Homo economicus averse au risque

Qu’est-ce que le principe d’utilité marginale décroissante ?

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Homo economicus averse au risque

Publié le 16 juillet 2015
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Par Guillaume Nicoulaud.

Considérez l’alternative suivante : option A, nous jouons à pile ou face avec pile, vous gagnez 200 ducats et face, vous ne gagnez rien ; option B vous gagnez 100 ducats de manière certaine. Face à ce choix, la réaction immédiate consiste à évaluer l’espérance mathématique de l’option A ; une chance sur deux de gagner 200 ducats et autant de ne rien gagner du tout ce qui nous donne une espérance de gain de 100.

E(A)=1/2×200+1/2×0=100

On en conclut que ces deux options sont strictement équivalentes et donc, qu’un individu parfaitement rationnel devrait être incapable de choisir l’une ou l’autre.

Sauf que, dans la pratique, la plupart des gens choisissent l’option B et partent avec les 100 ducats.

L’explication, le principe de l’utilité marginale décroissante, c’est sans doute Daniel Bernoulli qui, le premier, l’a formulé de manière claire et non ambiguë1. Très simplement, c’est le principe qui veut qu’un gain de 200 ducats ait beaucoup plus de valeur quand on est très pauvre que quand on est très riche ou, comme le note Bernoulli, que « tout accroissement de richesse, aussi insignifiant soit-il, résultera toujours en un accroissement d’utilité2 qui est inversement proportionnel à la quantité de biens déjà possédés. »

Incidemment, on déduit du même principe que la fonction d’utilité d’un même individu est concave ; c’est-à-dire que quel que soit son niveau initial de richesse (W) et pour tout montant d (avec dW), une perte de d détruit plus d’utilité que n’en génère un gain du même montant. En notant u, la fonction d’utilité :

|u(W−d)|>u(W+d)

En reprenant notre exemple avec la fonction d’utilité proposée par Bernoulli — u(W)=ln(W) — et en supposant un niveau de richesse initial de 1 000 ducats, on vérifie facilement que :

1/2xln(1200)+1/2xln(1000)<ln(1100)

C’est-à-dire que, mesurée en terme d’utilité, l’espérance de gain de l’option A (pile ou face) est inférieure à l’utilité générée par l’option B (ln(1100)) ; raison pour laquelle c’est cette option qui est choisie dans les faits3 — on appelle ça de l’aversion au risque.

Partant, on peut estimer la prime de risque, c’est-à-dire le montant minimum qu’il faudra ajouter dans le cas où la pièce tombe côté pile pour inciter le joueur à choisir l’option A. Dans notre exemple, c’est la valeur de π pour laquelle :

1/2xln(1200+π)+1/2xln(1000)=ln(1100)

Vous pouvez facilement vérifier qu’avec π=10, on arrive à satisfaire cette égalité ; c’est-à-dire qu’un individu qui, par hypothèse, réagit selon la fonction d’utilité de Bernoulli et dispose d’une fortune initiale de 1 000 ducats considèrera que les options A et B sont équivalentes. De là, on conclut qu’un individu rationnel ne choisira systématiquement l’option A que si et seulement si l’espérance de gain de cette dernière est supérieure de 5% à celle de l’option B.

Généralisons : si nos fonctions d’utilité sont bien concaves (i.e. nous sommes averses au risque) et en supposant que nous agissons de façon parfaitement rationnelle, l’espérance de rendement des actifs risqués devrait toujours être supérieure au taux sans risque.

Sur le web

  1. Daniel Bernoulli, Specimen theoriae novae de mensura sortis (1738).
  2. Utilité au sens économique du terme c’est-à-dire, en gros, une « quantité de bien être ».
  3. Et ce, avec d’autant plus d’intensité qu’on est pauvre.
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  • Intéressant de constater cette négation du comportement réel au nom de la théorie. Qu’est-ce que cela pourrait inspirer comme réflexions?

