Négocier avec soi-même afin de mieux négocier avec l’autre

Comment vaincre cette voix intérieure qui nous pousse à des conduites qui s’avèrent contraires à nos intérêts ?

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
entreprise cadres manager CC pixabay

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Négocier avec soi-même afin de mieux négocier avec l’autre

Publié le 24 juin 2015
- A +

Par Michel Ghazal.

entreprise cadres manager CC pixabay
entreprise cadres manager CC pixabay

 

Il est désormais acquis que l’aptitude à la négociation est une compétence clé à bien maîtriser aussi bien dans sa vie professionnelle que privée. Elle n’est plus considérée, tel que ce fut le cas pendant longtemps, comme étant réservée aux diplomates ou à des spécialistes doués et/ou dotés pour cela de compétences réelles ou supposées. Et, depuis une quarantaine d’années, une multitude de recherches et de littérature lui ont été consacrées, orientées notamment sur l’art de persuader et d’influencer l’autre.

Toutefois, l’expérience prouve, qu’aussi difficile, coriace ou même redoutable peut être la partie adverse, l’obstacle le plus dur à dépasser demeure soi-même. C’est ce que nous livre William Ury dans son nouvel ouvrage que j’ai eu grand plaisir à préfacer, Être en accord avec soi-même1, à paraître en version française en septembre. Réussir à appliquer avec ses interlocuteurs l’approche dite Gagnant-Gagnant de la négociation passe inévitablement par une première négociation avec soi-même. Il s’agit bien souvent de se battre avec cette voix intérieure qui nous pousse à des conduites qui s’avèrent contraires à nos intérêts.

Sur quoi porte la négociation avec soi-même ?

Réussir cette négociation intérieure, implique 8 changements d’attitude fondamentaux aussi bien avant que tout au long de la négociation avec l’autre :

