Qu’est-ce qu’un pays ? (1)

Dans quelles conditions un pays se crée, disparaît et peut perdurer pacifiquement. Premier épisode de la série.

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Qu’est-ce qu’un pays ? (1)

Publié le 9 août 2015
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par Le Minarchiste

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Qu’est-ce qu’un pays ? Question simple, mais pas évidente à résoudre ! Surtout après l’annexion de la Crimée à la Russie, le référendum survenu en Écosse concernant une séparation du Royaume-Uni, celui qui demeurera toujours dans l’actualité au Québec concernant la séparation du Canada, ainsi que la séparation éventuelle de la Catalogne en Espagne.

Un pays est en quelque sorte une entité géopolitique, c’est-à-dire que ses frontières définissent un territoire assujetti à un gouvernement. Par ailleurs, une nation est définie par une origine ethnique, un langage et une culture. Lorsque les deux concepts coïncident, on parle alors d’État-nation. Si tous les pays étaient des État-nations, il serait facile de définir ce qu’est un pays et dans quelles conditions on peut le reconnaître comme légitime. Cela dit, l’histoire de la civilisation est complexe et chaotique, ce qui a fait en sorte que très peu de pays sont actuellement des États-nations.

La conséquence de cet état de fait est que de nombreux conflits surgissent dans le monde depuis des centaines d’années. La plupart des conflits opposent des gouvernement qui tentent d’agrandir le territoire sur lequel ils peuvent gouverner et taxer, à des nations qui entretiennent le désir de demeurer indépendantes. Évidemment, plus l’État est accaparant, c’est-à-dire que plus le gouvernement intervient dans la vie des gens, moins il est facile de maintenir la coexistence pacifique de différentes nations au sein d’un même pays.

Le phénomène qui influence le plus la géopolitique est l’ethnocentrisme. Certains groupes d’humains partagent des similitudes physiques, une même langue et parfois aussi des valeurs, habitudes culinaires et un tempérament similaires. Les membres de ces groupes développent une appartenance les uns envers les autres ainsi qu’un certain antagonisme envers les autres groupes. L’ethnocentrisme engendre le patriotisme, le nationalisme et même le fanatisme. C’est l’ethnocentrisme qui fait ou défait les pays. Il agit comme une force centrifuge qui unit les habitants formant une nation et les tourne vers eux-mêmes. (Voir mon article sur la politique ici)

Dans cet article, nous allons analyser l’histoire de quelques pays qui nous apprendront ce qu’est vraiment un pays, dans quelles conditions un pays se crée ou disparaît et dans quelles conditions un pays peut perdurer pacifiquement.

L’Ukraine et la Crimée

L’histoire de l’Ukraine est très complexe. Ce pays a été au centre de querelles territoriales entre la Russie, la Pologne, l’Autriche-Hongrie et l’empire Ottoman. Malgré l’émergence d’une population culturellement distincte, un État-nation n’a pas été possible jusqu’à l’accès à l’indépendance après la première guerre mondiale. Cette indépendance fut de courte durée puisqu’elle fut annexée à l’URSS dès 1922, ne devenant qu’une province communiste sans pouvoir. La Crimée y fut attachée en 1954, par simple formalité administrative. Puis, suite au démantèlement de l’URSS, l’Ukraine est, par défaut, devenue un pays indépendant. Mais ce pays est présentement déchiré du fait qu’il est habité par deux nations aux intérêts opposés.

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De nos jours, le pays est divisé entre l’Ouest, voulant faire partie de l’Europe, l’Est davantage tourné vers la Russie, et la Crimée, dont la population est à majorité Russe. Cette division culturelle date de la fin du XVIIIème siècle, lorsque l’Ouest appartenait à l’Autriche et l’Est à la Russie, dont le régime tentait de faire régresser la culture et le langage ukrainiens de manière à assimiler cette population.

Récemment, la Crimée a voté pour son annexion à la Russie lors d’un référendum populaire. Le gouvernement de Poutine a soutenu une rébellion dans l’Est de manière à rapprocher cette région de la sphère d’influence russe. Vladimir ira-t-il jusqu’à reconquérir le Rus’ de Kiev, reconstruisant l’héritage de Vladimir 1er, fondateur de la Russie ?

