Code du travail : deux doctrines inconciliables

Il faut choisir, car elles sont inconciliables.

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Code du travail : deux doctrines inconciliables

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 10 juillet 2015
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Par Brice Rothschild.

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Les tentatives de réformes du Code du travail font régulièrement l’actualité. Les uns parlent de démantèlement de la protection des salariés, les autres de petits pas insuffisants face aux enjeux. Malheureusement, ce débat focalisé sur des techniques ne permet pas de faire émerger les deux doctrines en présence.

La conception marxiste de la valeur est installée en France dans les esprits et dans les textes de loi ; « en tant que valeurs, toutes les marchandises sont des expressions égales d’une même unité, le travail humain, remplaçables les unes par les autres » (Karl Marx, Le Capital, 1867).

Dans cette logique, seuls les travailleurs produisent de la valeur. Le salaire qui leur est accordé suffit tout juste au maintien de leur force de travail, les payer davantage ne permettrait pas de créer plus de richesse. Dans le même temps, les capitalistes s’enrichissent alors qu’ils ne contribuent pas à cette création de valeur. Cette situation n’est pas naturelle, elle est issue d’un rapport de force politique qui a donné l’avantage aux capitalistes grâce à la division des travailleurs. Le Code du travail est un moyen pour ces derniers de se coaliser pour imposer de meilleures conditions de travail et un meilleur salaire. Tout recul en la matière est alors considéré comme un cadeau fait aux capitalistes dans le cadre d’un jeu à somme nulle. Toute réforme est interprétée comme allant soit dans le sens des capitalistes, soit dans le sens des travailleurs. Tout est politique : 35h ou 39h de travail hebdomadaire ? Retraite à 60 ans ou à 62 ans ? Au cours de négociations entre « partenaires sociaux » supposés représenter les deux classes, il s’agit simplement de déplacer le curseur entre plus de protection sociale et plus de précarité pour les salariés.

Cette doctrine est-elle dans le vrai ? On concède parfois des « cadeaux aux patrons pour qu’ils veuillent bien embaucher », sous-entendant sans l’avouer qu’on a besoin que les patrons embauchent sans qu’ils y soient forcés. Tout ne serait pas que politique ? Par ailleurs, chacun n’entre pas dans l’une ou l’autre classe, capitaliste exploiteur ou travailleur exploité ; que faire des indépendants ? Des petits patrons pas bien riches ? Des vendeurs sur Le Bon Coin ? Des chauffeurs UberPop ? Ils n’entrent pas dans les cases. Les marxistes tièdes disent alors qu’il faut faire preuve de « pragmatisme » en aménageant d’innombrables cas particuliers qui viennent complexifier la loi. Cela évite de remettre en cause les fondations doctrinales du mammouth réglementaire.

La conception subjective de la valeur est radicalement différente : « la valeur d’une chose ne dépend pas de sa nature mais de l’estimation qu’en font les hommes, même si cette estimation est stupide » (Diego de Covarrubias y Leiva, Variarum, 1554).

De ce fait, allouer ses propres ressources est une activité qui est risquée. Les employeurs doivent anticiper tant bien que mal l’état futur de leur environnement, alors que les salariés sont assurés d’une rémunération. Les employeurs ne sont pas tout-puissants car d’une part ils sont soumis aux aléas de la demande, et d’autre part les facteurs de production qu’ils utilisent ne sont pas infinis. Ainsi les salariés peuvent faire jouer la concurrence entre employeurs, et c’est de là qu’ils tiennent leur pouvoir de négociation. En augmentant les contraintes légales sur le travail « à l’avantage des salariés », les employeurs embauchent moins et la concurrence entre eux diminue tandis qu’augmente celle entre salariés. Par ailleurs, la notion de salarié/employeur est elle-même à relativiser, puisque chacun peut être les deux à la fois et/ou changer de rôle avec le temps dans un sens comme dans l’autre.

La conclusion de cette approche est que le Code du travail réduit le champ des opportunités, en particulier pour les précaires et les exclus du travail. Il nuit donc à tout le monde à long terme. À court terme, on a bien quelques bénéficiaires, mais c’est au prix d’une extraordinaire sclérose de la société engendrant des souffrances au travail, l’arrêt de l’ascenseur social, et un chômage endémique.

