Gène de l’obésité : beaucoup de bruit pour rien

La découverte du gène de l’obésité change-t-il la donne ?

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Gène de l’obésité : beaucoup de bruit pour rien

Publié le 22 août 2015
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Par Jacques Henry.

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Encore un « non-événement » scientifique qui a alimenté les rumeurs journalistiques : on a découvert le gène de l’obésité ! De plus, ce genre de nouvelle stupidement reprise par des journalistes en quête de sensationnel représente un réel danger pour des centaines de millions de personnes dans le monde qui vont finir par se persuader qu’après tout c’est de la faute de leurs gènes s’ils ont de l’embonpoint. Ils continueront à se gaver jusqu’à en mourir prématurément… Ce n’est pas du tout ainsi qu’on peut honnêtement présenter la situation actuelle des recherches sur l’obésité. Ce qu’on vient de préciser, la découverte date déjà de plusieurs années, c’est la corrélation entre les modifications ponctuelles d’un unique gène et l’apparition de l’obésité, mais de là à envisager un traitement préventif (ou curatif) il faudra attendre des dizaines d’années, pas de quoi donc se réjouir d’avance.

On comprend l’engouement journalistique quand on réalise une petite avancée dans la compréhension des mécanismes d’apparition du surpoids et de l’obésité, mais l’obésité infantile d’origine strictement génétique reste très rare, à peine 0,01 % de la population, soit une personne sur 10.000. Or aux USA, en Arabie Saoudite et dans quelques autres pays, le pourcentage de personnes en surpoids ou obèses atteint 60 % ! Il y a donc comme un fossé que la génétique ne peut clairement pas expliquer. L’obésité est le résultat de multiples facteurs dont la malbouffe et l’excès de malbouffe, le manque d’exercices physiques et un dérèglement progressif du métabolisme lorsque les tissus adipeux commencent à croître de manière anarchique ; et c’est un peu sur ce dernier point que les recherches se sont concentrées. Pourquoi certaines personnes peuvent se goinfrer ad libitum et ne grossissent pas alors que d’autres grossissent dès le premier plat de spaghetti ingurgité. Ce qui avait été montré par une équipe de biologistes de l’Université d’Oxford en 2007 est l’existence d’un lien entre l’apparition de diabète de type 2 et de l’obésité. Après une étude ayant porté sur des analyses génétiques de 3 757 personnes souffrant de diabète de type 2 et en surpoids par rapport aux mêmes analyses conduites sur 5 346 personnes ne souffrant pas de ces deux affections, il est apparu que le gène FTO, acronyme de FaT mass and Obesity, situé sur le chromosome 16 était significativement et systématiquement altéré dans le cas des obèses et diabétiques. Le problème était qu’on ignorait la fonction de ce gène et c’est là que réside l’avancée récente dans ce domaine de recherche. Les travaux publiés ce 19 août 2015 dans le NEJM (New England Journal of Medicine) précisent ce qui se passe au niveau des tissus adipeux et quelle est la cause première de l’obésité sans toutefois mentionner une quelconque approche thérapeutique possible.

Pour comprendre comment les choses se passent au niveau cellulaire, l’équipe dirigée par le Docteur Manolis Kellis de la Harvard Medical School a étudié des cultures cellulaires de tissus adipeux provenant de 52 sujets répertoriés dans les banques de données génétiques qui étaient homozygotes pour un allèle à risque présentant des mutations ponctuelles sur le gène FTO appelé variant rs1421085 et ont comparé leurs investigations identiquement conduites avec 50 échantillons de tissus sous-cutanés de sujets ne présentant ni indice de masse corporelle supérieur à 24 kg/m2 ni diabète de type 2. L’étude s’est focalisée sur un certain nombre de paramètres permettant d’aboutir à une bonne représentation du métabolisme général du tissu adipeux et en particulier du métabolisme énergétique. Il faut rappeler en effet qu’il existe deux sortes de tissus adipeux, ceux qu’on appelle « bruns » car ils contiennent des mitochondries, les usines productrices d’énergie de l’organisme, qui sont naturellement brunes car elles sont colorées par des pigments impliqués dans la respiration, et il existe un tissu adipeux qu’on peut qualifier d’inutile, plus clair car il ne contient que très peu de ces mitochondries, qui ne sert qu’à accumuler des corps gras en provoquant le surpoids et l’obésité.