La Russie

Le berceau de la Russie est (curieusement) à Kiev, en Ukraine, au IXème siècle (Rus’ de Kiev). Sous le règne de Vladimir, le territoire s’étend et en 988, l’État se convertit au christianisme orthodoxe, qui devient religion d’État et l’un des facteurs de l’unité nationale russe. Lors du schisme de 1054, la Rus’ reste fidèle à l’orthodoxie, alors que les Slaves de l’Ouest (Polonais, Tchèques, Slovaques) ainsi que les peuples baltes, passent dans l’obédience de Rome ; les Finnois se divisent : ceux de l’ouest (les futurs Finlandais et les futurs Estoniens) passent dans l’obédience de Rome, tandis que ceux de l’est restent orthodoxes. Plus tard encore, les Finlandais, les Estoniens et une partie des Lettons deviendront protestants. La religion est donc un facteur déterminant dans la partition des cultures slaves en différentes nations.

En 1226, le Rus’ de Kiev est envahi par les Tataro-Mongols (dont fait partie le petit-fils de Gengis Khan, Batou). Cette invasion laissera une marque indélébile sur la culture russe. Plus tard au XIIIème siècle, la principauté de Moscou se met à annexer progressivement les autres principautés et se met à combattre les Mongols. Dans la seconde moitié du XVème siècle, Ivan III monte sur le trône et achève la libération de la Russie de l’emprise des Mongols. Le premier prince à recevoir la désignation de Tsar est Ivan IV, dit « le Terrible » qui poursuit l’expansion du territoire (de manière à reconstituer l’héritage de Vladimir), mais ne possède toujours pas Kiev, qui est aux mains des Jagellon de Lituanie, qui régnaient aussi sur la Pologne à l’époque et avaient repoussé les Tataro-Mongols de la région Ukrainienne (1362). Les Jagellon sont protestants, une différence culturelle notable avec les russes orthodoxes (qui perdure encore aujourd’hui). Les Tatars sont alors repoussés en Crimée. À noter, que l’un des souverains Jagellon de l’époque, Ferdinand 1er, est un Habsbourg fils de Jeanne la Folle, elle-même fille de Ferdinand II d’Aragon et Isabelle 1ère de Castille, couple fondateur de l’Espagne, dont nous parlerons plus loin. Le monde est petit !

Ainsi, on peut comprendre pourquoi l’Ukraine, et surtout la Crimée, ont des cultures différentes de la Russie, ayant tardé à joindre cette fédération et ayant été sous le contrôle d’abord des Tatars, puis du royaume Jagellon pratiquant une religion différente. Concernant le langage russe, les politiques centralisatrices de Pierre le Grand et de Catherine II l’ont standardisé et imposé à l’ensemble du territoire Russe au XVIIIème siècle (époque où l’Ukraine fut en partie absorbée par la Russie). Les politiques de l’URSS l’ont ensuite encore davantage imposé, parfois même de manière brutale, ce qui explique pourquoi plus de la moitié des Ukrainiens actuels utilisent le russe comme langage quotidien.

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  • Mais beaucoup d’Ukrainiens, y compris nationalistes, n’utilisaient que le russe et même ne connaissaient pas la langue ukrainienne.

    J’ai du mal à voir quelle est l’identité de la nation ukrainienne aujourd’hui.

  • On peut ajouter à ce tableau le déplacement des populations à l’intérieur de l’empire russe, l’industrialisation du Dombass et l’installation de ports russes en Mer Noire et la fondation de villes dans le cas de l’Ukraine (la cosmopolite Odessa par exemple), puis en URSS où l’on ne compte plus les exemples, avec de nombreux cas tragiques.
    Concernant les locuteurs de l’ukrainien, si ils sont allé à l’école avant 1991 ils ont toutes les chances de parler le sourjik mélange fautif d’ukrainien et de russe, tout le monde comprend le russe.
    Une anecdote ; en ukrainien on utilisait un mot identique au russe pour dire parapluie, mais récemment est ressorti Le mot ukrainien inconnu de tout le monde ce qui fait bien rire mes amis Ukrainiens non politisés.

  • En tant que Breton assujetti à l’état français, j’apprécie cet article.

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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