    • Hum…
      La théorie de l’utilité espérée à un certain nombre de défauts. Elle pose problème sur un nombre conséquent de points. Mais pas vraiment ceux vus ici. D’une façon générale j’aimerais assez que vous nous montriez en quoi l’utilité marginale décroissante et l’aversion au risque nient le comportement réel des gens réels. A part sur une base dogmatique postulant que toute théorie économique est vouée à nier la réalité, parce que ! , j’ai du mal à voir. Depuis que j’ai trois Ferrari l’idée de pourvoir acquerir une Aston-Martin ne suffit plus à me motiver vraiment pour me lever la matin et aller massacrer des chatons mignons et des nenfants communistes à grands yeux. Après avoir mangé trois glaces au chocolat, le plaisir de la quatriè

  • On peut aussi en déduire que seuls ceux qui sont riches sont prèts a prendre des risques et donc a générer de la croissance.

    • Pas loin.
      On en déduira surtout que la sensibilité au risque diminue quand on est très riches, ce qui voudrait dire qu’avoir plein de riches est génial et qu’ils vont entreprendre et créer plein de richesses. Ce qui n’est pas du tout ce qu’on observe : les entrepreneurs sont en général des « petits riches », à peine plus que des pauvres…

      Et c’est un des nombreux faits qui a poussé à une remise en cause de cette approche. Ça a commencé en 1953 avec Maurice Allais dans son fameux article sur « l’homme rationnel devant le risque » et ça continué à la fin des années 70 avec Kahneman et Tversky, qui ont remis une couche en 1992 avec la « Cumulative Prospect Theory ». Tous ces gens ont eu le « Nobel » d’économie et pas pour rien : c’est un élément central pour comprendre le fonctionnement réel de l’économie et pas un gros agrégat qui ne veut rien dire à la Keynes.

  • le principe du jeu me semble curieusement posé …et il n’est pas très risqué!

    • Retraduisons le jeu en d’autres termes (c’est une simple translation et ne change rien à la différence entre les deux options).
      Dans le cas A, vous investissez 90 000 € et on tire au sort, dans 50% des cas vous repartez avec 200 000 €, dans 50% des cas vous repartez avec rien du tout.

      Dans le cas B vous mettez toujours 90 000 € mais là, dans tous les cas vous repartez avec 100 000€.

      Dans les deux cas vous avez une espérance de richesse terminale de 100 000€ mais dans un cas vous êtes soumis à un risque, dans l’autre non. Que préférez vous, A ou B ? Une grosse majorité des gens questionnées « dans le vide » répondront B, la quasi totalité choisira B si on parle d’une « expérience naturelle » où il y a effectivement beaucoup d’argent en jeu.

      Principalement quand il s’agit de leur argent à eux. Les décideurs politiques eux choisiront souvent A puisque « en moyenne c’est pareil, si ça marche ils écrasent la concurrence et à eux les cocktails avec petit fours au fois gras et accortes hôtesses, aux frais du contribuable, si ça marche pas, c’est la faute de X, de Y, de l’ultra libéralisme, etc. et donc ils ne changent qu’à peine leurs chances aux prochaines élections ». Ils sont donc « risk seekers ». Les traders professionnels, du fait de la structure des incitations de leurs contrats devraient être neutre au risque (indifférents entre A et B) mais restent quand même en général averses au risque, quoique nettement moins que M’ame Michu.

      • ben ce n’est pas le jeu exposé dans l’article…

        et pour ce qui est du « jeu  » que vous exposez..il est assez peu probable de trouver une telle configuration de choix et sauf à vouloir « jouer »( à risque de perdre ou de gagner) les gens choisissent A..

        dans le monde réel le risque est associé à une possibilité de gain plus élevée…VOUS PENSEZ AUX EMPRUNTS TOXIQUES?

        Je ne comprends vraiment pas pourquoi les deux options sont présentées comme équivalentes..elle ne le sont que sous certains aspects..

  • En réalité, ce qui est à l’origine de la préférence pour B c’est la distinction épistémologique entre risque et incertitude. le calcul de l’espérance n’a de sens, comme l’expliquait von Neumann que dans le cas d’expériences reproductibles, des fréquences à long terme. Si on ajoutait une hypothèse supplémentaire à l’énoncé de l’article, par exemple, on propose 1000 fois l’alternative, les choix entre les deux options s’équilibrerait sûrement. On est ici face à un raisonnement risqué, qu’on peut traiter et appréhender grâce aux théories probabilistes. Alors que dans l’expérience proposée par Nicoulaud, on est face à un évènement incertain pour lequel les théorèmes de proba ne servent à rien.

  • Les commentaires sont fermés.

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