La culture en péril ? Épisode 5

Est-ce la culture qui est en péril, ou la liberté ?

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La culture en péril ? Épisode 5

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 10 juillet 2015
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C’est une réaction à l’un des volets précédents, allant en ce sens, qui m’a donné l’idée de réorienter ainsi le sujet. Pour ce faire, je vais reprendre la version initiale (allégée ensuite selon les contraintes éditoriales) d’un texte que j’ai écrit dans le très intéressant volume 2 de Libres !!, édité en juin 2014 par le collectif La main invisible et Stéphane Geyres.

La fragilité de la liberté

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La liberté est quelque chose de très fragile. On peut avoir l’impression qu’elle va de soi. Et pourtant… Il a fallu des siècles, et beaucoup de débats philosophiques, pour parvenir à une idée relativement consensuelle de l’existence de libertés fondamentales, inscrites dans la nature humaine.

Rappelons-nous des débuts de la démocratie, dans la Grèce antique, au sein de laquelle la notion de liberté n’était pas encore vraiment un enjeu de civilisation.

Souvenons-nous de l’émergence du droit romain et du peu de cas fait du respect de l’humain.

L’idée de liberté n’est ensuite apparue que très progressivement. Et, même une fois les débats lancés à son sujet, rien n’a jamais été simple, ni source d’unanimité.

Thomas Hobbes et John Locke avaient des visions opposées concernant la nature humaine, l’un justifiant la monarchie absolue par la nécessité de mettre fin à la guerre de tous contre tous à l’état de nature (« l’homme est un loup pour l’homme »), tandis que le second affirma l’existence de droits naturels, antérieurs donc à la société politique. Celle-ci avait désormais pour rôle essentiel, à travers la représentation nationale (ici monarchie parlementaire), de faire respecter ces droits (« propriété de sa propre personne », caractère naturel de la propriété, liberté des échanges qu’elle induit). Une forme de contrat social très différente de celle que proposera Rousseau, entre autres.

Si j’évoque ces débats, c’est que rien n’est établi. Cette dernière opposition a largement trouvé ses partisans et détracteurs depuis, et la liberté est très loin de régner partout dans le monde, ni même de faire l’unanimité sur sa définition.

Aujourd’hui encore, y compris dans un pays comme la France, peut-on prétendre ou affirmer que les libertés, même fondamentales, sont toujours respectées ? La liberté d’expression, par exemple, est-elle si assurée et évidente ? Ne connait-elle pas, par moments, quelques régressions ? Et que dire du droit de propriété, dans un État devenu obèse et qui cherche à se financer partout où il le peut, quitte à aller parfois très loin dans la confiscation pour le bien de sa propre sauvegarde ?

Non, la liberté ne va pas de soi et non, elle est loin de faire l’unanimité quant à sa définition.

La fragilité même de nos démocraties ou de notre civilisation, malgré des tendances favorables à l’expression de ces libertés, pose le problème de leur défense.

Le rôle de la culture dans la défense de la liberté

Or, pour cela rien ne vaut la réflexion, à la fois philosophique et pratique (comme dans cet ouvrage), la connaissance, qui en est à la base, et l’explication.

Expliquer, expliquer, expliquer.

Tant d’ignorance, de malentendus, voire même d’ennemis de la liberté surplombent la société que l’on ne se rend plus forcément compte, chacun dans son coin, au jour le jour, dans le confort éventuel de sa petite vie, ou dans les soucis qui la rongent peut-être, à quel point cette liberté chérie est fragile.

Même avec un esprit très libre et un sentiment de profonde indépendance, beaucoup de caractère et un cœur vaillant, qu’advient-il lorsque le monde est en ébullition et que l’on se trouve entraîné, malgré soi, dans les grands tourments de l’histoire ?

C’est pourtant arrivé plus d’une fois. Et rien ne dit que cela ne peut se reproduire.

Une Charlotte Corday emportée dans la Révolution, une Sophie Scholl qui tenta de résister à son tout petit niveau à l’intolérance nazie et la destruction qu’elle engendra, un Stefan Zweig qui, à travers ses « héros » ou plutôt personnages de tous les jours, décrivit ces êtres emportés malgré eux par les événements, comme il le fut lui-même jusqu’à renoncer à cette vie qu’il appréciait pourtant, mu par un profond désespoir, un Soljenitsyne insoumis et révolté qui eut le courage de dénoncer les horreurs soviétiques, ou même une Antigone, même si fictive, insoumise face à un régime politique qui faisait régner l’iniquité au nom de l’ordre, sont quelques-uns de ces caractères forts à l’esprit libre, mais qui n’ont pu résister au déferlement d’événements cataclysmiques qui les dépassaient largement.

Dans ces conditions, qui peut dire que demain, face à un monde désemparé et où l’ignorance règne trop souvent en maître, chacun de nous ne peut se trouver emporté à son tour par de tels événements ?

Même, sans aller jusque-là, ne constate-t-on pas, chaque jour, la difficulté de faire entendre raison à tous ceux qui, éventuellement de bonne foi, saccagent les libertés au nom de considérations abstraites, politiques, ou même pratiques mais à courte vue ?