Adhérez-vous à l’une ou l’autre doctrine ? Il faut choisir, car elles sont inconciliables. Toute position intermédiaire n’est que du mauvais bricolage intellectuel, un obscur brouillard sur lequel prospèrent les pires démagogues. Démagogues dont le premier ennemi, la vérité, ne peut émerger que d’un débat sans détour.

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  • « Adhérez-vous à l’une ou l’autre doctrine ? Il faut choisir, car elles sont inconciliables.  »
    Elle sont parfaitement conciliables :
    1) « la valeur d’une chose ne dépend pas de sa nature mais de l’estimation qu’en font les hommes, même si cette estimation est stupide »
    2) beaucoup d’hommes, dont les marxistes (mais pas que ! Marx ne fait ici que reprendre une conception qu’on trouve chez Smith, Ricardo, etc. parce qu’elle est naturelle : le prix que vous êtes prêt à mettre dans un outil dépend bien du temps qu’il peut vous faire gagner, non ? ), estiment la valeur d’une chose en fonction du travail humain qu’elle exige ou qu’elle remplace. Même si cette estimation est stupide »
    3) Il s’en suit que, « même si cette estimation est stupide » il y a suffisamment de gens qui font l’estimation-travail pour que la valeur publique, de marché, d’un bien, en soit proche.

    • P tu détournes le propos en introduiant un 3ème choix qui n’est que le deuxième.

      Le marxisme c’est la valeur travail : deux objets qui nécessitent 2 heures de travail doivent être au même prix. Il fait l’ailleurs l’impasse sur le financement de l’outil de production puisqu’il appartient aux salariés. Comment ? par le vol.

      Ton 3ème choix fait partie du 2ème car c’est entre autres l’utilité mais par rapport à leur propre besoin qui permet aux acheteurs de fixer la valeur. Si je n’ai pas besoin de pelleteuse je n’interviens pas dans le processus de détermination du prix. Si j’en ai un besoin urgent de 10 j’interviens plus sur le prix que celui qui en a besoin que d’une seule. (sans compter que la disponibilité de ce matériel par rapport à mon urgence interviendra aussi, de même que le besoin de cash du vendeur etc…)

      D’ailleurs il m’est arrivé de vendre des automatismes sous forme d’algoritme en les chiffrant par rapport à ce que ça ferait gagner au client puisque de son coté c’est comme cela qu’il verra l’utilité économique (justification) de l’investissement. Ainsi je peux vendre 40h de prog pour 150KE. Après intervient la concurrence qui pourrait faire baisser ce prix à 10KE… mais j’ai mes chances.

  • Valeur travail ou valeur subjective, il me semble qu’on s’éloigne du Code du Travail. Sa condamnation ou sa justification morale tient à mon avis aux thèses antagonistes : les contrats sont entièrement libres et traduisent la volonté des parties signataires, ou à l’inverse les contrats (de travail) sont une conséquence de l’état de nécessité, de l’asymétrie de l’enjeu du contrat, du déséquilibre du marché du travail.

    Evidemment le niveau de liberté contractuelle de l’individu cherchant du travail (salarié, associé ou à son compte) dépend d’abord de son capital humain. Cette liberté dépend aussi des politiques publiques suivies dans le pays où il réside.

    Pour ce qui concerne la France, depuis 40 ans les libertés économiques y progressent moins vite que chez les économies concurrentes. Le travail (et le capital) fuit à l’étranger.

    La priorité est donc le retour de l’investisseur et de l’entrepreneur en France grâce à une fiscalité compétitive au plan mondial. Le dynamisme économique doit précéder la flexibilité des contrats. Faute de quoi cette flexibilité aujourd’hui serait une course à la misère. Que le Patronat la réclame n’est pas un signe de clairvoyance, bien au contraire.

    • Perso j’ai trouvé intéressant de faire le // entre la valeur et le Code du Travail.
      Ce Code du travail qui dit « à travail égal, salaire égal » ou qui fixe un salaire minimum.
      A l’occasion de la crise en Grèce les députés vont voter une loi dans quelques jours pour déterminer le nombre d’employés minimum nécessaire pour une entreprise en fonction d’on ne sait pas trop quoi : l’exemple lu concernait un hôtel pour lequel « on » avait déterminé qu’il fallait 2 réceptionnistes, 2 portiers et porteurs de bagage, 5 femmes de ménage, 1 ouvrier d’entretien etc… le but premier étant de conclure que si le total n’y était pas c’est qu’il y avait du travail au noir… mai il n’y a pas loin pour instituer une norme dans le code du travail.

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