Éleveurs et l’argent d’Uber

Face à la grogne des éleveurs, le gouvernement préfère les solutions d’urgence aux solutions durables.

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Éleveurs et l’argent d’Uber

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 23 juillet 2015
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Face à l’urgence, le gouvernement réagit. Mal.

Face à la colère – et à la détresse – des éleveurs, les Français se retrouvent une fois de plus pris en otages. Comme ils l’avaient été par les taxis quelques semaines plus tôt. S’il est difficile d’approuver le mode opératoire des éleveurs, et encore moins celui des chauffeurs de taxis, force est de constater que leur détresse est bien réelle. Alors que les conditions de marché se détériorent, ils ont du mal à boucler leurs fins de mois et honorer leurs dettes.

avenir de l'agriculture rené le honzecMais les Français, victimes de la gronde des taxis et des éleveurs, n’y sont pour rien. Le responsable, c’est l’État.

Dans le cas des taxis, c’est l’État qui leur impose la licence et qui ne fait rien pour éviter que les licences – délivrées gratuitement – se revendent à des prix exorbitants. Dans le cas des éleveurs, c’est l’État qui impose les normes qui écrasent les exploitants et distribue les aides qui empêchent la modernisation du secteur.

Car le problème des éleveurs n’est pas conjoncturel mais structurel, comme le montre cet article d’Alain Mathieu, paru dans les Enquêtes du Contribuable qui explique entre autres comment :

  • L’interventionnisme agricole a conduit à des normes absurdes, qui compliquent et alourdissent le travail des agriculteurs ;
  • Les aides agricoles sont mal distribuées et financent largement les grandes exploitations, l’administration et les syndicats agricoles ;
  • Les subventions et aides diverses sont un frein à la modernisation de l’agriculture.

Sur ce point, l’article cite les syndicats agricoles néo-zélandais :

« Les subventions restreignaient l’innovation, la diversification et la productivité en corrompant les signaux et nouvelles idées des marchés. Cela amena un gaspillage des ressources et un impact négatif sur l’environnement. Une grande part des agriculteurs de pâture avait une exploitation dans le seul but d’obtenir les subventions. L’arrêt des subventions a donné naissance à une économie rurale vivante, diversifiée et durable. Les agriculteurs néo-zélandais sont fiers de leur indépendance et sont décidés à ne jamais plus être soumis aux subventions gouvernementales. »

Sans aides agricoles, il y aurait moins d’agriculteurs. Mais il y aurait des agriculteurs rentables, indépendants, innovants, durables. Les moins rentables auraient certes dû se séparer de leur exploitation, mais la consolidation du secteur aurait permis sa modernisation et favorisé son dynamisme. Il est évidemment difficile pour un éleveur d’entendre qu’il devra se séparer de son exploitation. Il aurait été plus facile de l’entendre hier qu’aujourd’hui, et plus facile aujourd’hui que demain.

C’est un discours difficile, mais nécessaire. Malheureusement pour les éleveurs et les Français, le gouvernement préfère les solutions d’urgence aux solutions durables. Les agriculteurs ont raison quand ils affirment que le plan d’urgence du gouvernement ne suffira pas à sauver le secteur : rien ne pourra le sauver. Ni ce plan, ni aucun plan du même ordre ne permettra aux éleveurs de « vivre dignement » de leur activité.

Parce qu’il ne leur permettra pas de vivre de leur activité ; les éleveurs sont condamnés à vivre de la générosité de l’État, donc du contribuable. 30% des revenus des agriculteurs européens proviennent des subventions.

Et parce qu’il ne leur permettra pas de l’exercer dignement. Librement. L’État continuera d’exiger des contreparties, de réglementer la taille des concombres et de leur dire comment mener leur exploitation – tout en distordant le marché, les empêchant de prendre les bonnes décisions quand il ne les leur impose pas directement.

Incapable de se remettre en question, le gouvernement s’attaque à l’arbre qui cache la forêt. Il fait en sorte de maintenir un peu plus longtemps la situation structurellement intenable des éleveurs. Il cède à la pression des exploitants, encouragés par le précédent des taxis et par l’ode à l’irresponsabilité d’un gouvernement qui prône l’effacement des dettes et ne tient pas ses engagements (sur des sujets aussi cruciaux que le déficit public, la croissance et l’emploi).

Il devient coutumier en France de résoudre les urgences, pas les problèmes. Qu’on leur donne un micro et nos politiciens s’enflamment, cédant courageusement à la pression de la rue, annonçant avec conviction des mesures sans avenir. Si la France est bloquée, ce n’est pas tant par les taxis et les éleveurs que par sa classe politique.

