranger) ne se servent pas de cette manne pour rembourser leurs dettes ?
    A première vu (il doit surement y avoir un couac dans mon raisonnement), on pourrait imaginer qu’avec toute cette réserve de change, on pourrait rembourser nos créanciers que ce soit en euro et même en dollars avec un double avantage : on annule notre dette et on se débarrasse de cette quantité astronomique d’euros.

    Qu’en pensez-vous ?

    • Cela entrainerait une renegociation des contrats avec pénalités.

      Et n’irait pas dans le sens du soutien à l’euro décidé par la BNS.

    • Si tout le monde remboursait ses dettes instantanément, on perdrait la grande majorité de la monnaie en circulation, je vous laisse imaginer le Bazard. Je pense que le problème que vous soulevez est simplement liée à la politique monétaire suisse .La Suisse doit gérer la quantité de monnaie en circulation, le remboursement anticipé de dettes n’as pas forcément les effets que l’on pourrait croire.

    • La dette est en CHF, les fonds détenus (pour soutenir l’euro et maintenir le CHF bas) sont en euros. Si vous remboursez un emprunt en CHF avec de l’euro, il faut changer cet euro, et donc augmenter massivement la demande de CHF, ce qui poussera le cours à la hausse. C’est la négation de tout ce qu’a fait la BNS, donc il est logique qu’elle ne le fasse pas.

      • Exact, sans parler de la brutalité d’une remontée du Franc Suisse face à l’euro si une telle action est menée.

    • « Sachant que la Suisse imprime du CHF pour acheter de l’euro et en possède pas loin de 500 milliards, pourquoi la confédération (et les cantons si ils ont des dettes à l’étranger) ne se servent pas de cette manne pour rembourser leurs dettes ? »

      Transférer les titres de dette des créanciers actuels vers la BNS ne change pas la situation des débiteurs. Ces derniers devront quand même rembourser quelqu’un à l’échéance, peu importe qui détient les créances.

    • C’est un peu comme si vous demandiez à votre employeur de rembourser votre prêt immobilier à votre place. Au lieu d’avoir une dette à la banque, vous avez une dette vers votre employeur.
      Les patrimoines donc les bilans ne se confondent pas.

  • Il faudrait faire un liens avec les sois disant ecarts de richesse car il risque d’être radicalement changé en cas d’éclatements

  • Ça fait au moins 3 ans que ce supposé miracle chinois s’est essoufflé, content que les gens comprennent enfin la nature réelle de la bête et tout le mensonge derrière avec des statistiques totalement bidonnées.

  • « Le roi est nu ! »

  •  » Les cours sont devenus quasiment imperméables aux mauvaises nouvelles »

    Le jour de l’attentat de Charlie Hebdo, le CAC 40 a gagné 3 %.

    Sans commentaire.

  • On me dit que les 3 dernières années, le CAC40 était positif pour les actionnaires avec de +30 à 40%.

    Pendant ce temps l’économie réelle se dégradait et on entrait dans le chômage de masse.

    >>Le rapport de la bourse avec l’économie réelle est dur à comprendre. Cela effraie les grandes entreprises qui sont en bourse et les gens qui « jouent » en bourse.

    Mais c’est leur liberté.

  • Eh bien!
    Depuis le temps que certains demandent de la décroissance
    la voilà.
    Moins de pétrole (Et de nucléaire?)
    Moins de consommation
    Moins de marchandise
    Moins de nourriture?
    Moins d’eau (Potable, mais plus d’eau de mer)

    Moins d’hommes?

  • Les commentaires sont fermés.

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