Pour déterminer dans quelle mesure ce gène FTO intervient dans l’apparition du tissu adipeux clair ou blanc, une accumulation de mauvaise graisse, une série de paramètres a été suivie, dont l’expression du taux d’expression de gènes impliqués dans le métabolisme énergétique. Pour utiliser une comparaison imagée de ce qui se passe dans l’organisme, il y a deux sortes de sources d’énergie, les sucres et les graisses. Les sucres, c’est comme de la paille, ça brûle vite et ce n’est utilisé qu’en cas d’urgence, en dehors du cerveau qui ne peut utiliser que cette source d’énergie. Les graisses sont comme le pétrole, elles sont beaucoup plus riches en énergie et constituent le réservoir disponible en continu à condition qu’elles soient correctement stockées dans les tissus adipeux bruns car les mitochondries sont capables de les dégrader rapidement pour satisfaire les besoins en énergie de l’organisme. Comme ce processus met en jeu des dizaines d’activités enzymatiques différentes, le seul moyen pour comprendre le rôle du gène FTO dans cette histoire était d’ « éteindre » les uns après les autres les gènes de chacune de ces activités en utilisant, entre autres techniques, l’outil fantastique que constitue le CRISPR dont j’ai déjà parlé dans plusieurs billets de ce blog.

Deux gènes dont l’expression a été démontrée comme étant sous la dépendance du gène FTO ont été identifiés et ils interviennent dans la thermogenèse, c’est-à-dire la dissipation d’énergie sous forme de chaleur par les mitochondries. Quand le gène FTO est défectueux, ces deux gènes (IRX3 et IRX5) sont plus intensément exprimés et les graisses ne sont plus « brûlées » normalement. Il en résulte une accumulation de ces graisses et une raréfaction progressive des mitochondries. Ces gènes codent pour des protéines favorisant une dissipation de l’énergie lors de l’oxydation des acides gras par les mitochondries. Le gène FTO, lorsqu’il est défectueux, et ces défauts sont légèrement plus fréquents chez les sujets obèses, conduit donc à une déviation du métabolisme qui ne produit plus de chaleur – processus participant à l’équilibre général de l’organisme – mais au contraire favorise l’accumulation de graisses, l’augmentation des triglycérides circulants et une diminution de la consommation d’oxygène.

On en arrive donc à partir de ce qui est observé au niveau des cultures de cellules au tableau pathologique de l’obésité : le manque d’exercice physique correspond très exactement à la diminution de la demande en oxygène au niveau cellulaire, la non disponibilité des acides gras pour la fourniture d’énergie compte tenu de la raréfaction des mitochondries dans le tissu adipeux « inutile » conduit par voie de conséquence à une sensation de faim accentuée par le besoin de régulation de la température du corps qui ne peut plus être assurée par l’oxydation des graisses, d’où l’envie de sucreries et là c’est le cerveau qui décide. Le malade, car l’obésité est une maladie, n’a plus aucun pouvoir pour refréner son emballement à se nourrir plus que de mesure.

Tout se passe donc au niveau du gène FTO qui semble, selon les travaux exposés dans ce récent article, être un facteur d’expression d’une série de gènes impliqués étroitement dans la thermogenèse et la balance énergétique des cellules et donc de l’organisme tout entier.

René Le Honzec
René Le Honzec

Il fallait trouver des preuves validant ce mécanisme de régulation et ce fut fait en utilisant des souris chez lesquelles on avait « éteint » l’expression du gène IRX3. Le résultat fut presque spectaculaire car ces souris étaient incapables de prendre du poids quand elles étaient soumises à un régime riche en graisses, dépensaient plus d’énergie sous forme de chaleur et leur tissu adipeux était majoritairement « brun ». De plus elles consommaient plus d’oxygène de nuit comme de jour.

Le gène FTO perturbe donc non pas directement la modification des adipocytes du type « brun » utiles pour l’homéostasie vers le type « blanc » inutile mais en modifiant l’expression de quelques gènes seulement. Ce gène intervient déjà aux stades précoces de différenciation cellulaire conduisant soit aux adipolyses bruns soit aux adipocytes blancs inutiles. Cette étude lève donc un coin du voile masquant les mécanismes de l’apparition de l’obésité mais la prédisposition génétique n’explique pas tout, loin de là. Une hygiène personnelle générale restera toujours l’une des meilleures approches pour éviter de prendre inconsidérément du poids…

Les amateurs de science peuvent se plonger dans la lecture passionnante de l’article du NEJM disponible en ligne et dont voici le lien.

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    • Non l’exercice seul ne fera pas maigrir, c’est un ensemble qu’il faut effectivement gérer : alimentation ET exercice physique. Ce n’est pas nouveau, ce n’est pas contredit par la science.

  • Mouarf, le gène de l’obésité…

    N’importe qui avait déjà compris que certaines personnes ont tendance à être plus enveloppées que d’autres, et qu’elles sont comme ça quoi qu’elle fassent… Aussi bien chez des hommes, que des femmes.

  • Donc ça voudrait dire qu’il faudrait que j’arrête de me baffrer à toutes heures du jour et de la nuit de saloperies sucrées et grasses (Les deux même c’est encore meilleur) assis sur le canapé à regarder les Rediff. de « plus belle la vie »!!!!

    Mais!!!!

    c’est une atteinte à ma liberté!!!
    De la stigmatisation!!!!
    J’ai le droit!!!! (Par définition )

    En plus de ça c’est pas ma faute si je suis pas sportive [Réellement entendu dans une une pente (Pas une côte) d’un être plutôt mou du bide « Pédalant » à vélo, à son accompagnant (Un ami?) qui lui suggérait un petit effort].