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  • Le plan de 600 millions accordé par le meilleur ami de Culbuto est l’exemple typique d’une dépense nouvelle qui doit faire l’objet d’une validation par référendum réservé aux Français en charge de le financer. Si la France était réellement la démocratie qu’elle prétend être, elle appliquerait le principe démocratique élémentaire fondamental : qui paye décide.

    D’ailleurs, puisque le sort des éleveurs semble mobiliser la sympathie des Français, il ne fait pas de doute que les payeurs seront d’accord pour financer volontairement l’aide promise. La validation budgétaire par un vote qualifié ne présente dès lors aucune espèce de difficulté.

    • En Suisse, il existe un procédé nommé « frein à l’endettement ». Il oblige les instances publiques à demander son avis au contribuable dès qu’une dépense dépasse un certain montant.

      Cela existe aussi dans toute entreprise (ou association) ou chaque responsable ne peut engager dépasser une certaine somme de dépense. Au-delà, il doit en référer à son supérieur ou à la direction.

      On se demande bien pourquoi (enfin, on devrait se demander pourquoi) ce n’est pas d’office comme cela au niveau politique.

      • Ce qui est valable pour la dette l’est tout autant pour n’importe quel budget public national ou local. Le contrepouvoir intangible de ceux qui financent l’Etat et ses excroissances est l’essence même de la démocratie, la condition de la salubrité de la politique. C’est l’expression réelle du consentement à l’impôt qui implique nécessairement le contrôle de l’action des élus comme de celle des administrations, à commencer par leurs moyens financiers. Dans une démocratie moderne, il n’est plus tenable de donner un chèque en blanc aux élus ou aux administrations, en se limitant seulement aux promesses faites par les uns ou à la bonne mine des autres. Ce n’est parce que les élus sont désignés par élection que, pour autant, leur action quotidienne, notamment au plan budgétaire, ne doit pas être placée sous un contrôle strict au jour le jour.

        Si l’aide accordée aux éleveurs est justifiée, il n’y aucune raison de penser que les payeurs dont on prétend mobiliser les ressources à cette fin n’acceptent pas de la valider par référendum. Inversement, si le résultat du référendum devait être négatif, c’est que l’aide n’était pas justifiée. Dans ce cas, les éleveurs devront comprendre la nécessité d’adapter leur activité pour se mettre au niveau de leurs concurrents et l’Etat devra admettre qu’on n’écrase pas impunément un secteur économique sous les normes et les taxes sans prendre le risque de le ruiner.

        La validation des budgets par vote qualifié : qui paye décide. La démocratie moderne, simple, efficace, et sans bavure.

        • Je suis d’accord avec vous, bien sûr. Mais les problèmes actuels viennent quand même tous du même mécanisme: il y a, en France, comme ailleurs, un contrôle des dépenses par la cour des comptes: mais on sait bien que les horreurs qu’on peut y lire chaque année restent lettre morte: si la cour des comptes pouvait devenir le comptable de l’état, n’ouvrant pas la vanne financière sans que la dépense soit réellement justifiée, la gestion serait plus rigoureuse.

          Autres facteurs: il n’y a guère, au niveau de l’état ni audit avec étude des besoins à la fois dans la gestion et sur le coût réel de la gestion. Manifestement le budget « se laisse écrire » jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’il n’a pas été suivi!

          Mais comment faire autrement quand on ne remet pas en cause l’organisation, en répétant d’année en année, les mesures inefficaces dont le coût persiste ou s’aggrave.
          Sans réforme de fonds, sur une ligne directrice claire, le gouvernement est forcément amené à réagir au coup par coup, dans l’urgence et dans l’improvisation à un moment où les interlocuteurs sont trop énervés pour discuter calmement et raisonnablement!
          Il y a des solutions (le bio, la diversité, le commerce à la ferme, les coopératives pour diminuer les investissements par la collaboration. Si il y avait un principe communiste qui fonctionnait, c’était la mise en commun des moyens de production! (qui a été à la base du club méd, dans les bonnes années).

          Tant qu’un gouvernement n’ose pas s’attaquer à une réforme de fonds, avec des idées claires, toute tentative est vouée à l’échec! (mais une réforme a un coût, avant de rapporter par ses économies!).

  • Ajoutons à l’argumentaire de Baptiste Créteur un autre facteur : la fermeture du marché russe, conséquence directe des sanctions européennes à l’encontre de la Russie, ont aggravé les excédents agricoles européens, donc français. Encore une action idiote des états interventionnistes et aveugles.