C’est vrai dans l’Éducation, où la tendance est à combattre toute forme d’élitisme ou de tout ce qui serait susceptible de s’y apparenter de près ou de loin, dans le domaine de la Justice, où le laxisme prédomine et où l’on fait trop souvent bien plus cas des droits du coupable (ses « libertés ») que de celles de la victime, chez les entrepreneurs, tellement ponctionnés et parfois même presque haïs, que certains préfèrent renoncer ou fuir à l’étranger, et dans beaucoup d’autres domaines dont je ne m’attarderai pas à tenter de dresser ici une liste exhaustive.

L’ignorance tue

Mais ce n’est pas tout.

Si j’ai toujours pensé que l’ignorance tue et que la connaissance à la fois de l’histoire, de l’actualité, des réflexions philosophiques, et dans de nombreux autres domaines, est la base même de la sauvegarde de nos libertés, c’est au jour le jour, à travers le quotidien, qu’il convient aussi de ne point s’endormir.

La liberté nécessite, certes, certainement de la force de caractère, contrairement à ce qui pourrait s’avérer intuitif. Mais elle est avant tout un état d’esprit. C’est quelque chose qui s’apprend. Elle est avant tout dans la tête, mais suppose un minimum de réflexion, d’intelligence, de prise de recul et certainement de prise de conscience (de son existence, de sa relativité, de sa fragilité, de son caractère périssable, de la non-unanimité la concernant, de la possibilité bien réelle de la perdre).

Parmi les ennemis de la liberté, il y a tous ceux qui rêvent de renverser notre civilisation, ou de « changer l’homme ». Et c’est loin d’être anecdotique.

Les marxistes ou communistes, par exemple, qui se sont pendant si longtemps emparés, si l’on peut dire, des esprits même les plus brillants, avec les perspectives peu reluisantes que l’on connait (dont environ 100 millions de morts), ont-ils disparu ? Peut-on affirmer sérieusement qu’ils ne sont plus un danger, qu’un retour de leurs idées (ou de leur mise en œuvre) est impossible ?

Les islamistes, autre exemple, ne rêvent-ils pas de renverser notre civilisation occidentale et nous convertir jusqu’au dernier ? Sont-ils des amis de la liberté, là même où ils exercent une influence (pas toujours de manière pacifique).

Et, sans aller jusque-là, a-t-on le sentiment d’être toujours libre ici-même, de ne jamais souffrir d’intolérance à l’égard de ses simples idées ? Ose-t-on même toujours les défendre en toute quiétude ou débattre simplement en toute sincérité face à des censeurs de la pensée qui ont tôt fait de catégoriser les gens et caricaturer leur pensée, rendant toute expression parfois vaine puisqu’on n’est pas invité à s’exprimer, étant diabolisé ?

La liberté ne va pas de soi

Donc oui, plus que jamais, il est primordial d’expliquer, expliquer, expliquer, de la manière la plus sereine possible, en quoi il est important d’être vigilant, de réaliser que la liberté ne va pas de soi, qu’il s’agit d’une magnifique valeur, méritant d’être défendue dans toute sa diversité et toute sa plénitude.

Cela passe par la discussion au quotidien, par des ouvrages comme celui-ci, par le débat, par l’intervention dans les médias, par les petits actes de tous les jours, par le raisonnement, la sincérité, la tolérance.

Sur ce dernier qualificatif, j’insisterai sur une idée qui me tient à cœur : la défense de la liberté nécessite une certaine exemplarité, pas évidente. Trop souvent je vois des réactions d’hostilité, de rejet ou d’intolérance à l’égard des autres. Et ceci est vrai aussi bien pour des gens qui défendent pourtant les idées de liberté.

Face à une réaction hostile, donc, ou intolérante elle-même, voire extrêmement primaire, croyez-vous que la réponse adaptée soit la condescendance, le renvoi de l’interlocuteur à ses insuffisances, ou toute autre forme de réaction stérile et spontanée sur le même registre ?

Je crois, au contraire, à l’exemplarité de sa réponse.

C’est par elle que l’on pourra se distinguer du caractère primitif de cette hostilité et chercher à convaincre, par l’apaisement, la recherche du dialogue civilisé et, de cette manière, si ce n’est entraîner l’adhésion (ce que l’on n’exige ni n’attend véritablement de son interlocuteur), montrer un état d’esprit, qui se distingue de celui de l’autre et l’amènera peut-être à réfléchir, dans le meilleur des cas, à sa propre réaction, sinon aura une valeur d’exemplarité vis-à-vis d’autres.

Donc non, la liberté n’est jamais définitivement acquise. Il faut de l’investissement, de la conscience et de la persévérance pour qu’elle vive et perdure.

En ce sens, à chacun d’en réaliser le prix et de tout mettre en œuvre pour, chaque jour, expliquer, expliquer, expliquer à quel point elle est notre bien le plus précieux, qui conditionne tout le reste.

Cette série prend donc fin, au moins provisoirement. À vous d’en prendre le relais si vous le souhaitez (en soumettant votre proposition d’article aux rédacteurs en chef de Contrepoints). Si vous connaissez d’autres ouvrages dont la lecture s’inscrirait bien dans cette série (un lecteur citait Plutarque, par exemple), toute suggestion est bienvenue.

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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