  • Changer sa vision de la négociation : chacun doit s’interroger et être au clair avec sa perception de ce qu’est la négociation et ce qu’elle n’est pas. Afin de passer d’une approche gagnant-perdant à gagnant-gagnant, il faut d’abord se convaincre que la négociation n’est ni un combat ni un duel ayant pour objectif de vaincre l’autre mais qu’il s’agit d’une résolution en commun d’un problème. Comprendre qu’il s’agit d’être côte à côte face au problème et non face à face, constitue la condition sine qua non permettant de mettre en œuvre toute la panoplie des outils de la négociation constructive.
  • S’orienter vers un objectif constructif : dans toute négociation, chacun souhaite arriver quelque part et il convient d’y réfléchir avant d’y entrer. C’est à cette condition qu’il est possible de tracer le chemin pour y parvenir. Il n’est pas rare, cependant, que certaines situations difficiles poussent à adopter des objectifs problématiques : vouloir écraser l’autre, le saigner, engranger le maximum de bénéfices pour soi à son détriment… sans tenir compte de ce qui est juste. Viser ces objectifs ne peut que conduire à des négociations du type épreuve de force avec bien souvent uniquement des perdants. Quels que soient la rancœur ou le désir de revanche, réussir à se convaincre qu’il vaut mieux s’orienter vers un objectif du type rechercher un accord mutuellement acceptable, évitera de gaspiller beaucoup d’énergie et de temps dans des batailles de volonté coûteuses et destructrices.
  • Ne pas réagir au quart de tour : nos émotions peuvent être notre pire ennemi, car en situation de tension et de stress, nous pouvons nous transformer en « bête à réaction » et aggraver ainsi la situation. Nous donnons de ce fait énormément de pouvoir à l’autre sur nous : celui de nous faire réagir. Il est donc indispensable de « refroidir » la machine et cela dépend entièrement de nous. Car, si nous ne pouvons pas contrôler le comportement de l’autre, nous pouvons tout au moins contrôler le nôtre. Agir sur soi-même, c’est réussir à prendre du recul et à garder son calme quand bien même l’envie est forte de hurler, de se mettre en colère, de se défendre ou d’attaquer. William Ury parle de « Monter au balcon ». C’est une métaphore pour signifier que nous devons nous obliger à regarder la situation comme le ferait un metteur en scène qui dirige ses comédiens dans un théâtre, c’est-à-dire de loin. En empêchant le cerveau reptilien de prendre le contrôle, non seulement nous cessons d’agir comme une victime de l’autre, mais nous reprenons du pouvoir sur la situation et nous nous donnons une chance de la retourner dans le sens que nous souhaitons. Les émotions bien formulées constituent en effet un des processus les plus puissants pour persuader l’autre.
  • Éviter d’agir en miroir : la « rivalité mimétique » nous pousse à agir en miroir et à faire exactement ce que nous reprochons à l’autre. Ceci ne peut conduire qu’au désastre. Avec le « œil pour œil, dent pour dent », une seule certitude : tôt ou tard, tout le monde se retrouvera aveugle et édenté. Donc, même si l’autre nous agresse et nous attaque, nous devons éviter de l’agresser et de l’attaquer. Négocier avec soi-même, c’est résister à cette envie forte de taper sur le joueur et de nous efforcer constamment à rester centrés sur le problème à résoudre. Car c’est ce dernier qu’il faut vaincre, pas terrasser l’autre joueur.
  • Ne pas se focaliser que sur ses points faibles : la recherche montre que nous avons plus de soixante mille pensées par jour et que 80% de celles qui nous concernent sont plutôt négatives. Nous avons trop tendance à nous critiquer, à nous reprocher de ne pas avoir été à la hauteur ou à penser qu’il était possible de mieux faire. Comme le dit si bien ce vieux sage : « Si l’on parle à nos amis comme l’on se parle, on n’en aurait plus ». En négociation, cela se traduit par une tendance à nous focaliser sur nos points faibles et sur nos manques. Négocier avec soi-même, c’est arrêter de se dénigrer et s’obliger plutôt à rechercher ses points forts, en se rappelant ses succès et en identifiant ses atouts. Ceci va accroître notre chance d’obtenir ce que nous voulons et de satisfaire nos intérêts.
  • Accepter sa part de responsabilité : en négociation, les moments de tension sont inévitables. Ils sont propices à un jeu destructeur : « c’est la faute à qui ». Celui-ci pousse en permanence à blâmer l’autre. Du coup, ce dernier se met sur la défensive et nous fait des reproches en retour. Conséquence, la négociation est précipitée dans une spirale d’escalade. Or, dans toute situation, il y a toujours une part de responsabilité qui nous incombe et dont nous sommes responsable à 100%. En l’acceptant d’emblée, aussi infime soit-elle, non seulement nous montrons un signe de grande maturité psychologique, mais la chance est augmentée, qu’en retour, l’autre reconnaisse et accepte de lui-même sa propre part de responsabilité. Il est alors possible de tourner son énergie vers la recherche de solutions.
  • Écouter et chercher à comprendre l’autre : même si l’autre ne nous écoute pas et ne montre aucune volonté de nous comprendre, plutôt que de vouloir lui clouer le bec et contrer ses arguments par des contre-arguments, nous allons l’écouter et chercher à le comprendre. Nous allons pour cela reformuler sa version dans notre bouche encore mieux qu’il ne l’a présentée lui-même. En se persuadant qu’il convient de comprendre l’autre avant de chercher à s’en faire comprendre, nous aurons certainement une plus grande chance qu’il nous écoute en retour. Car en négociation, il n’y a rien de plus persuasif que de se montrer ouvert à la persuasion.
  • Changer son attitude d’hostile à respectueuse : quels que soient les désaccords, rien n’est possible sans ce postulat fondamental : il faut montrer du respect pour l’autre. Cela le rendra plus réceptif. En revanche, si vous lui manquez de respect, cela va transpirer dans vos attitudes, mots et gestes et il y aura alors un grand risque de le voir se fermer comme une huître ou devenir agressif. Mais il est vrai qu’en situation conflictuelle, quand nous nous sentons rejeté par l’autre ou que nos besoins sont ignorés, il est difficile de résister à notre instinct de protection qui nous pousse à rejeter en retour et à contre attaquer. Pour autant, en montrant du respect pour l’autre et une attention pour sa dignité nous avons une plus grande chance de susciter et de recevoir en retour son respect. Rappelez-vous, témoigner le plus grand respect à l’autre ne signifie aucunement céder ni sur ses besoins ni sur ses intérêts.