    • C’est une décision européenne: vous êtes dedans ou dehors?

      • Une décision initiée par le conseil des ministres européens, c’est à dire les états, pas une institution extérieure.

        • Il est clair que je n’approuve en rien le poids de ce conseil européen des ministres (nationaux), des chefs d’état et de gouvernement, qui, en secret de ce qui se dit et par qui, décide jusqu’à l’an passé, de tout, montrant par là combien ces membres de l’exécutif, non élu ou aussi vaguement que F.Hollande avec < 52% de suffrages exprimés. Je suis complètement favorable à une approbation obligatoire du parlement sur un maximum de mesures: ces caucus ou le plus lâche des chefs d'état ou de gouvernement imposait ce plus petit commun dénominateur qui a freiné des 4 fers devant une intégration politique européenne ambitieuse!

          Maintenant, la stupidité de ces sanctions, je ne suis pas sûr! Même si je sais bien que cela a empêché la France de jouer les marchands de canon avec 2 frégates!

      • @Mikylux : une décision européenne comme vous dites, stupide, comme vous oubliez de rajouter…

        • Non, c’est l’une des rares fois où l’Europe a agit intelligemment, l’économie russe est dans une situation bien pire actuellement que l’économie euro 🙂

          • Ils en pâtissent plus que nous alors c’est une bonne chose ? Non, cela s’appelle une décision perdant – perdant.

          • @SweepingWave : c’est bien ça, la logique du pire, suivons aveuglement les USA dans leurs délires, eux le font avec un but pour leur économie, et nous le faisons car eux l’ont décidé…

    • Non désolé mais non : par rapport à la taille totale du marché agricole français le marché russe à l’export est insignifiant, surtout qu’une réorientation vers les pays d’Asie et Moyen-Orient est plutôt aisée à faire vu les besoins de ces pays.

      • Tiens, un fokon – yaka de votre part, cela m’étonne.
        Quand on gère une entreprise en étant perpétuellement sur la corde raide, tout déséquilibre, surtout aussi imprévisible, et même s’il est – vu d’en haut en mode macro – insignifiant, fait basculer l’entreprise sur la mauvaise pente.

      • @SweepingWave

        Un surplus de 3% sur un marché peut résulter en une baisse des prix de 10 ou 30%. Il n’y a pas de règles car ça dépend de pas mal de facteurs : élasticité, produits périssables ou pas, organisation du marché, transportabilité etc…

  • C’est un problème humain très répandu. Je le vois tous les jours au taff, on règle les urgences, pas le problème.
    Régler le problème signifie souvent partir dans un truc compliqué sans être sûr d’y arriver, nettoyer souvent des situations inutilement complexes avec des effets de bord inconnu. L’urgence est plus simple à régler et ça assure du travail à vie pour certains.

  • Beaucoup d’abattoirs sont communaux ou régionaux, (subventionnés par nos impôts, car souvent à perte) ???

    Autrement dit, fonctionnarisés et syndicalisés sur le modèle CGT… (Tout comme nos entreprises à monopole d’état et notre Sécurité Sociale)

    De ce côté, surement un gros problème de mauvaise gestion, surnombre de « fonctionnaires » = faibles présences au travail + faiblesse des horaires d’activités…

    Donc des coûts de fonctionnement très élevés et une mauvaise rentabilité (improductivité) …

    Le tout, payé par les éleveurs et nos impôts communaux…

    Une gestion au détriment du consommateur et des paysans avec sont cortège d’avantages acquits, « syndicalement et à vie » …

    La mort programmée de notre Économie par une certaine gauche…

  • une seule chose intéresse François Hollande: sa réélection en 2017.

    Il est prêt pour cela à distribuer des sucettes à tous les capricieux.
    Les enfants, allez-y, la distribution est gratuite( c’est l’état qui paye) !

  • L’Allemagne a un secteur agricole très dynamique alors qu’elle a aussi l’euro, les normes européennes, le statut de pays développé…Pourquoi trompe-t-on les agriculteurs et les gens en rejetant la faute sur le prix trop bas de la viande alors que c’est un problème de règlementation ?

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Xavier Hollandts est professeur associé à la KEDGE Business School. Docteur et HDR en sciences de gestion, il enseigne l’entrepreneuriat et la stratégie. Spécialiste des questions agricoles, il intervient régulièrement sur ces sujets dans les médias. Ses travaux académiques ont notamment été publiés dans Corporate Governance, Journal of Institutional Economics, Managerial and Decision Economics, ou la Revue Économique.

 

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