    D’ailleurs la notion de faute doit être supprimée cela peut me troubler psychologiquement gravement et être de nature à défavoriser mon développement voire à favoriser la régression (Régression c’est pas bien)

    La notion d’effort aussi, l’effort c’est plutôt de droite alors c’est pas bien.

    Assistez moi!!!!!!!

    j’insiste,

    assise, Saint François!!!!!! (A genoux tu préfère?)

  • « de là à envisager un traitement préventif (ou curatif) il faudra attendre des dizaines d’années »

    C’est tout le problème avec la médiatisation de la science. On laisse croire que parce que l’on cherche, on va trouver et trouver rapidement quelque-chose d’utile – alors qu’en fait on ne sais même pas ce qu’il faut chercher et où, et quel chemin reste à parcourir …

    On crée de faux espoirs, ou pire on induit des comportements imprudents basés sur une anticipation de solutions qui ne sont que pures spéculations totalement déconnectées de la réalité.

    Pour celui qui veut orienter sa carrière, les domaines ouverts par les récentes avancées scientifiques sont intéressants. Pour les autres … mieux vaudrait ne pas les prendre trop au sérieux. C’est comme la probabilité d’un tirage du loto : les tirages précédents n’ont pas d’influence sur les futur tirages !

  • les gens adorent croire à l’idée que c’est pas leur faute…alors certes tout n’est pas notre faute ; mais dans le cas de l’obésité, il y a quelques évidences en effet..

    • Oui mais c’est là qu’on comprends mieux: prendre conscience de sa silhouette demande au moins d’être en âge scolaire si pas dans le début de l’adolescence.
      À l’adolescence, il est clair que l’aspect physique devient très important.
      Si à cet âge, votre « constitution » (comme on appelait avant, les manifestations génétiques héréditaires: j’ai encore vu hier 2 frères: un « rond » (comme sa maman) et l’autre, un « clou » (comme son papa)!)
      La vie est injuste mais à 15 ans, on en souffre!
      Cette répercussion psychologique peut expliquer certains cas de troubles nutritionnels (boulimie, anorexie, abandon auto-destructeur: pas facile de n’être que la « bonne copine », jamais la « petite amie »!

      • Oui mais on en souffre parce qu’on a des critères physiques qui dévalorisent les gros…et les grosses… être moche c’est dur aussi, être petit aussi, alors bien sur dans ces cas là les troubles en réponses sont plus difficiles à saisir…
        Est ce que traiter la rondeur comme un problème ne participe pas à la construction du problème de l’obésité? Peut être mais pas en majorité.
        Je ne suis pas certain que l’augmentation du taux d’obésité soit liée à des problèmes d’image conduisant à des comportements nutritionnels anormaux…. C’est une minorité.

    • Il ne faut rien exagérer en disant que c’est la faute des individus. Les taux d’obésité ont été dérisoires pendant des centaines de millénaires. Puis très rapidement, le taux est monté à 10, 20 voire 30% selon les endroits.

      Donc de deux choses l’une : soit par une incroyable coïncidence, des gens ont décidés de se laisser aller tous en même temps… soit il y a effectivement des causes qui ne se situent pas au niveau individuel. Par exemple le fait qu’une grande partie de la population passe sa journée assis dans un bureau parce que désormais c’est comme ça qu’on gagne sa vie, ou bien le fait que la nourriture ne s’obtient plus par un effort physique (sauf si on considère que pousser un chariot dans un supermarché est un effort physique). Bref, il y a beaucoup de choses qui expliquent la situation, et bien évidemment, il n’y a aucune raison que 100% fasse ce qu’il faut pour compenser ces causes de surpoids. Dans de nombreux domaines, on ne se débarrasse pas des vraies causes, et on espère compenser par une action qui jouerait le rôle de béquille (par exemple, mettre scanners dans les aéroports pour contrer le terrorisme, alors que pendant des décennies, celui-ci n’a pas existé dans l’aviation). Et dans tous les cas, on arrive *jamais* à vraiment compenser. C’est logique : quand la cause d’un événement existe toujours, alors sa conséquence existe toujours. C’est mathématique. Donc tant que l’on continuera à passer nos journées dans un bureau et à manger en poussant un chariot, on continuera obligatoirement à avoir de l’obésité.

  • Très honnetement je ne vois pas pourquoi un obèse se gaverait davantage s’il savait que ses gènes sont responsable du fait que « tout ce qu’il mange lui profite ». La réaction peut être complètement inverse : si l’on sait que c’est génétique, on écarte du coup les autres causes, et l’on peut mieux ajuster son régime pour conserver une bonne espérance de vie sans enfler comme une barrique.

    Sur quoi se base l’auteur pour faire une si bizarre déduction comportementale ?

  • bonjour merci pour ces recherches bon courage

  • Le problème est une nourriture trop riches en glucides à haut index glycémiques…

  • Les commentaires sont fermés.

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