En conclusion

négocier avec soi même rené le honzecNégocier avec soi-même ces changements d’attitude, nous obligera à cesser d’alimenter la machine infernale de l’escalade. Si nous sommes en négociation avec l’autre, c’est que nous faisons partie du problème. Or, nous voulons faire partie de la solution. Négocier d’abord avec soi-même permettra de manière plus certaine de mettre la négociation avec autrui sur les rails de l’approche plus coopérative et plus efficace de la « stratégie des gains mutuels »2. Car, notre vis-à-vis aura alors plus de chance de partager avec nous la conviction sous-jacente à cette méthode que ce qui est bon pour nous est aussi bon pour lui et aura par conséquent un impact positif sur notre relation. Que ça soit dans les relations professionnelles ou privées, apprendre à négocier et à influencer les autres est, à n’en pas douter et de plus en plus, une compétence essentielle. Mais, il est tout aussi important à notre réussite d’apprendre à négocier avec soi-même.

Sur le web

  1. William Ury, Être en accord avec soi-même, Seuil, 2015.
  2. Roger Fisher, W. avec soi-même Ury, B. Patton, Comment réussir une négociation, Seuil, Réed. 2006.
Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)
  • Du même URY : « Comment négocier avec les gens difficiles »
    Devrait être enseigné avant l’éducation civique (On enseigne encore l’éducation civique? Mais oui! tu sais, le vivre ensemble de devoir de solidaritude les mouvements citoyens et contre les incivilités! Ah d’accord))

    Merci de cet utile article (Le premier qui m’emmerde j’y mets mon poing dans la gueule)

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Le monde du management est noyé sous les mots-valises, les expressions à la mode et les concepts creux. C’est un problème parce que mal nommer un phénomène, c’est s’empêcher de pouvoir l’appréhender correctement, et donc de pouvoir le gérer.

Un bon exemple est celui de l’expression technologie de rupture, très trompeur.

Je discutais récemment avec le responsable innovation d’une grande institution, qui me confiait : « La grande difficulté que nous avons est d’identifier parmi toutes les technologies nouvelles celles qui sont vra... Poursuivre la lecture

L’attaque surprise est la plus vieille tactique militaire de l’humanité. Elle repose sur l’idée que la stratégie est un paradoxe, c’est-à-dire qu’il peut être payant de faire quelque chose qui va sembler totalement illogique à l’adversaire. Elle repose aussi sur l’idée de tromperie, qui nécessite une fine compréhension de l’adversaire et de ses croyances. Ce sont ces croyances qui rendent la surprise possible.

Regardons-le sur un exemple tragique, celui des attaques terroristes toutes récentes du Hamas contre Israël le 7 octobre dernie... Poursuivre la lecture

Lors d’une émission de la chaîne économique Xerfi Canal, l’intervenant Olivier Passet opère la démonstration que les bullshit jobs conceptualisés par David Graeber (1961 – 2020) mènent inéxorablement au bullshit management.

Une assertion facilement vérifiable par tout individu qui parcourt les entreprises de services numériques où l’armée de managers qui s’affairent de réunion en réunion devrait pourtant alerter tout dirigeant averti sur la détérioration de valeur inhérente à cette réalité.

Une nécessité de correction d’autant p... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles