Un été avec Baudelaire

Après Montaigne, c’est au tour de Baudelaire de nous accompagner cet été.

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Un été avec Baudelaire

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Publié le 13 juillet 2015
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Par Francis Richard

baudelaire-compagnon
Couverture un été avec Baudelaire

Charles Baudelaire est un poète hors normes : « D’abord maudit, condamné, rejeté, Baudelaire devint, vers le cinquantenaire de sa mort, en 1917, puis pour de bon lors du centenaire de sa naissance en 1921, le plus grand poète français, le plus lu, le plus étudié, le plus récité. »

Quand Barbara Polla m’a demandé de lire des poèmes que j’aimais lors de la Nuit de la poésie qu’elle organisait en février 2013 à la galerie Vanessa Quang, à Paris, très naturellement, très spontanément, j’ai choisi de lire quatre poèmes tirés des Tableaux Parisiens : Paysage, Les Aveugles, À une passante et Le crépuscule du jour

Comme il l’avait fait deux ans plus tôt pour Montaigne, Antoine Compagnon a fait, en été, sur France-Inter, une série d’émissions consacrées à Baudelaire, du 15 juillet au 22 août 2014. Ce n’était cependant pas aussi commode de passer l’été avec lui qu’avec Montaigne, parce que l’été n’était pas une saison baudelairienne et que Baudelaire n’était pas a priori sympathique :

« Il est hostile au progrès, à la démocratie et à l’égalité ; il méprise presque tous ses semblables ; il se méfie des bons sentiments ; il ne pense pas beaucoup de bien ni des femmes, ni des enfants, ni d’ailleurs de ses semblables en général ; et il est partisan de la peine de mort, mais comme un sacrifice. »

Pourtant, Antoine Compagnon, comme il sait si bien le faire, au fil des émissions, dresse de Charles Baudelaire un portrait beaucoup plus nuancé. Car Baudelaire est « inclassable, irréductible à toute simplification » et l’énoncé ci-dessus en est une… Antoine Compagnon termine d’ailleurs sa dernière émission par ces mots : « Respectons ses contradictions. »

Un peu plus haut, dans l’émission du 6 août 2014 sur la Modernité, Antoine compagnon cite cette pensée de Baudelaire, qui montre qu’il est non seulement conscient d’être contradictoire, mais qu’il revendique le droit de l’être : « Parmi les droits dont on a parlé dans ces derniers temps, il y en a un qu’on a oublié, à la démonstration duquel tout le monde est intéressé, – le droit de se contredire. »

Dans Un été avec Baudelaire, Antoine Compagnon n’est pas animé par le souci de tout dire sur lui. Il aimerait du moins, en sautant et gambadant dans son oeuvre, « reconduire le plus grand nombre dans les librairies afin qu’ils retrouvent le chemin des Fleurs du Mal et du Spleen de Paris ». Parce que, si Baudelaire a été « le plus grand poète français, le plus lu, le plus étudié, le plus récité », il ne l’est plus. Et que c’est bien dommage.

Parmi tout ce que dit Antoine Compagnon, et tout ce qu’il dit est de bon aloi, il est quelques traits qui me parlent. Ils devraient, me semble-t-il, en convaincre d’autres de lire Baudelaire, de le relire, à voix basse et à voix haute, dans l’intimité et en public, parce que la musique de ses mots, en vers comme en prose, illustre cette affirmation du poète selon laquelle l’art est le meilleur témoignage que nous puissions donner à Dieu de notre dignité :

  • L’oeuvre de Baudelaire est réaliste. Compagnon précise ce qu’il entend par là : « Est réaliste une oeuvre que n’accompagne pas une mise en garde moraliste, une oeuvre où l’auteur donne à voir sans intervenir pour juger et condamner. »
  • Anatole France, puis Marcel Proust (qui compare Baudelaire à Racine) ont défendu le classicisme des Fleurs du Mal, « leur versification harmonieuse, musicale, pleine ». N’est-ce pas la reconnaissance de cette alchimie par laquelle le poète pétrit de la boue et en fait de l’or ?
  • Baudelaire n’a pas beaucoup écrit : « L’œuvre de Baudelaire est mince, mais la valeur ne se mesure pas au volume. Un moment vint où les rares poèmes de Baudelaire dépassèrent les milliers de vers de ses rivaux. »
  • Baudelaire est anticonformiste et se moque des « poètes de combat », des « littérateurs d’avant-garde » : « Ces habitudes de métaphores militaires dénotent des esprits non pas militants, mais faits pour la discipline, c’est-à-dire pour la conformité, des esprits nés domestiques. »
  • Baudelaire distingue l’éphémère du permanent : « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. » Ce qui ne l’empêche pas de donner une autre acception au mot de modernité : dans sa version esthétique, elle permettrait, selon Baudelaire vu par Compagon, « de racheter la mode par l’art, par la peinture, par la poésie ».
  • Pour Baudelaire, le Beau est toujours bizarre, mais l’inverse n’est pas vrai : « Parce que le Beau est toujours étonnant, il serait absurde de supposer que ce qui est étonnant est toujours beau. » Compagnon, s’appuyant sur les dires de Baudelaire, complète l’affirmation : « Si le bizarre est toujours beau, le beau est toujours triste »
  • Baudelaire n’est-il pas ironique quand il écrit :« Créer un poncif, c’est le génie. Je dois créer un poncif » ? Pour Compagnon, « il était trop intelligent pour forger des lieux communs et il nous a laissé un paquet de paradoxes que nous peinons encore à défaire ».
  • Baudelaire a, certes, des paroles, et des pensées, terribles sur les femmes, mais c’est aussi lui qui a certainement écrit les plus beaux poèmes sur elles et l’amour qu’elles inspirent. Comment, par exemple, se lasser de citer, comme le fait Compagnon, et de se réciter L’invitation au voyage ?

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Antoine Compagnon, Un été avec Baudelaire, Édition des Équateurs, 2015, 176 pages.

Précédemment, du même auteur, chez le même éditeur : Un été avec Montaigne (2013)

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